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Pourquoi l’Union Européenne n’est pas réformable

Si certains s’accrochent encore à l’espoir d’une réforme des institutions de Bruxelles, l’essayiste Roland Hureaux n’y croit pas. Il prédit une chute finale à laquelle il faut se résoudre en s’efforçant qu’elle fasse le moins de mal possible.

Chaque fois, c’est la même chose. Après les référendums français et hollandais de 2005, la qualification de Le Pen au second tour de la présidentielle en 2002, les élections autrichiennes anciennes et récentes, au vu des abstentions massives et des résultats de partis ex-trémistes aux Européennes, on dit : « Ça ne peut pas continuer », il faut modifier en profondeur le mode de fonctionnement de l’Union européenne pour la « rapprocher des peuples ». Il faut que l’Europe soit moins technocratique, plus « à l’écoute », plus ouverte. Il faut, dit-on même, « construire » une autre Europe, plus démocratique, plus transparente, qui adopte un nouveau mode de gouvernance et un nouveau modèle de développement. Encore heureux si nous échappons à ceux qui prônent, pour surmonter les crises, « plus de pédagogie », qui veulent mieux expliquer l’Europe à des peuples qui s’obstinent à ne pas la comprendre, comme les gardes rouges allaient au peuple pour lui expliquer la pensée de Mao. Et si les peuples n’avaient que trop bien compris ? De toutes les façons, le projet européen est simple à comprendre : s’ils n’en veulent pas, ils ont peut-être leurs raisons. Pire encore, ceux qui veulent résoudre la crise de l’Europe par « plus d’Europe », fuite en avant bien connue qu’ont pratiquée tous les régimes idéologiques. Le centralisme ne marche pas : on centralise encore plus. N’est-ce pas ce qu’on nous prépare après le Brexit avec les projets de Force de sécurité ou de ministre des Finances européens ?

UN PROJET INTRINSÈQUEMENT IRRÉFORMABLE

Disons-le tout net : il n’y a rien à espérer des intentions de réforme de l’Union. Et cela pour une raison simple : il est intrinsèque à un projet comme le projet européen d’être irréformable et de s’aliéner les peuples. Intrinsèque parce qu’il n’est pas un projet pragmatique de « bonne gouvernance » ou de coopération entre les peuples, il est une utopie à laquelle ses promoteurs veulent donner corps, une idée abstraite qui précède les réalités. Et comme toute idéologie, même au départ régionale, est secrètement universaliste, elle est un projet de refondation du monde. Or, personne n’a jamais eu envie d’être un cobaye.

UTOPIE OU IDÉOLOGIE : LE PROJET EUROPÉEN PART DE TROIS ABSOLUS 

D’abord la suppression des États : on le sait bien à Bruxelles où, à côté du renforcement des institutions communautaires, s’effectue un inlassable travail de sape pour affaiblir les États et discréditer les dirigeants politiques du continent, réduits à l’état de zombies dans une mécanique qui leur échappe. Pour aboutir à quoi ? Un super État continental – « un empire non impérial », disait Barroso, dont nous savons, depuis son recrutement par Goldman Sachs, « d’où il parlait » ? Ou même, à terme, un super État mondial, non moins redoutable. C’était le projet inavoué de Jean Monnet. Quand on sort de la langue de bois, cela s’appelle une hyper centralisation continentale ou planétaire. Est-il nécessaire de le rappeler, cet objectif se fonde sur l’idée qu’à l’origine des guerres et de toutes les horreurs du passé se trouvent les États-nations et qu’il faut donc les supprimer, idée aussi simpliste que de dire qu’à l’origine de tous les maux du monde se trouve la propriété privée et qu’il faut elle aussi la supprimer. Ensuite, un marché parfait : l’économie de marché n’est pas en soi mauvaise mais, érigée en système, elle tend à s’étendre sans limites territoriales. Là aussi, le projet européen s’articule sur un projet mondial de libre circulation des marchandises, des services et des capitaux que ses promoteurs font prévaloir sur le maintien des capacités productives européennes (affaire Péchiney). Si le marché fait partie de l’ordre naturel, le marché pur et parfait est une utopie qui n’existe que dans les livres d’économie. En son nom, l’Acte unique de 1987 a arasé systématiquement, par une impitoyable « mise aux normes », toutes les particularités culturelles propres aux pays européens.

