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Madagascar

L’insolente bonne santé du fast-food malgache

La restauration rapide est un marché en progression constante à Madagascar. Effet d’une population jeune et avide d’américanisation, elle a su s’adapter au goût local jusqu’à parfois n’avoir plus rien à voir avec les standards occidentaux du fast-food. Quick, Kendyworld, Burger King, KFC… Ironie de l’histoire, ce sont les grosses enseignes planétaires qui peinent aujourd’hui à s’implanter dans la Grande Île !

Pays jeune se rêvant un avenir meilleur, Madagascar est un marché prometteur en termes de restauration rapide. Ces dernières années ont été les témoins de l’ouverture d’une multitude d’enseignes de fast-food à travers l’île. Du simple snack mobile à la pizzéria ayant pignon sur rue, c’est un business local plutôt avantageux où le client ne fait jamais défaut.  
Dans un pays où la moyenne d’âge est de 19 ans (contre 40 ans en Europe), se commander un burger, c’est un peu comme s’attabler avec le rêve américain dans un décor au néon de série TV. C’est consommer du superflu dans un pays qui chaque année dans le Sud connaît encore la famine (le kere). Certes, le pays est connu pour sa richesse gastronomique, avec ses traditionnels ravitoto sy henakisoa (feuilles de manioc pilées et viande de porc) et autres romazava (pot-au-feu aux brèdes), mais la consommation signant aussi un style de vie, c’est vers la pizza et le poulet-frites que le nouveau goût urbain semble se porter.

Signes d'appétit

Le marché local présente un tel potentiel de développement que de grandes enseignes internationales commencent à montrer des signes d’appétit.  D'ailleurs, ce n’est pas nouveau. Dès les années 2000, de grosses entités comme Quick (208 millions de consommateurs dans le monde) et Kendyworld ont commencé à tâter le terrain et à envoyer leurs experts à calculettes avant de se rétracter sans doute échaudés par l’instabilité sociale et politique.
Quick, qui se pose comme le concurrent « européen » de la chaîne américaine Mac Donald's, envisage de se poser à Madagascar  dès 2004 avec l’objectif d’ouvrir deux restaurants dans la capitale pour 2006. On évoque alors un investissement d’un million d’euros qui aurait dû générer 200 emplois mais qui ne dépassera pas le stade de projet. 

Effets d'annonce

Pourtant, le dossier revient sur le tapis en 2015, alors qu’entretemps Quick a été racheté par le groupe Bertrand qui entend utiliser l’enseigne Quick pour appuyer l’expansion de Burger King. Cette fois, on parle d’ouvrir trois restaurants Quick (ou Burger King ?) dans la capitale, dont un dans le quartier d’affaires d’Ankorondrano dès 2016, et un quatrième à Toamasina (Tamatave). Depuis, rien.
La chaîne de fast-food Kendyworld est sans doute moins connue, mais sous les enseignes  Kendy´s Chicken and Burgers, Kendy´s Pizza et Kendy´s Pastries, elle est fortement implantée en Europe de l’Est, en Asie et en Amérique latine. Dès 2011, elle manifeste son intérêt pour Madagascar par des appels à candidatures pour des formations et des avis de recherche de locaux adéquats. En jeu, l’implantation de 120 à 150 points des vente à travers l’île. Le groupe entend recruter plus de 5 000 candidats pour la formation et précise dans un communiqué que cette dernière constitue un des critères de la faisabilité du projet. « Si nous ne sommes pas convaincus à ce stade de formation, nous n'allons pas investir », précise le vice-président de Kendyworld. Depuis, rien.
Et aujourd’hui, c’est au tour du géant américain Kentucky Fried Chicken (KFC) de faire des appels de phares, mais sous la forme de restaurants franchisés. Des annonces de recrutement sont même publiées dans les journaux locaux pendant des semaines au début de cette année. C’est en fait le groupe Eclosia, l’exploitant de la marque KFC à l’île Maurice, qui représentera la marque à Madagascar à travers sa filiale Livestock Feed Limited (LFL) Madagascar. Car Eclosia opère également dans la Grande Île dans le secteur avicole, notamment l’élevage, la préparation et la distribution de poulet. Un avantage certain pour le groupe qui dispose ainsi de plusieurs éléments de la chaîne de valeur. Contactée par l’Éco austral, une source au sein du groupe Eclosia à Madagascar confie que l’investissement avoisinerait les 900 000 euros, dont un droit d’entrée (la somme à acquitter pour pouvoir arborer l’enseigne) de 42 000 dollars. Un investissement des plus conséquents, surtout que le contrat avec le géant américain court sur une durée de cinq ans seulement, mais renouvelable. 
Eclosia préfère, pour l’instant, ne rien communiquer sur les détails de ce contrat. « Nous avons pris du retard par rapport au calendrier fixé, concède un responsable. Nous travaillons beaucoup actuellement. Nous nous penchons sur l’ouverture des premiers restaurant KFC dans la capitale dans le courant de cette année. » Un retard certain puisque la presse malgache relayait en février dernier l’information selon laquelle deux restaurant KFC ouvriraient en juillet.
 

