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Réunion

Non au greenwashing, oui au développement durable intelligent

Les entreprises ne peuvent plus ignorer le concept de développement durable, ne serait-ce qu’en matière de communication. Mais encore faut-il le mettre en œuvre et ne pas s’en tenir à du greenwashing (1). Comment préserver des ressources naturelles qui n’ont rien d’infini ? Comment (re)placer l’homme au centre de l’économie et comment réconcilier celle-ci avec l’écologie dont les intégristes vont jusqu’à prôner la décroissance ? Plus largement, comment instaurer à La Réunion une politique territoriale en phase avec le développement durable ? Autant de questions auxquelles s’efforce de répondre ce dossier.

Certains pensent que La Réunion est à l’abri de la pollution et que cela concerne surtout la France métropolitaine. D’abord, c’est égoïste, car la pollution locale participe à la pollution mondiale. Ensuite, c’est faux : la Réunion est elle aussi concernée par la Loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie (Laure) du 30 décembre 1996 (2), qui reconnaît à chaque citoyen le droit de respirer un air qui ne nuit pas à sa santé.
Une seule voiture diesel d’une dizaine d’année (Euro 4), bien entretenue, qui parcourt 25 000 km par an, a déjà rejeté dans l’air énormément de gaz nocifs pour la santé : 62,5 kg d’oxydes d’azote (NOx), 125 kg de monoxyde de carbone (CO), 75 kg de mélange d’hydrocarbures et d’oxydes d’azote (HC+NOx), etc. Sans oublier 6,5 kg de particules fines… que nous respirons à pleins poumons (surtout ceux qui font leur jogging en ville ou près d’un axe routier) !Les particules fines sont associées à un accroissement des maladies respiratoires obstructives chroniques, une réduction de la capacité respiratoire chez l’enfant, une augmentation de la mortalité cardio-pulmonaire et du cancer du poumon chez l’adulte. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) a classé la pollution de l’air comme « cancérigène certain » pour l’homme. La pollution nous coûte deux ans d’espérance de vie.
En Europe, il existe déjà plus de 200 zones où la circulation des véhicules polluants est interdite. Par exemple, depuis le 1er juillet 2017, les véhicules avec une vignette Crit’Air 5 sont interdits à Paris de 8 heures à 20 heures, en semaine. Anne Hidalgo, maire de Paris, a annoncé qu’au premier semestre 2019, ce seront les véhicules avec une vignette Crit’Air 4 qui seront interdits et en 2022 les Crit’Air 3, etc. Jusqu’en 2030 où plus aucun véhicule à moteur thermique ne circulera dans Paris : « Nous n’avons pas d’autre choix, car la santé publique est de la responsabilité des élus. Il n’est pas exclu que des victimes de la pollution lancent des recours collectifs (class-action) contre les responsables politiques. Or, en ce qui concerne Paris, la moitié de la pollution est due aux automobiles et majoritairement aux diesels. »
Où se situe La Réunion dans ce schéma ? Très loin ! Le contexte est pourtant le même, sinon pire : chaque jour, le parc automobile réunionnais rejette dans l’atmosphère 2 150 tonnes de CO2 (dioxyde de carbone), 195 kg de particules fines et les maladies du système respiratoire sont responsables d’un décès sur dix, un taux supérieur à celui de la Métropole. On ne va pas demander aux Réunionnais d’apposer la vignette Crit’Air sur leur pare-brise et instaurer des restrictions de circulation – pour le moment – mais nous avons nos propres défis à relever, notamment celui du charbon et des produits pétroliers, que personne ne consomme par plaisir mais parce qu’il faut bien se déplacer, s’éclairer et travailler. 