BRUXELLES : UN COLLÈGE DE GRANDS PRÊTRES

Cette Europe conduit naturellement à la signature du TAFTA dans lequel cette logique, étendue à tout le monde occidental, irait jusqu’à abroger le pouvoir de régulation des États. Toute idéologie, même régionale au départ, est universaliste.
La monnaie unique est une déclinaison de ce projet. Certains voient l’euro fusionner un jour avec le dollar. Monnaie parfaite, elle doit donc être non seulement unique mais forte, au mépris des propensions différentes des peuples à l’inflation et aux dépens des intérêts les plus évidents de la plupart de États d’Europe, Allemagne exceptée. Enfin, la libre circulation des personnes sur le territoire européen réalisée dans l’espace Schengen (qui n’est d’ailleurs pas une nouveauté : elle existait avant 1914) est inséparable pour ses promoteurs d’une libre circulation des hommes à travers le monde, d’un objectif de « No Border » tel que le promeut la Fondation Soros. Il n’y a pas à espérer que l’Union européenne soit « enfin » efficace pour contrôler ses frontières extérieures. Son idéologie l’exclut. Sur tous ces sujets, la commission de Bruxelles n’est pas un secrétariat neutre, mais un collège de grands prêtres qui prend chaque fois parti dans le sens de l’utopie. Elle a ainsi fortement appuyé Angela Merkel dans sa large politique d’accueil. C’est pourquoi n’ont jamais marché que les projets qui échappent à cette mécanique : Airbus, Ariane, l’OCCAR (Organisation conjointe de coopération en matière d’armement – Ndlr) que l’on présente à tort comme des succès de la construction européenne.

IL FAUT ROMPRE AVEC L’UTOPIE

Confrontée à la révolte de peuples, la machine européenne pourra promettre des aménagements. Mais ils ne seront que de façade.
Les tenants de l’utopie sont comme les membres d’une secte qui, quand il le faut, affichent à l’extérieur un discours humaniste sur le thème de la paix, de la coopération, de la démocratie, mais qui ne dévoilent qu’aux initiés leurs objectifs ultimes, radicalement différents. Leurs concessions sont provisoires. Un peu comme les Frères musulmans, sous une apparence humanitaire, cachent aux foules arabes leurs vrais objectifs : l’application intégrale de la charia et la conquête du monde. « Deux pas en avant, un pas en arrière », disait Lénine.
Pour se réformer sérieusement, l’Union européenne doit tout simplement cesser d’être un projet idéologique, elle doit renoncer à ses trois objectifs fondamentaux, non pour en prendre le contrepied, mais pour ne pas en faire un absolu. Elle doit cesser d’être un projet de monde parfait. Si une nouvelle forme de coopération européenne devait s’établir, il faudrait qu’elle rompe radicalement avec ces utopies. Il ne faut même pas parler de « construire » ou « reconstruire » quoi que ce soit car ce terme est déjà idéologique, comme l’avait vu Hayek. Le réel, rien que le réel. Mais ce serait là une révolution mentale immense qui n’a d’équivalent que l’abandon de la perspective du communisme (l’« avenir radieux ») en Union soviétique. C’est la renonciation à toute une eschatologie séculière. 

BIENTÔT LA CHUTE FINALE

Dans une Europe déchristianisée, le projet européen a fonctionné comme une nouvelle religion, ce qui explique l’intolérance extrême de ses tenants à l’égard de ceux qui le remettent en cause -aujourd’hui les Anglais qui ont voté le Brexit, d’autres demain -, leur amertume, leur propension à la dénégation sous la forme par exemple de prévisions apocalyptiques absurdes pour le Royaume-Uni. Il faut que les Européens voient que le ciel de l’utopie politique est vide, que la politique ne consiste pas à réaliser un « grand œuvre » dont les êtres de chair et de sang seraient les briques, mais à gérer au jour le jour des intérêts ordinaires, de manière pragmatique et si possible efficace.
Non, il n’y aura pas de réforme de l’Europe de Bruxelles. Sa seule perspective est la « chute finale ». Toutes les chutes font mal. Le grand problème politique d’aujourd’hui est que celle-là fasse le moins mal possible.