En mettant l’accent sur la sécurité alimentaire, La Gastronomie Pizza a pu s’imposer dans le paysage local.
En mettant l’accent sur la sécurité alimentaire, La Gastronomie Pizza a pu s’imposer dans le paysage local.  ©Droits réservés
 

La raison de ce retard n’est pas officiellement indiquée, mais tout laisse à penser que cela a à voir avec la rigueur et l’exigence du franchiseur. En effet, quand une société veut représenter une marque en franchise, elle accepte de suivre à la lettre, jusqu’aux moindres détails, les standards du franchiseur, le créateur de la marque. Si dans la plupart des pays d’Afrique, comme la Côte d’Ivoire, la Tunisie et plus récemment le Sénégal, la signature des contrats avec KFC prennent du temps, c’est précisément à cause du respect de ces normes et standards. Pour rappel, au début de cette décennie, une autre société avait tenté d’ouvrir des restaurants KFC à Madagascar. Mais après des études de marché, elle avait finalement abandonné l’idée, en raison du coût élevé des produits et surtout des normes de qualité imposées par le franchiseur : le prix d’une assiette de poulet revenait tout simplement trop cher pour la population locale. Si la société avait voulu ne pas vendre à perte, elle aurait dû proposer des menus à plus de 40 000 ariary (10 euros) quand le plat de riz avec accompagnement vendu dans les snacks locaux est à un euro !
C’est précisément ce décrochage abyssal des grandes enseignes internationales avec le pouvoir d’achat malgache qui rend les petits opérateurs locaux confiants. « Ce n’est pas demain ni après-demain que la concurrence me fera fermer mon snack. On est une civilisation du riz, pas de la frite et à Mada quand on commande un plat, c’est qu’on a vraiment faim, avec des crampes à l’estomac, pas seulement pour frimer », ironise ce restaurateur du quartier populaire d’Ambohijatovo.
Bref, les enseignes locales font preuve d’une bonne santé insolente. Sans même évoquer la success story de La Gastronomie Pizza du célèbre chef Mbinina (Ambinintsoa Randrianaivo de son vrai nom), qui exporte aujourd’hui son enseigne en franchise à travers l’Afrique (voir interview), on ne compte pas les petits business florissants reposant sur le concept de restauration rapide. 

Retour sur investissement

En décembre 2018, la Société d’investissement à impact dédiée au financement et à l’accompagnement des petites et moyennes entreprises, (Miarakap) va même aller jusqu’à injecter un financement de 400 millions d’ariary (99 000 euros) dans le capital de Chicky, une chaîne qui fait tourner déjà trois restaurant en seulement trois ans d’existence. « Si nous entrons dans le capital de Chicky, c’est que nous sommes sûrs d’avoir un retour sur investissement. Le marché existe et demeure en expansion jusqu’à maintenant », confie Emmanuel Cotsoyannis, directeur général de Miarakap.
En dix ans, d’autres chaînes se sont déployées dans la capitale et dans les provinces sur le modèle de La Gastronomie Pizza, par exemple Extra Pizza, Pizza Mania, Presto Pizza et Crepe H&H. Impossible d’obtenir des chiffres précis sur leur activité (une constante à Madagascar) mais dans ce marché devenu très concurrentiel, il est clair qu’il y a encore à boire et à manger pour tout le monde. 
En tout cas, tous parlent d’un bilan 2018 largement positif. « Plus il y a de concurrents, mieux c’est. Ça nous pousse à améliorer sans cesse nos produits et services », indique Landry Rakotondraibe, administrateur général de l’International Gastronomy Pizza. Conséquence : en 2019, presque tous les quartiers de la capitale ont au moins un restaurant de ces chaînes locales en activité.

