Eco Austral

Découvrez tous nos articles en illimité. Je m’abonne

Logo Eco Austral
n

Eco Austral

Grégory Martin
Océan Indien

Plus de coopération régionale : un remède anti-crise

Grégory Martin, responsable de l’antenne de la Région Réunion à Maurice, voit dans la crise l’occasion d’accélérer les échanges et la mutualisation des ressources et des expertises. Il se livre à un petit exercice de prospective à partir de la réalité d’aujourd’hui.

Nous sommes le 10 mai 2025. Le MCP Famagusta de la compagnie Sealogair – appartenant à la co-entreprise de l’EDB (Economic Development Board) et de Nexa (les deux agences de promotion des investissements de Maurice et de La Réunion) – arrive à La Réunion pour livrer la troisième cargaison de 150 000 tonnes de pellets d’eucalyptus. Ils ont été produits à Madagascar, dans une forêt PEFC (gérée durablement) à proximité de Fort Dauphin. Le navire livre ensuite la même quantité de combustibles aux IPP (Independant Power Producers, les producteurs indépendants d'énergie) de Maurice. En mutualisant leur approvisionnement en biomasse, les deux îles s’affranchissent du charbon (plus de 1,3 million de tonnes chaque année) et permettent à Madagascar de devenir le premier producteur de biomasse durable d’Afrique de l’Est et de l’océan Indien. Puis ce bateau livrera 2 000 tonnes de pneumatiques usagés venus de Maurice à la société réunionnaise Solyrub qui les transforme en revêtement de sol, tapis d’amortissement ou rebords de trottoirs. Tout cela grâce à la coopération entre les îles soeurs qui ont décidé d’harmoniser leur transition énergétique après la crise de la covid-19 en 2020. Pour revenir au mois d’avril 2020 : le virus a ébranlé nos sociétés. Notre premier réflexe a été de se contracter car il fallait des réponses locales sanitaires et économiques fortes. La coopération est passée au second plan. 

La covid-19 accélère la coopération 

Mais rapidement les discussions ont repris entre nos îles. Les premiers furent les industriels de l’Association pour le développement industriel de La Réunion (ADIR) et leurs homologues de l’Association of Mauritian Manufacturers (AMM) qui ont partagé, par exemple, les plans d’une visière de protection produite localement. Puis s’est posée la question de la sécurisation de la ligne maritime entre les deux territoires avec la Sealogair (petite compagnie créée en décembre 2019 qui dessert principalement les trois îles de la zone). Face au risque d’abandon des lignes par les grandes compagnies maritimes, il fallait absolument soutenir cet outil pour la sécurité de nos îles. Au niveau politique, le ministre mauricien des Affaires étrangères, Nando Bodha, et Didier Robert, le président du Conseil régional de La Réunion, ont décidé de mutualiser la logistique entre Air Mauritius et Air Austral pour importer le matériel de bio-sécurité produit en Chine. 
Quant au CHU (Centre hospitalier universitaire) de La Réunion, qui a constitué une équipe de cinq experts pour appuyer les Seychelles face à la covid-19, il a proposé au ministère mauricien de la Santé d’échanger régulièrement sur la situation et de partager les bonnes pratiques. 
Ces exemples démontrent que Port-Louis et Saint-Denis ont compris l’importance de faire front. Cette coopération sera mise en exergue avec la reconstruction. 