José Manuel Barroso
European Union/Gino De Laurenzo

BARROSO : DE MAO À GOLDMAN SACHS
José Manuel Barroso, président de la Commission européenne de 2004 à 2014, parlait à propos de l’Union européenne d’un « empire non impérial ». Son recrutement par Goldman Sachs en juillet 2016 nous fait mieux comprendre de quel empire il s’agit. Rien d’étonnant d’ailleurs quand on se penche sur le parcours de cet ancien maoïste, impliqué dans la « Révolution des œillets » survenue au Portugal avec le coup d’État militaire du 25 avril 1974. C’est à ce moment-là qu’il entretiendra des liens étroits avec la CIA et rejoindra le Parti social démocrate (PSD), parti de centre droit. Ce qui lui vaudra d’entrer à 29 ans au ministère de l’Intérieur portugais comme numéro deux. Deux ans plus tard, on le retrouve secrétaire d’État aux Affaires étrangères et à la Coopération où il se chargera du règlement du dossier angolais au profit du pro-américain José Eduardo dos Santos. Ministre des Affaires étrangères entre 1992 et la défaite du PSD en 1995, il achève sa formation à Washington, participe au « Georgetown Leadership Seminar » (1998) et prend dans la foulée la présidence du PSD. Premier ministre (2002-2004), il s’engage sans réserve aux côtés de George W. Bush en privatisant la société nationale de pétrole portugaise au profit du fonds d’investissement Carlyle ou encore en organisant, le 16 mars 2003, le sommet des Açores où fut annoncée l’invasion de l’Irak par la coalition. Désigné président de la Commission européenne en 2004 sur insistance de Tony Blair, il sera reconduit en 2009 avec, à son actif, en 2011, l’organisation du renversement du Premier ministre grec Giórgos Papandreou au profit de Loukas Papadimos, ancien de Goldman Sachs, et du président du Conseil des ministres italien Silvio Berlusconi au profit de Mario Monti, également passé par Goldman Sachs. Source : « Faits & Documents ».

Jean-Claude Juncker
Commission européenne

JEAN-CLAUDE JUNCKER : L’ANCIEN TROTSKISTE
Les conclusions de l’im-portant dossier consacré à Jean-Claude Juncker, ancien trotskiste et pré-sident de la Commission européenne depuis 2014, par le site « Politico » (juin 2016) sont sans ap-pel : « Beaucoup d’offi-ciels de Bruxelles disent qu’ils ne se souviennent même pas de la dernière fois qu’ils l’ont vu. Les gens ne se plaignent pas, parce qu’il n’est pas indispensable au fonctionnement quotidien de l’UE. » À titre d’exemple, Jean-Claude Juncker a pris 25 week-ends de quatre jours en deux ans, sans compter les périodes de congés et n’a visité qu’un seul pays d’Europe de l’Est (la Lettonie) depuis sa prise de fonction.

Roland Hureaux
(*) Roland Hureaux

Ancien élève de l’École normale supérieure et de l’École nationale d’administration (ENA), agrégé d’Histoire, il été sous-préfet, conseiller technique à la DATAR, au cabinet de Philippe Séguin, à la Cour des Comptes. Premier adjoint au maire de Cahors (Lot) de 2001 à 2003. Consultant en matière de collectivités locales et d’aménagement du territoire. Auteur de nombreux ouvrages relatifs à l’administration territoriale et à l’aménagement du territoire, notamment : « Un avenir pour le monde rural » (Pouvoirs locaux, 1993), « Les Nouveaux féodaux » (Gallimard, 2005) et « L’Antipolitique » (Privat, 2007). Son dernier livre, « La grande démolition – La France cassée par les réformes » (Buchet-Chastel, janvier 2012), dresse un bilan calamiteux de vingt ans de réformes en France.