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Maurice

Ne pas produire plus mais produire mieux : Le pari de l’agriculture bio

La production agricole locale couvre à peine le quart des besoins alimentaires du pays. S’il paraît illusoire pour Maurice de sécuriser sa souveraineté alimentaire en créant et en développant de nouvelles cultures et filières agricoles, l’île peut en revanche produire mieux au lieu de chercher à produire plus. Objectif, atteindre les 50 % de part de production bio d’ici cinq ans.

Vu du ciel, Maurice est un minuscule point vert dans l'océan Indien. L’étranger qui survole l’île pour la première fois, imagine  volontiers des hectares de culture capables d’assurer l’indépendance alimentaire du petit territoire. Mais l’image est trompeuse. Car le pays reste très largement un territoire dédié à la canne à sucre. À preuve, en 2014, sur les 59 153 hectares de surface agricole de l’île, 50 694 hectares lui étaient encore destinés (aujourd’hui, c’est plutôt 45 000 hectares de terre qui sont sous canne). Soit 85 % du total !  Conséquence, Maurice importe une bonne part de son alimentation. Montant de la facture annuelle ? Trente milliards de roupies (750 millions d’euros). « Seuls 25 % de nos besoins sont assurés par nos propres productions », se lamentait Mahen Seeruttun, le ministre de l’Agro-industrie et de la Sécurité alimentaire, en inaugurant, l’an dernier, la troisième édition du Salon de l’agriculture. 

 

Jaqueline Sauzier, SG de la Chambre d’agriculture : « L’avenir de la canne à sucre à Maurice va se décider dans les trois prochaines années. »
Jaqueline Sauzier, SG de la Chambre d’agriculture : « L’avenir de la canne à sucre à Maurice va se décider dans les trois prochaines années. »  Photo : Jean-Michel Durand
 

La fin du roi sucre

Plus de dix ans après la fin du Protocole sucre (en 2008), l’industrie sucrière mauricienne, qui s’est depuis métamorphosée en industrie cannière, a réussi à relever de nombreux défis. Mais d’autres challenges conjoncturels (Brexit, baisse continue du prix du sucre sur le marché mondial) et surtout structurels sont apparus. « L’avenir du sucre est derrière nous », résume, amer, un acteur important de la filière. Mais certains ont vu dans ce constat une opportunité pour enfin produire localement.  
Pour valoriser des terres abandonnées, autrefois dédiées à la canne à sucre, certains grands groupes se sont lancés dans le maraîchage. Ils sont même devenus les principaux acteurs du marché. C’est le cas de Médine Agriculture, la filiale agricole du groupe éponyme. S’appuyant sur la modernisation de son outil de production (mécanisation accrue) et la conversion de terres dédiées à la canne, elle a surtout appliqué les techniques de production sucrière aux cultures vivrières. 
Résultat : Médine, qui a fait office de pionnier car seul groupe sucrier de cette envergure à avoir déployé autant de moyens pour diversifier ses produits, a récolté 4 296 tonnes de fruits et légumes en 2016. Soit 4 % de la production nationale – la récolte totale de fruits et légumes était de 107 457 tonnes contre 102 663 tonnes en 2015.
« Sur les 110 000 tonnes de fruits et légumes produits chaque année, 15 % viennent des pôles de diversification des propriétés sucrières, tandis que 80 % de la production est assurée par de petits agriculteurs », précise Jacqueline Sauzier, la secrétaire générale de la Chambre d’agriculture. Et les résultats commencent à se faire sentir puisque l’île est aujourd’hui quasi-autonome (sur l’année) en poulet, en carotte et en pomme de terre. « Nous produisons également 12 000 tonnes d’oignons, sur les 24 000 consommés chez année », précise-t-elle.
En ce qui concerne le poulet, des entreprises, profitant de mesures décidées par l’État de taxer les importations, se sont lancées dans cette filière et se partagent aujourd’hui un marché dont la production annuelle est de 46 000 tonnes. La filiale du conglomérat Eclosia, Avipro, pionnière dans la production de poulets de table, domine le marché avec 39 % des parts… 
Cette filière est une éclatante réussite. Résultat, non seulement il est quasi impossible de trouver du poulet importé entier et/ou semi élaboré, mais, mieux, Maurice exporte sa production et son savoir-faire à l’étranger ! C’est ainsi que le leader local en est venu à dupliquer son modèle à Madagascar « en fournissant des poussins et toute l’assistance nécessaire, avec une prédominance aux éleveurs indépendants qui pèsent 90 % de notre production », expliquait Cédric de Spéville, lors du rebranding de son groupe en 2016… « En résumé, nous sommes autonomes sur les légumes que l’on consomme de matière traditionnelle », résume Jacqueline Sauzier.  Mais avec l’augmentation du pouvoir d’achat, les habitudes de consommation des Mauriciens ont évolué. « Ils ont oublié de consommer en contre-saison. La Mauricienne veut ses pommes d’amour toute l’année mais pour des raisons naturelles (saison, climat) cela est impossible. Il faut donc en importer », déplore un opérateur du secteur. Ou consommer de la tomate en boîte, également importée, quand le prix de la pomme d’amour devient rédhibitoire sur les marchés locaux. Dès lors, peut-on imaginer que Maurice puisse produire d’autres fruits et légumes ? « Au jour d’aujourd’hui, cela semble improbable », avoue la secrétaire générale de la Chambre d’agriculture. « Si on estime que 8 000 hectares sont plantés en fruits et légumes – en fait 4 000 hectares mais il y a une double rotation – Maurice fait face à de sérieux défis : vieillissement de la main-d’œuvre, désintérêt de la filière par les jeunes Mauriciens et surtout un appauvrissement des sols qui impacte les rendements naturels et pousse à une utilisation croissante de pesticides. » De fait, il y a peu de terres disponibles, « même en rajoutant les 20 000 hectares de canne qui ne sont pas mécanisés et ne sont  pas rentables aujourd’hui avec un prix de 10 000 roupies (250 euros) la tonne », précise-t-elle.