 

Grégory Martin
« La question de l'avenir de nos déchets n'a jamais autant passionné les débats. »
 

La reconstruction pour se repenser 

Comment assurer une certaine autonomie énergétique ? Comment assurer la sécurité alimentaire ? Comment préserver nos populations et apporter une certaine justice sociale, lorsque nous ne sommes que de petites îles au milieu d’un océan si vaste ? La solution, Gaël Giraud, économiste en chef de l’Agence française de développement (AFD), l’a rappelée lors d’une intervention à TEDx (série de conférences organisées au niveau international par la fondation The Sapling Foundation) : « L’intérêt général ne peut être défendu que par la coopération et la solidarité de tous avec tous ». Maurice et La Réunion ont tout intérêt à coopérer davantage car elles sont complémentaires et proches. Depuis une dizaine d’années, cette coopération s’est renforcée sur la transition énergétique avec le Programme national d’efficacité énergétique (PNEE) et la transition vers une agriculture durable et la sécurité alimentaire avec le programme Smart Agriculture. Fortement soutenues par l’Union européenne avec le Feder Interreg (Fonds européen de développement régional, principal instrument de la politique européenne de cohésion économique, sociale et territoriale) et l’AFD et déployées par le secteur privé grâce à des PPP (Partenariats public-privé), ces transitions apportent des réponses communes. 
Nos décideurs l’ont compris, avec notamment la co-construction d’une économie circulaire annoncée par Didier Robert et le Premier ministre mauricien, Pravind Jugnauth, en juillet 2019. Cette décision a été suivie d’une mission à La Réunion du nouveau ministre de l’Environnement, Kavy Ramano, accompagné par la conseillère régionale Nathalie Noël. La question de l’avenir de nos déchets n’a jamais autant passionné les débats. De même que celle de la préservation de la biodiversité, qu’elle soit terrestre ou maritime. Inutile de rappeler que cette pandémie est une résultante de notre rapport exécrable avec la nature… 
Sur chaque île, il y a des initiatives et des experts qui peuvent apporter des solutions. Je pense au Centre de coopération internationale en recherche agronomique (Cirad) avec leurs experts qui améliorent la captation du carbone dans le sol, ou encore à Yashvin Neehaul, chercheur et biologiste au sein de l’ONG Mauritius Océanography Institute, et le seul expert de la pollution marine plastique dans l’océan Indien. Je peux aussi citer Globice qui effectue un travail incroyable dans la préservation des cétacés… Il y a une dizaine d’initiatives positives. Mais l’information importante est que ces acteurs du changement coopèrent ensemble. 

Des projets dans la transition écologique 

Nos territoires ont la capacité de devenir de véritables pionniers dans la transition écologique. Nos secteurs privés l’ont bien compris et portent depuis une décennie des projets de coopération. Nous devons notamment saluer l’engagement de Business Mauritius dans la transition écologique. Cette organisation qui représente le secteur privé mauricien a compris l’importance d’avancer groupé avec l’île soeur sur ce sujet. 
Hormis le PNEE, la coopération agricole déploie une véritable transition. Des agronomes experts du Cirad avec la Chambre d’agriculture ont appuyé la transition agricole de Maurice. Le lycée agricole de Saint Joseph, à La Réunion, a formé à Rodrigues 75 agriculteurs. L’ONG Vélo Vert a permis à 20 exploitations agricoles de La Réunion et de Maurice d’échanger sur de meilleures pratiques agro-écologiques… 
Il s’agit de rehausser la qualité des productions agricoles, d’avoir une cartographie des productions entre nos îles pour in-fine permettre des échanges commerciaux de production agricole et donc favoriser la sécurité alimentaire entre nos deux îles. C’est exactement ce type de réponse que nos territoires peuvent apporter pour l’après covid-19. 
Les exemples sont légions, qu’ils soient dans l’énergie, la construction durable, la santé, l’éducation… Néanmoins la coopération souffre d’un manque crucial de visibilité qui ne permet pas, pour le moment, de fédérer tous les décideurs et d’harmoniser les objectifs et les moyens. Cependant, avec cette crise, elle n’a jamais eu une telle opportunité de s’accroître et de s’imposer comme la solution pour les territoires qui souhaitent changer leurs modèles. 
La question est la suivante : Allons-nous repartir sur les acquis et refaire les erreurs qui nous ont conduit à la situation actuelle ? Ou allons-nous réellement prendre ce virage ensemble et co-construire une région plus résiliente, juste et vertueuse ?