En finir avec l’idée d’une croissance illimitée

Le développement durable est un sujet très vaste, avec des aspects sanitaires, économiques, technologiques, mais aussi philosophiques. Le pape François l’a rappelé dans son encyclique Laudato Si (sous-titrée Sur la sauvegarde de la maison commune) : quand on fait du mal à la nature, on commet un péché. Le pape François appelle à la conversion écologique et pointe un certain modèle de société : « On en vient facilement à l’idée d’une croissance infinie ou illimitée […] Cela suppose le mensonge de la disponibilité infinie des biens de la planète, qui conduit à la presser jusqu’aux limites et même au-delà des limites […] On prend en compte les leçons de la détérioration de l’environnement avec beaucoup de lenteur. Dans certains cercles, on soutient que l’économie actuelle et la technologie résoudront tous les problèmes environnementaux. »
République laïque oblige, la prise de conscience se traduit officiellement en France par des notions telles que l’obsolescence programmée, qui est maintenant dénoncée, la RSE (Responsabilité sociétale des entreprises) et des mesures très concrètes. Certaines entreprises font du greenwashing (1), autrement dit elles simulent, mais la plupart s’engagent sincèrement dans le développement durable « intelligent », celui qui ne nous fait pas retourner à l’âge de la pierre (d’autant plus que le feu de bois n’est pas bon pour la qualité de l’air). Le développement durable doit être vu par les entreprises comme une formidable opportunité de réconcilier le monde économique et certaines valeurs qui font qu’on est fier de travailler.
À notre humble avis, la PPE (Programmation pluriannuelle de l’énergie), que va valider la Région Réunion au mois d’octobre, est la pierre angulaire d’une île où il fera bon respirer, une île qui fait face à ses responsabilités vis-à-vis des générations futures. C’est donc le fil conducteur de ce dossier qui va se focaliser sur les deux aspects principaux de la PPE : les transports et l’énergie. Mais il est aussi question d’humain. En effet, comme l’explique le bénédictin Dom Hugues Minguet, qui travaille sur le développement durable avec des dirigeants d’entreprise : « Que serait un développement durable qui respecterait la nature mais pas véritablement l’Homme ? »

(1) Ce terme anglais vient de la contraction de green, « vert », et de washing, « nettoyage », que l’on pourrait traduire par « écoblanchiment ». C’est une stratégie de marketing qui consiste à communiquer en utilisant l’argument écologique, pour se donner une image éco-responsable. S’il se résume parfois à l’utilisation d’emballages verts pour faire allusion à la nature, par exemple, le greenwashing a pris des formes plus subtiles, à mesure qu’autorités et consommateurs sont devenus plus regardants. Source : www.letemps.ch.
(2) On doit la Loi sur l’air à Corinne Lepage, l’avocate qui a défendu les sinistrés des marées noires de l’Amoco Cadiz en 1978 et de l’ Erika en 1999. Elle est maître de conférences et professeur à l’Institut d’études politiques de Paris (à la chaire de développement durable) ainsi qu’aux universités Paris II, Paris-XII et Saint-Quentin-en-Yvelines. Elle a été ministre de l’Environnement de 1995 à 1997, dans le gouvernement d’Alain Juppé, sous la présidence de Jacques Chirac. 

LA RÉALITÉ DU RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE
En 2009, Météo France a réalisé pour le compte de la Région Réunion une étude pour l’identification des évolutions des changements climatiques, avec l’analyse des données disponibles sur la période 1969-2008, à partir desquelles ont été tirées des projections du climat à l’horizon 2100. Voici les trois principales conclusions. Tout d’abord, en ce qui concerne la température : elle a augmenté de +1° entre 1969 et 2008 et elle devrait encore augmenter de +1° (hypothèse basse) à+3° (hypothèse haute) d’ici 2100. C’est légèrement inférieur aux hypothèses retenues pour la Métropole et les Antilles. Le niveau de la mer a augmenté de +3,2 mm par an depuis 1993 et il devrait encore augmenter de +2 mm (hypothèse basse) à +4 mm (hypothèse haute) dans les années à venir, soit une hausse de 20 à 60 cm en un siècle. Cela peut sembler peu, mais c’est suffisant pour accélérer l’érosion du littoral et provoquer le recul du trait de côte. C’est particulièrement flagrant dans le quartier de Bel-Air, à Saint-Louis, où les riverains sont de plus en plus souvent inondés dès qu’il y a une forte houle. Quant aux précipitations, elles vont baisser de 6 % à 8 %, avec un effet direct sur la nappe phréatique. Autrement dit, l’eau potable va devenir un problème.