 

Grégory Martin, responsable de l’antenne de la Région Réunion à Maurice : « En adaptant les rotations des cultures, il s’agira de tendre vers une complémentarité entre nos deux îles. »
Grégory Martin, responsable de l’antenne de la Région Réunion à Maurice : « En adaptant les rotations des cultures, il s’agira de tendre vers une complémentarité entre nos deux îles. »  Photo : Davidsen Arnachellum
 

Agriculture raisonnée

« Pour ces raisons, il est illusoire d’imaginer de produire du blé et du riz  pour le marché intérieur, bien qu’il s’agisse de notre alimentation de base », indique, Manoj Vaghjee, le président de la Fondation Ressources et Nature (Forena) qui milite et s’engage dans la production de fruits et légumes bio.
Quant à l’agronome Jean-Cyril Monty, il est d’avis « qu’avec le changement climatique, notre pays devra impérativement importer ses produits de consommation. D’autant que pour des raisons économiques, les produits que nous importons coûtent moins cher que ceux produits à Maurice ! »  Aussi, face à la difficulté de produire davantage, l’État a fait le choix de produire mieux.  Maurice cherche à produire différemment avec l’ambitieux objectif d’atteindre les 50 % de production bio d’ici à cinq ans.  C’est pourquoi la Chambre d’agriculture, appuyé par l’Agence française de développement (AFD) et bénéficiant de l’expertise du Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) de La Réunion – l’un des plus grands centres de recherche de l’hémisphère Sud – a lancé, en 2016, le programme Smart Agriculture ou agriculture raisonnée.  Bénéficiant d’un budget de 18 millions de roupies (450 000 euros), « le programme Smart Agriculture veut optimiser les résultats économiques. Étalé sur dix ans, ce plan implique la participation de 300 petits et moyens planteurs », explique Grégory Martin, responsable de l’antenne de la Région Réunion à Maurice. « L’objectif de cette coopération est de permettre à moyen terme de s’engager dans un programme d’échanges économiques de productions agricoles. En rehaussant la qualité des productions des deux territoires grâce à l’agroécologie, nous pourrons avoir une vision des besoins et des capacités des deux îles. Surtout, en adaptant les rotations des cultures, il s’agira de tendre vers une complémentarité. Pourquoi ne pas imaginer exporter de petites pommes de terre de Maurice vers La Réunion, et des tomates de La Réunion vers Maurice ? », plaide-t-il avec conviction.

