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Non, l’Afrique n’est pas devenue un relais de croissance

Les médias l’ont annoncé il y a déjà quatre ou cinq ans, mais cette affirmation était quasi uniquement fondée sur des chiffres qui ne traduisaient pas la situation réelle du continent…

Les chiffres retenus pour affirmer que l’Afrique était devenue un relais de croissance ne tenaient aucun compte des tensions, des problèmes politiques, des héritages et des blocages. Les experts mettaient ainsi en avant une croissance continentale supérieure à 4%. Certes, mais cette dernière étant inférieure à 7%, chiffre en dessous duquel, en 2000, les signataires des OMD (Objectifs du millénaire pour le développement) considéraient que le continent ne pouvait pas démarrer, l’Afrique, en dépit d’une augmentation globale de son PIB, a donc continué à s’enfoncer. Quelle confiance pouvons-nous d’ailleurs accorder aux « experts » quand, en 2013, le FMI déclarait que le Soudan du Sud allait connaître une croissance de 24,7% (FMI, 8 octobre 2013) alors que, depuis, le pays a explosé ? Ou bien quand l’ONU et l’Union africaine annonçaient une croissance de 7% en Libye alors que le pays s’est désintégré ? Comment faire enfin confiance à des statistiques qui ont fait bondir le PIB du Ghana de près de 100% en 2010 (1) et qui classent le Rwanda au 25e rang mondial pour la « facilité à faire des affaires » devant la Suisse qui n’occupe que le 29e rang ? (Banque mondiale, 2014). 

TROIS ÉLÉMENTS À NE PAS PERDRE DE VUE

Si nous voulons avoir une vision réaliste de la situation de l’Afrique, trois éléments ne doivent pas être perdus de vue : 

  1. Comme la courbe de croissance africaine est d’abord la conséquence des prix des matières premières, par définition fluctuants, elle est donc à la fois fragile et artificielle. Nous l’observons aujourd’hui.
  2. Cette croissance n’est pas homogène, la différence étant considérable entre les pays producteurs de pétrole ou de gaz et les autres. De plus, comme le montrent les exemples de l’Algérie et du Nigeria, les hydrocarbures font enfler les courbes de croissance, mais ils n’empêchent pas la faillite économique et sociale.
  3. L’économie africaine n’a pas connu de diversification et pas davantage d’industrialisation par le biais de la transformation des ressources naturelles. Or, l’industrie extractive qui dope les PIB des pays producteurs de matières premières ne créé pas d’emplois car elle ne concerne que moins de 1% des travailleurs (cabinet McKinsey 2011).

Parts dans le PNB mondial
Parts des flux mondiaux d'investissements

LA PART DE L’AFRIQUE DEMEURE MARGINALE DANS LE COMMERCE MONDIAL

À l’exception d’enclaves dévolues à l’exportation de ressources minières confiées à des sociétés transnationales sans lien avec l’économie locale, l’Afrique est aujourd’hui largement en dehors du commerce, donc de l’économie mondiale. Malgré le pétrole et les minerais, sa part dans les échanges mondiaux (importations plus exportations), est en effet dérisoire. De 6% en 1980, elle s’est effondrée à 2% dans la décennie 1990, avant de « remonter » à 2,8% en 2007, puis à 3,2% en 2008, 3,4% en 2010 et 3,2% en 2013 avec une moyenne de 3,5% pour les années 2010-2015 (2). Commercialement, l’Afrique n’existe donc pas, même si certains pays comptoirs connaissent une réelle prospérité. Or, pour ces derniers, la baisse du prix du pétrole a actuellement des conséquences catastrophiques. Sans parler du ralentissement de l’économie chinoise.
Part de l'Afrique dans les échanges mondiaux

UN CONTINENT DÉLAISSÉ PAR LES INVESTISSEURS MONDIAUX

En 2012, au pic de la déferlante « afro-optimiste », Nicolas Baverez publia un article très remarqué dans le magazine « Le Point » daté du 7 août 2014. Intitulé « L’Afrique à l’aube de ses Trente Glorieuses », il y écrivait que le continent était devenu attractif pour les capitaux internationaux « comme le prouve l’accueil de plus de 50 milliards de dollars d’investissements directs étrangers (IDE) en 2013 » (3). Le chiffre en lui même était effectivement impressionnant, mais, comparé aux volumes mondiaux d’IDE, il prenait une toute autre signification. En 2012, l’ensemble des IDE mondiaux fut en effet de 1 351 milliards de dollars, ce qui faisait que l’Afrique, avec 50 milliards de dollars pour 1,1 milliard d’habitants, n’avait donc reçu que 3,7% de tout le volume mondial d’IDE, soit à peine plus que la Suisse qui, avec ses 8 millions d’habitants, se situait au 9e rang des pays bénéficiaires d’IDE avec 44 milliards de dollars. Ces chiffres montraient qu’à la veille de l’actuelle crise, l’Afrique ne comptait pas pour les investisseurs. D’autant plus que cette part minime d’IDE présentait deux caractéristiques essentielles : 
Ils étaient concentrés sur les cinq pays de l’Afrique du Nord, ce qui faisait que les 45 pays sud-sahariens en étaient exclus, à l’exception de l’Afrique du Sud, du Nigeria et de l’Angola. 
Au sud du Sahara, les IDE concernaient à plus de 90% les seuls hydrocarbures et le secteur minier. Depuis 2014-2015, l’Afrique subit la crise liée à la baisse du prix des matières premières et les investisseurs mondiaux s’en détournent, à commencer par la Chine dont les IDE vers l’Afrique ont reculé de près de 45% au premier semestre 2015 par rapport à l’année précédente, pour at-teindre 1,2 milliard de dollars. 

1) Rapport économique sur l’Afrique pour l’année 2013 (ONU et Union africaine).
(2) Rapport sur les échanges internationaux et intra-africains. Nations Unies, Conseil Economique et Social, Commission Economique pour l’Afrique, Addis Abeba février 2013.
(3) Les IDE en Afrique ont atteint 44 milliards de dollars en 2010, 48 en 2011 et 50 en 2012 (Cnuced, Rapport sur l’investissement dans le monde, 2013).