S’offrir le fast-food est un rituel festif pour les sorties en famille ou entre amis.
S’offrir le fast-food est un rituel festif pour les sorties en famille ou entre amis.  ©Droits réservés

Clientèle jeune, petit budget
Les jeunes Malgaches se montrent très friands de pizzas et hamburgers qui donnent la sensation du rêve américain. Mais comme ils sont très jeunes (l’âge médian à Madagascar est de 19 ans) et en général étudiants, leur budget est des plus limités. Selon les responsables de restaurants et points de vente que nous avons consultés dans le cadre de cette enquête, ils consomment en moyenne entre 20 000 ariary (5 euros) et 35 000 ariary (8,5 euros) par commande, compte tenu qu’une pizza ou un hamburger se vend à partir de 12 000 ariary (3 euros). « Mais ce n’est pas tous les jours. S’offrir une pizza est un événement toujours un peu spécial, lié à la fête. C’est cher mais en se cotisant, ça reste accessible », confie ce groupe d’étudiants en train de se partager une Margherita à la terrasse d’un snack d’Ankatso. Entre la pizza à 12 000 ariary et le bon vieux vary sy laoka (plat de riz) de papa à 4 000 ariary (1 euro), le changement de siècle (et de mœurs) est patent.
Le fast-food, parfois appelé « junk-food » (malbouffe), est souvent critiqué par les professionnels de santé. À Madagascar, où l’obésité ne fait pas encore figure de « mal du siècle », les amateurs de restauration rapide mettent en avant le plaisir gustatif et le côté « à la mode » du burger. Et ce ne sont pas les restaurateurs qui vont les contrarier, affirmant qu’ils utilisent des produits bio, sans hormones de croissance ni produits chimiques ajoutés. Quant à en apporter la preuve… 

Et McDonald’s ?
McDonald’s, la chaîne de restauration rapide américaine la plus emblématique (présente dans 119 pays) n’a jamais posé ses Big Mac à Madagascar. C’est une singularité que la Grande Île partage avec une petite centaine de pays, certains pour des raisons politiques (Vietnam, Corée du Nord, Iran, Irak, Libye, Syrie), d’autres purement économiques. C’est le cas de l’Afrique. Bien qu’il s’agisse de l’un des continents les plus peuplés avec une demande croissante de restauration rapide, McDonald’s n'est présent que dans quatre pays, à savoir le Maroc, l’Égypte, l’Afrique du Sud et Maurice. Depuis le début des années 2000, des pourparlers ont eu lieu pour ouvrir des restaurants McDonald’s dans des pays tels que le Ghana, le Zimbabwe et le Kenya, mais les projets n’ont pas abouti à ce jour.  Le faible pouvoir d’achat des consommateurs est en effet considéré comme un handicap majeur par McDonald’s dans la création de points de vente dans ces pays. Plus près de nous, il y a encore les Seychelles qui n’hébergent aucune des grandes enseignes du fast-food, que ce soit McDonalds, Burger King ou KFC. En revanche, l’archipel a sa propre chaîne de fast-food, Butcher's Grill, qui fonctionne depuis 2011, avec déjà deux points de vente.
Le Mauricien Rouan Joggyah est à la tête d’une chaîne de restaurants dont le nombre devrait être porté à six d’ici la fin de l’année.
Le Mauricien Rouan Joggyah est à la tête d’une chaîne de restaurants dont le nombre devrait être porté à six d’ici la fin de l’année.  ©Droits réservés
 

Rouan Joggyah : kebabs et cuisine ouverte
Jeune Mauricien installé dans la Grande-Île depuis déjà 20 ans, Rouan Joggyah a lancé en 2015 sa propre enseigne de restauration rapide, Kebn’ Grill. « Le secteur commençait à prendre de l’ampleur et la demande est toujours là, notamment dans la capitale », indique le jeune entrepreneur, titulaire d’un bac en économie, suivi d’une formation en management. 
La force de Kebn’ Grill, à part l’emplacement très stratégique du restaurant (près du Lycée français d’Ambatobe) et la bonne réputation de ses kebabs, est que tout est fait sous les yeux des clients.  « On a été un des premiers à Tana développer ce concept de cuisine ouverte. Ainsi rien à cacher, on sait exactement ce qu’on va manger. En termes de sécurité alimentaire, c’est un point important  », souligne Rouan Joggyah. Kebn’ Grill, c’est aussi depuis 2018 une chaîne de restaurants avec déjà deux points de vente dans la capitale et «  trois ou quatre nouveaux d’ici la fin de l’année » à Tana et à Toamasina Tamatave.
L’effectif devrait également tripler avec une grande attention portée à la formation et à l’accompagnement des équipes. « La professionnalisation est la seule façon de faire la différence dans un marché local de plus en plus exigeant et concurrentiel  », estime le jeune entrepreneur qui avoue ne pas se  soucier outre-mesure de l’arrivée des grandes enseignes internationales.