L'agriculture vivrière à Maurice

Formations en agroécologie

Se rajoute le projet Emberoi qui consiste à développer à Maurice et à La Réunion la pratique de l’agroécologie dans des exploitations de petites à moyennes capacités. Ce programme bénéficie d’un financement de 202 000 euros d’Interreg (un programme européen visant à promouvoir la coopération entre les régions européennes et le développement de solutions communes dans la gestion de l’environnement)
Mais outre l’aspect économique, ces programmes, en maîtrisant la qualité et la quantité des intrants utilisés (pesticides, fertilisants et eau), assurent aussi un volet sociétal et sanitaire. En effet, on constate une hausse inquiétante de cancers sur l’île : « 36 % des cancers détectés chez les Mauriciennes concernent celui du sein », s’inquiétait Anwar Husnoo le ministre mauricien de la Santé, en signant, l’an dernier, un accord avec l’ambassade du Japon à Maurice pour l’achat d’un appareil de mammographie… Cet aspect santé a d’ailleurs été intégré par Manoj Vaghjee avec Forena (Fondation Ressources et Nature). Il travaille sur la corrélation entre certaines maladies et la nourriture. Il a su convaincre l’UNDP – le Programme des Nations Unies pour le Développement  – « de proposer une alternative à l’agriculture conventionnelle chargée d’intrants chimiques. Mais je n’oppose pas l’agriculture conventionnelle et la biologique ! », précise-t-il. 
L’implication de la société civile dans une autre façon de produire, c’est l’histoire de Géraldine d’Unienville du Vélo Vert. C’est une association de soutien au développement agroécologique.  Confrontée à une allergie alimentaire sévère d’un de ses enfants, elle va découvrir que la majorité des producteurs (sur) utilise des intrants chimiques. En repérant un petit producteur convaincu de l’intérêt de produire hors de l’agriculture conventionnelle, elle a créé un écosystème. Et aujourd’hui « Le Vélo Vert partage et coordonne des formations en agroécologie et des techniques de culture sans produits chimiques. Nous encourageons les hommes et les femmes à se lancer au maraîchage sans chimie ». Surtout, l’association a lancé, dès 2013, une livraison hebdomadaire de légumes !  Bref, si le doux rêve d’assurer sa souveraineté alimentaire est illusoire, Maurice est partante pour mieux produire.

L’échec de la filière laitière
Créé en 2008, avec un investissement initial de 390 millions de roupies (près de 10 millions d’euros) par le fonds d’investissement Avenport, Agreenculture visait à augmenter la production de lait et donc à réduire les importations. Mais il avait aussi un volet quasi culturel  : «  celui de redonner le goût du lait frais aux Mauriciens car actuellement, 85 % du lait consommé dans l’île est du lait en poudre  », assurait alors Hugues Havrez le jeune CEO d’Agreenculture. Quant à SKC Dairy Fresh and Co. Ltd, qui commercialisait le lait Surlait, elle a également dû fermer ses portes, en 2017. Principales raisons de ces échecs  : le coût du transport des animaux et le manque de productivité des races disponibles à Maurice. À quoi se rajoute le fait que contrairement à La Réunion, il n’existe pas de soutien public de la filière et que les acteurs (importateurs et industriels) n’ont pas soutenu la filière.  
Une expérience qui fait pschitt  
L’entreprise singapourienne Vita Rice qui produisait, depuis 2009, du riz exporté à 90 % vers la France et les États-Unis, vient de fermer ses portes. Elle avait investi 30 millions de dollars pour cultiver des semences de riz hybride, Dryland Rice, sur 2 000 hectares. Ce riz, qui a un indice glycémique relativement bas comparé au basmati et qui est surtout sans arsenic, avait donc une forte valeur ajoutée. Mais suite à un conflit avec la propriété foncière qui abritait l’usine, Vita Rice vient de se désengager. « Nous avons passé un accord avec Médine. Dorénavant, nous leur vendons des semences puis nous leur rachetons le riz récolté, que nous vendons et distribuons toujours à Intermart », tient à se justifier Graeme Robertson, le président du conseil d’administration de Vita Rice.
Business à la noix
Introduite récemment à Maurice, la culture de la noix de macadamia (noix du Queensland) semble avoir un grand potentiel. La demande mondiale pour cette noix au goût suave est largement supérieure à l’offre  ! Comme le souligne l’ONG suisse, le Centre international pour le commerce et le développement durable, le kilo de noix non décortiquées (non transformées) est passé au Kenya, en 2002, de 0,07 à 0,23 dollar (triplement des prix  en moins d’un an). Et l’an dernier, les prix ont atteint 1,5 dollar américain le kilo (1,22 euro) !  Aussi, l’Institut gouvernemental de recherche et de vulgarisation alimentaires et agricoles (FAREI), dont l’objectif est de mener des recherches sur les cultures non sucrières, travaille sur un projet de 40 hectares de macadamier (arbre qui produit ces noix). L’objectif est de créer une pépinière, de former les agriculteurs et enfin de produire et distribuer essentiellement à l’exportation ces graines.
Sécurité alimentaire ou autosuffisance alimentaire
 Les concepts d’autosuffisance et de sécurité alimentaire se distinguent sur deux points essentiels : l’autosuffisance alimentaire considère que la production intérieure est la seule source de produits vivriers tandis que la sécurité alimentaire prend en compte les importations commerciales comme source possible de l’offre alimentaire.(Source : FAO).