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Michael Porter : « Votre plus grande faiblesse, c’est le manque de main d’œuvre qualifiée »

Le gourou américain de la stratégie, à l’origine du développement du concept de « cluster », est venu donner une conférence à Maurice début avril. L’occasion d’un diagnostic sans complaisance, mais sans pessimisme non plus…

 

L’Eco austral : D’après votre expérience, quelles sont les erreurs les plus courantes en matière de stratégie d’entreprise ?
 

Michael Porter : La première, c’est de s’engager dans une bataille pour la première place. C’est ce qu’on fait lorsqu’on emprunte la même voie que ses rivaux, en pensant qu’on obtiendra de meilleurs résultats. C’est un objectif très difficile à atteindre. Beaucoup de managers confondent donc efficacité opérationnelle et stratégie.
La deuxième erreur est de confondre marketing et stratégie. Bien sûr, une stratégie s’appuie sur les besoins des clients mais, si l’on ne va pas plus loin, elle n’est alors axée que sur une proposition de valeur, laquelle concerne la demande dans le jeu de l’offre et de la demande. Une stratégie solide implique une chaîne de valeur qui puisse concerner l’offre, mais aussi des activités organisées de façon unique pour concrétiser la valeur proposée. En somme, une stratégie fait le lien entre les choix relatifs à la demande et les choix relatifs à l’offre. Une entreprise ne peut pas se bâtir un avantage concurrentiel si elle ne tient pas compte des deux.
La troisième erreur est de surestimer ses forces, un phénomène qui est dû à la tendance au nombrilisme dans certaines entreprises. Une entreprise qui considère que son service client est excellent, par exemple, le voit comme une « force » à partir de laquelle elle construira sa stratégie. Mais, du point de vue stratégique, une véritable force est quelque chose qu’une entreprise fait différemment de ses concurrents parce qu’elle a choisi d’organiser ses activités différemment.
La quatrième erreur, c’est la tendance à définir les marchés comme des marchés mondiaux alors que, très souvent, ils ne sont que nationaux ou qu’ils n’englobent qu’un groupe de pays voisins. Désireuses d’entrer dans la mondialisation, les entreprises s’internationalisent sans comprendre les vrais enjeux économiques de leur secteur. C’est avant tout grâce à l’analyse des chaînes de valeur qu’on peut délimiter les frontières de la concurrence, déterminer dans quelle mesure un secteur concerne une seule région, un pays, un groupe de pays ou le monde entier. Sur les marchés locaux, chaque secteur se caractérise par des chaînes de valeur propres à ce secteur. À l’autre extrême, un secteur véritablement mondial implique qu’une entreprise ait une chaîne de valeur qui puisse traverser les frontières.

Le groupe BSP a gagné son pari de faire venir Michael Porter à Maurice pour une conférence unique le 2 avril. Un exploit quand on sait que les gourous américains des affaires demandent entre 60 000 et 100 000 dollars pour leur intervention. - Davidsen Arnachellum

Le groupe BSP a gagné son pari de faire venir Michael Porter à Maurice pour une conférence unique le 2 avril. Un exploit quand on sait que les gourous américains des affaires demandent entre 60 000 et 100 000 dollars pour leur intervention. – Davidsen Arnachellum

 

Quelles faiblesses voyez-vous dans l’économie mauricienne et comment pourrait-on la rendre plus compétitive ?

Tout d’abord, nous devons commencer par les faiblesses qui sont les moins difficiles à corriger. Le gouvernement doit consacrer encore plus d'efforts à l’infrastructure routière, améliorer la connectivité de l’Internet et la capacité de la bande passante. Je pense que c'est une question de volonté et de détermination. Les plus grands défis concernent les ressources humaines, leur développement et leur niveau de compétences. Je constate qu’il y a une bonne base du système éducatif, mais l'enseignement supérieur n'est pas développé comme il le faudrait. Ces problèmes peuvent être résolus, mais je n’ai pas l’impression que les autorités en aient mesuré toute l’urgence.

Comment la mondialisation affecte-t-elle le concept de « cluster régional » ?

En fait, la mondialisation rend le cluster régional encore plus important et l’oblige à être parfaitement ciblé. Par exemple, il y a une grande compagnie de chaussures en Italie, la conception, le marketing et la technologie demeurent en Italie alors que la production s’est déplacée vers la Roumanie où les Italiens ont développé un autre « cluster ». Taiwan en a fait de même en déplaçant la production vers la Chine. Donc, le « cluster » est de plus en plus important dans une économie ouverte où vous n'avez pas d’avantage unique et juste l'accès à des ressources particulières. Avec la montée en puissance de la mondialisation, les clusters doivent devenir de plus en plus spécialisés dans des endroits différents.

Lors de votre conférence, vous avez déclaré que l'île Maurice a besoin de développer le concept de cluster. Comment peut-on procéder ?

Je pense que vous avez déjà les bases pour le tourisme, l'agriculture, la logistique, la pêche et les produits de la pêche. Mais les groupes qui opèrent, individuellement, n’ont pas toujours le soutien technologique, la formation requise et la créativité nécessaire pour avoir des produits et des services de qualité. Je pense que vous avez les bases, mais vous n’avez pas encore développé l'idée du cluster. Les professionnels ne travaillent pas vraiment ensemble pour essayer de s’améliorer. Beaucoup de pays sont en train de développer l’idée du cluster et Maurice pourrait commencer à faire de même. C’est le secteur privé qui doit prendre l’initiative, il doit s’appuyer sur ses équipes de direction et sur les associations professionnelles. Le gouvernement a aussi un rôle important à jouer, à travers le dialogue avec le secteur privé. Par exemple, si un groupe ou une entreprise a besoin de meilleures infrastructures, le gouvernement doit répondre à ses besoins. Ce partenariat entre le privé et le public est primordial pour le développement du cluster et il y a beaucoup d'expériences dans le monde que nous pouvons partager avec l'île Maurice.

« Avec la montée en puissance de la mondialisation, les clusters doivent devenir de plus en plus spécialisés dans des endroits différents. » -  Stocklib@Sony Sivanandan

« Avec la montée en puissance de la mondialisation, les clusters doivent devenir de plus en plus spécialisés dans des endroits différents. » – Stocklib@Sony Sivanandan

 

ITINÉRAIRE D’UN GOUROU

Né en 1947, le professeur Michael Porter de l’université de Harvard est connu pour être le père du « marketing stratégique ». Il s’est rendu célèbre par ses travaux sur la façon dont une entreprise doit obtenir un avantage concurrentiel en maîtrisant mieux que ses rivaux les forces qui structurent son environnement concurrentiel. Il est l’un des experts les plus reconnus et respectés dans les domaines de la stratégie d’entreprise et de la compétitivité des pays et des régions. Michael Porter a décrit le modèle des « Cinq forces de Porter » dans son premier article de la prestigieuse Harvard Business Review paru en 1979 et intitulé « How Competitive Forces Shape Strategy ». Cet article a énormément influencé le domaine de la stratégie. Il revient également sur ce modèle des cinq forces dans son livre mondialement connu « Competitive Strategy : Techniques for Analyzing Industries and Competitors ». Michael Porter a également formalisé sur le plan théorique la notion de pôle de compétences géographiques, au point que le terme porte son nom en anglais : « Porter's clusters ». Michael Porter a travaillé avec de nombreux gouvernements, grandes entreprises et groupes académiques à travers le monde. Il préside aussi le programme de la Harvard Business School destiné aux nouveaux Pdg d’entreprises.