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L’incompréhensible politique étrangère

Bien loin le temps d’une France non alignée, qui se démarquait à la fois de l’influence américaine et du bloc soviétique. Après l’atlantisme au profil bas de l’époque Mitterrand, on en est arrivé à la surenchère…

Laurent Fabius ne gardera pas un grand souvenir de sa visite à Téhéran de la fin juillet. Elle avait été précédée d'un déchaînement d'attaques personnelles sur le thème du sang contaminé. Il voulait se faire accompagner d'une délégation d'hommes d'affaires. Mais les Iraniens ont fait savoir qu'il n'y aurait que des discussions politiques, très froides au demeurant : de contrats, pas question. Le ministre des Affaires étrangères français s'attendait-il à autre chose après avoir tout tenté pour faire échouer les négociations entre Washington et Téhéran ? 

Il fut un temps où la France se démarquait suffisamment de la position des Etats-Unis pour jouer, le jour venu, un rôle d'intermédiaire, ce en quoi Fabius a échoué piteusement en juin dernier entre Israéliens et Palestiniens. Il fut un temps, sous Mitterrand notamment, où la France suivait les Etats-Unis mais en gardant un profil assez bas pour sauver la mise. Avec Hollande, la France suit les Etats-Unis mais en tentant de faire de la surenchère : cela fut le cas avec l'Iran ; c'est toujours le cas avec la Syrie. C'est là le moyen le plus sûr de rester au bord de la route le jour où notre grand allié décide de changer de cap. C'est ce qui risque de nous arriver en Iran malgré la sympathie que notre pays inspire aux Iraniens. Le décollage économique de ce pays, imminent une fois les sanctions levées, pourrait se faire sans la France. II est peu probable, par exemple, que Peugeot récupère jamais le marché de 600 000 véhicules qu'il avait dans ce pays.
C'est ce qui nous pend au nez aussi avec la Syrie.

« Traiter ses ennemis comme s'ils devaient être un jour nos amis ; traiter ses amis comme s'ils devaient être un jour nos ennemis. » Vieux proverbe arabe ou pas, c'est en tous les cas depuis belle lurette le b.a.-ba de la diplomatie. Il est clair que ce b.a.-ba , Fabius l'ignorait quand il est allé dire à la tribune des Nations Unies en 2012 que le président Assad « ne méritait pas de vivre ». Un peu plus tôt, Juppé avait prétendu que le même Assad ne tiendrait pas plus de quelques jours.
Trois ans et demi après, il est toujours là. Ce n'est pas faute que la France ait engagé des moyens lourds pour le renverser. Fourniture massive d'armes et de matériels aux opposants, assistance technique de plusieurs dizaines de militaires français (dont plusieurs sont morts). À la fin du mandat de Sarkozy, un accord entre la France et le gouvernement de la Syrie nous avait permis de récupérer une trentaine de prisonniers faits par l'armée syrienne. À son arrivée, Hollande a relancé la guerre. Inutile de dire que nos armes et notre appui logistique sont allés exclusivement aux djihadistes, en particulier au Front Al Nosra, nouveau nom d'Al Qaida, dont les différences avec Daesh sont bien minces. Les mêmes qui enlèvent ou massacrent les chrétiens – et d'autres. 

LA NOUVELLE POLITIQUE AMÉRICAINE

La soi-disant Armée syrienne libre qui, disait-on, était l'objet de notre sollicitude demeure un fantôme – et un alibi pour aider les islamistes. Pourtant, le plus probable est que ce régime pris en grippe par notre diplomatie avec un rare acharnement tiendra. Il paraît certes aujourd'hui sur la défensive mais s'appuie sur un dispositif solide autour de Damas et de la frontière libanaise. La Russie ne le lâchera pas. La population est mobilisée, notamment les femmes dont bien peu, même chez les sunnites, souhaitent tomber ente les mains des « barbus ». Ceux qui soutiennent les forces rebelles, Israël en tête, ne veulent pas vraiment qu'aucune des deux, Daesh ou Al Nosra, remplace le régime de Damas, se contentant de le maintenir en état de faiblesse.

Les accords entre Washington et Téhéran prévoient le maintien d'Assad jusqu'à la fin de son mandat et le relâchement progressif de la pression des islamistes, qui pourraient être recyclés contre la Russie. La France, qui avait de solides positons en Syrie, son ancien mandat, où l'on n'a pas oublié que Jaque Chirac fut le seul chef d'État occidental à assister aux obsèques d'Assad père (eut-il raison d'y aller? C'est une autre question), sera-t-elle cette fois encore prise de court par le revirement américain, déjà perceptible ? Ce serait confirmer l'amateurisme dans lequel a sombré notre diplomatie. Mitterrand, qui fut le mentor tant de Fabius que de Hollande, doit s'en retourner dans sa tombe. Les arguments moraux ne sont plus pris au sérieux. Meurtres d'enfants à Homs, utilisation de gaz, lâchage de bidons d'essence sur les populations : au moins, ces accusations-là, portées à l'encontre du régime syrien, se sont avérées fausses, ce qui n'en fait pas pour autant un régime tendre. Un premier geste serait d'accorder une reconnaissance officielle au lycée Charles de Gaulle de Damas que les parents d'élèves syriens ont continué de faire fonctionner en autogestion quand la France l'a fermé en 2011, témoignage émouvant d'un attachement aujourd'hui rare à la culture française.
Le second serait de lever l'embargo sur les produits pharmaceutiques particulièrement odieux quand on sait les dégâts que cette guerre absurde continue de faire dans la population civile. Mais pour renouer le fil d'une relation interrompue, peut-être Hollande devra-t-il trouver un autre ambassadeur que Laurent Fabius ?


Roland Hureaux
Ancien élève de l'École normale supérieure et de l'École nationale d'administration (ENA), agrégé d'Histoire, il été sous-préfet, conseiller technique à la DATAR, au cabinet de Philippe Séguin, à la Cour des Comptes. Premier adjoint au maire de Cahors (Lot) de 2001 à 2003. Consultant en matière de collectivités locales et d'aménagement du territoire. Auteur de nombreux ouvrages relatifs à l'administration territoriale et à l'aménagement du territoire, notamment : « Un avenir pour le monde rural » (Pouvoirs locaux, 1993), « Les Nouveaux féodaux » (Gallimard, 2005) et « L'Antipolitique » (Privat, 2007).
Son dernier livre, « La grande démolition – La France cassée par les réformes » (Buchet-Chastel, janvier 2012), dresse un bilan calamiteux de vingt ans de réformes en France.