Olivier Duhagon : un patron d’EDF très branché
Cet amateur de rock alternatif a fait son entrée dans la « maison », il y a vingt ans. Directeur régional à La Réunion depuis octobre 2017, il croit possible une autonomie électrique de 70 % à 80 % d’ici une dizaine d’années. Sous certaines conditions…
On le disait moins communicant que son prédécesseur Michel Magnan. Mais en quelques mois, avec le concours de Betty Salembier, sa responsable communication, Olivier Duhagon a prouvé le contraire, multipliant les rencontres avec les acteurs de terrain, les partenaires et la presse. « Dans mon précédent poste à Nantes (où il était directeur régional Enedis – opérateur de réseau – pour les Pays de Loire – NDLR), j’avais trop tardé en pensant qu’il fallait d’abord bien connaître l’interne. Mais le temps passe très vite. Cette fois, j’ai décidé de procéder en simultané. » Olivier Duhagon est resté trois ans et demi à Nantes pour son premier poste de directeur régional et même si, dans cette région importante, il pouvait s’appuyer sur des directeurs départementaux, ça reste court. Il aime voir de ses propres yeux et comprendre par lui-même. « J’ai besoin de connaître les gens, mais aussi les projets des collectivités à tous les niveaux, y compris sportifs… Derrière un maire, il y a un adjoint, derrière un adjoint un responsable de service et derrière lui un attaché. Mais j’ai aussi besoin de connaître les start-up et tous ceux qui font l’économie de demain. » De fait, EDF ayant le monopole de la distribution d’électricité à La Réunion, contrairement à l’Hexagone, c’est un acteur incontournable. Un acteur qui est aussi un « vrai service public » dont un tiers des clients se trouvent en situation de « précarité énergétique ».
Un grand bond en avant nécessaire
Investi de sa mission de service public, Olivier Duhagon croit aux bienfaits du principe national de péréquation tarifaire qui permet à tous les Français, y compris hors de l’Hexagone, de payer le même prix. Ceux qui prônent une politique plus territoriale, où l’argent de la solidarité nationale serait géré différemment, pour soutenir l’autoconsommation, sont loin de le convaincre. « On fait la confusion entre plusieurs leviers. La solidarité nationale, c’est un principe qu’il faut conserver dans ses modalités actuelles. Mais cela n’empêche pas d’accompagner plus largement le développement du photovoltaïque et des énergies renouvelables. » Pourtant, les objectifs fixés par la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) semblent utopiques. En 2017, la part des énergies renouvelables dans la production d’électricité a baissé pour la deuxième année consécutive, se situant à 32 %. On est bien loin des 46 % visés pour 2018 et des 72 % pour 2023, sans parler des 100 % en 2030. Mais le directeur régional d’EDF se montre optimiste. « Nous défendons un modèle où l’on pourrait atteindre 70 % à 80 % à échéance 2028-2030. » Ce qui suppose un bond en avant à travers de grandes fermes photovoltaïques et surtout la reconversion des centrales d’Albioma qui fournissent 47 % de l’élec tricité. En effet, si EDF détient le monopole de la distribution, ce n’est pas le cas pour la production dont elle n’assure que 43 %. Sachant que la production d’Albioma provient à 9 % de la bagasse et à 38 % du charbon, on mesure la marge de progression. Mais ses centrales devront brûler certains types de déchets à la place du char bon et ce nouveau modèle reste encore assez flou. Sans doute faudra-t-il importer des déchets si l’approvisionnement local n’est pas suffisant.
Les compteurs « communicants » à la rescousse
Pour le patron d’EDF, « quel que soit le scénario, nous pouvons progresser et, de toute façon, nous nous adapterons ». En parallèle, le distributeur poursuit ses efforts dans la maîtrise de la demande d’énergie « où il existe des gisements importants ». L’éclairage public, par exemple, représente 40 % de la facture d’électricité des collectivités. Raison pour laquelle un ingénieur EDF les accompagne pour choisir les usages les plus performants. Des aides à l’installation d’équipements dans ces collectivités, mais aussi chez les industriels et dans le tertiaire, peuvent atteindre 40 % de l’investissement. Travailler sur l’isolation est une bonne chose, mais il faut aussi faire évoluer les comportements, souligne Olivier Duhagon qui parle de « tarifs verts » plus fins que les heures « pleines et creuses » proposées aux particuliers. Avec les nouveaux compteurs numériques, il s’agit aussi d’intéresser les particuliers à leur consommation. « Actuellement, les repères ne sont pas suffisants et les factures manquent de clarté. » L’un des grands chantiers consiste donc à renouveler 400 000 compteurs d’ici à 2024. Un investissement de 78 millions d’euros. « Pour cela, nous faisons également appel à des prestataires externes, des entreprises réunionnaises, car il s’agit d’un travail de grande ampleur. Pour vous donner une idée, nous n’en sommes encore qu’à 6 600 compteurs installés depuis décembre 2017. » Des compteurs « communicants » qui évitent des déplacements et, surtout, permettent de gérer beaucoup plus finement l’équilibre entre l’offre et la demande.
Le stockage solution d’avenir
Actuellement, si le charbon demeure la première source d’énergie à hauteur de 38 % avec les deux centrales d’Albioma, il est suivi du fioul à 29 %. Et là, c’est du ressort d’EDF qui, en 2013, a investi 500 millions d’euros dans sa nouvelle centrale du Port. Un investissement colossal qui prendra du temps à s’amortir. On peut toujours se demander, selon une logique comptable, si cela ne freine pas le développement des énergies renouvelables. « Non, répond Olivier Duhagon, la centrale au fioul nous a apporté de la flexibilité par rapport aux énergies renouvelables intermittentes comme le solaire. Mais La Réunion est concernée par le « plan batterie », lancé au plan national, qui vise le stockage. C’est une solution d’avenir. » L’autre levier, c’est le recours à l’effacement, d’où l’importance de gérer le plus intelligemment possible le réseau.
Olivier Duhagon fêtera cette année ses 20 ans de maison. Il a fait son entrée chez EDF en 1998, doté d’une maîtrise en management et d’un DESS en marketing tout en ayant une « appétence pour le technique ». Durant son parcours, il découvrira d’ailleurs plusieurs métiers au quatre coins de l’Hexagone, dont celui de directeur des ressources humaines (DRH) au centre de Clermont-Ferrand. Directeur régional Enedis -opérateur de réseau – à Nantes (pour les Pays de Loire) avant d’être nommé à La Réunion, il déclare aimer son métier et prendre le temps qu’il faut pour atteindre ses objectifs. Un peu comme dans la course d’endurance qu’il pratique régulièrement, plus précisément le semi-marathon avec plusieurs compétitions à son actif.
Âgé de 45 ans, ce père de deux filles de 12 et 14 ans, est aussi un fana de rock alternatif, ce qui ne l’empêche pas de goûter à la littérature et d’apprécier, par exemple, Michel Houellebecq. « Mes goûts sont très éclectiques. Je fonctionne au coup de cœur en traînant dans les librairies. » De même, il avoue traîner dans les musées quand il le peut. Mélange de Basque et de Normand, c’est au Pays basque qu’il se ressource. Un pays où « les gens sont entiers et pas toujours faciles d’accès, mais authentiques ». Des racines qui ne l’empêchent pas de se sentir « foncièrement citoyen européen ». Aujourd’hui à La Réunion, il veut comprendre toutes les spécificités de ce territoire et se tourner vers l’écosystème qui lui semble très dynamique et consistant. « EDF ne peut pas tout faire toute seule, nous avons besoin de toutes les compétences pour accélérer la transition énergétique. »