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Russie/Ukraine

Poutine rafle-t-il la mise ? Cinq raisons qui le prouvent

Il n’a pas hésité à faire payer au peuple russe le prix nécessaire, ce qui ne l’empêche pas d’être plus populaire dans son pays que les dirigeants européens chez eux. Le consultant Alex Korbel montre comment le dirigeant russe a su habilement gérer la crise…

Ce qui ressort de cette crise est que Vladimir Poutine serait prêt à faire payer à la société russe un prix important pour protéger les intérêts de l’État russe. Revenons sur les cinq cartes qu’il a empochées au cours des six derniers mois :

1) L’OTAN ne s’élargira plus

Tout d'abord, Vladimir Poutine a mis un coup d’arrêt – et pour longtemps – à toute idée de nouvelle expansion de l’OTAN. L’État russe s’est opposé à la marche de l’OTAN vers l’Est depuis le milieu des années 1990 mais n’a jamais été en mesure d’y mettre un frein. La courte guerre de 2008 entre la Russie et la Géorgie a été la première tentative de Moscou de tracer une ligne rouge. Cette fois, la crise ukrainienne démontre que toute tentative future de faire entrer l'Ukraine dans l'OTAN ou dans l’Union européenne fera face à une opposition ferme de la part de l’État russe et conduira probablement au démembrement du pays considéré.

2) La Crimée et les ressources de la mer Noire seront russes

Cette prise a entraîné certains coûts à court terme (y compris de légères sanctions économiques), mais elle a cimenté le contrôle russe sur la base navale de Sébastopol et permettra à la Russie de revendiquer les réserves de pétrole et de gaz de la mer Noire, estimées à plusieurs milliards d’euros. Les États-Unis et l'Europe tenteront de bloquer l’exploitation de ces réserves par l’État russe mais seront susceptibles de lever le pied une fois la situation ukrainienne stabilisée. Et concrètement, si la Russie décide finalement de commencer l'exploitation de ces zones, peut-on imaginer les États-Unis envoyer la 6ème flotte pour l’arrêter ? Non.

3) L’Ukraine reprend sa place « d’entre-deux »

Troisièmement, Moscou a rappelé aux dirigeants ukrainiens qu'elle a plusieurs façons de rendre leur vie impossible. Peu importe leurs propres inclinations, il est dans leur intérêt de maintenir une relation cordiale avec Moscou. Le nouveau président ukrainien semble avoir bien reçu le message. Depuis sa prise de fonction, il a clairement fait savoir qu'il veut approfondir les liens économiques entre l'Ukraine et l'Europe – ce qui est essentiel pour espérer reformer une économie ukrainienne en situation alarmante – mais qu’il a également l'intention d'améliorer les relations du pays avec la Russie.

4) Le front européen de la Russie ne se réarme pas

L’appel à « faire revivre » l'OTAN est un vœu pieux, si ce n’est de la pure fiction. Certes, l'alliance atlantique a fait déployer quelques avions de guerre à l'est pour rassurer ses membres baltes et Washington s’est fendu des déclarations habituelles promettant une aide militaire à la Pologne. Mais ce qu’il faut retenir de cette crise est que l’élargissement de l’OTAN n'a jamais été basé sur des calculs d'intérêts et de capacité : les États-Unis et leurs alliés ont tout simplement supposé que l'article 5 les engageant à défendre les membres de l'OTAN n'aurait jamais à être honoré. Qu’en est-il des discussions européennes sur l’augmentation des dépenses de défense ? Elles n’empêcheront pas Vladimir Poutine de dormir. Les membres européens de l'OTAN parlent depuis des années d’améliorer leurs capacités de défense, mais le niveau des dépenses réelles a diminué de façon constante.

5) L’accord énergétique avec la Chine est profitable pour l’État russe

La Russie a signé un contrat gazier avec la Chine portant sur 400 milliards de dollars sur 30 ans. Ne croyez pas ceux qui prétendent que cet accord est mauvais pour Moscou : le prix que la Chine a accepté de payer est certes légèrement inférieur à celui que la Russie applique à ses clients européens, mais il est plus du double du prix payé par la Communauté des États indépendants et permettra à Gazprom d’engranger un joli profit. Plus important encore, l'accord renforce les relations économiques sino-russes et diversifie la clientèle de Gazprom, ce qui lui permettra de faire pression pour négocier avec d’autres clients.

LE TEMPS EST VENU DE CALMER LE JEU

Les manœuvres de Moscou ressemblent à un échec si vous croyez que leur but était de recréer l’Union soviétique. En revanche, si vous pensez que leur objectif était de maintenir l'Ukraine en dehors de la « sphère d'influence » américaine en Europe, tout démontre que Poutine a géré cette crise de manière adroite. Il est temps pour le président russe de jouer l’accalmie maintenant qu’il a raflé à peu près tout ce qu'il pouvait raisonnablement empocher.

Alex Korbel est consultant en affaires publiques européennes.