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Quelles suites pour l’affaire Jérôme Kerviel ?

« Énorme victoire », proclamait sur son compte Twitter l’ex-trader Jérôme Kerviel, le 19 mars dernier, suite à la décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation qui venait pourtant de confirmer sa condamnation à cinq ans de prison dont deux avec sursis. Mais la victoire n’est pas si sûre…

C’est dans les dispositions civiles de l’arrêt que Jérôme Kerviel fonde sa victoire. En effet, la Cour de cassation, par sa décision, annule la dette astronomique de 4,9 milliards d’euros de l’ex-trader envers son ancien employeur, la Société Générale. Cette condamnation record prononcée par la Cour d’appel de Paris le 24 octobre 2012 était au centre des débats. Outre son montant disproportionné, elle était qualifiée de « mort civile » par les soutiens de Jérôme Kerviel. Par cet arrêt de 2012, Jérôme Kerviel devait supporter seul la perte subie par la Société Générale en 2008, alors que des négligences de la banque avaient été relevées au cours de l’instruction (ces négligences fautives de la Société Générale avaient été sanctionnées par une amende de 4 millions d’euros infligée par la Commission bancaire).
Cette nouvelle décision ne signifie pourtant en rien la fin du feuilleton judiciaire opposant Jérôme Kerviel à son ancien employeur. L’affaire doit être maintenant portée devant la Cour d’appel de Versailles.

LA CONDAMNATION PÉNALE   

La Cour de cassation a clairement mis un terme au volet pénal de l’affaire. Par ses agissements au sein de la Société Générale entre 2007 et 2008, Jérôme Kerviel est coupable de faux et usage de faux, d’abus de confiance et d’un délit informatique. Deux ans et dix mois de prison pèsent sur la tête de l’ancien trader, qui avait déjà passé 41 jours en prison en 2008.
Se présentant comme un repenti, Jérôme Kerviel se serait entretenu dernièrement avec le Pape François de la « tyrannie des marchés financiers » lors d’une audience publique hebdomadaire du souverain Pontife, et a choisi de rentrer de Rome à pied pour attendre le verdict de la haute juridiction.  

« LE PROCÈS DE LA SOCIÉTÉ GÉNÉRALE »

Le nouveau procès ne portera donc que sur les intérêts civils. Le principe est le suivant, celui qui par sa faute crée un préjudice à autrui doit le réparer. La Cour de cassation vient de confirmer la faute de Jérôme Kerviel, mais souligne au passage que les juges ont pu constater « l’existence et la persistance, pendant plus d’un an, d’un défaut de contrôle hiérarchique, négligence qui a permis la réalisation de la faute et  concouru à la production du dommage ». En somme, la Société Générale peut se voir attribuer une part de responsabilité dans sa perte de 4,9 milliards d’euros. C’est ce partage de responsabilité entre l’auteur du délit pénal d’une part et sa victime d’autre part qui fonde la décision de la Cour et qui constitue un revirement de la jurisprudence constante depuis 1972. La Cour de cassation sous-entend dans son arrêt que le montant des dommages et intérêts, y compris dans une affaire d'atteinte aux biens, ne saurait être uniquement fixé à la hauteur du préjudice, mais que la légèreté de la victime (ici la Société générale) doit être prise en compte.

« Jérôme Kerviel pourrait être condamné à rembourser la banque d’une somme qui en tout état de cause sera élevée, et pourrait toujours être largement supérieure au milliard d’euros. »  

Dans la jurisprudence postérieure à 1972, l’auteur d’une infraction intentionnelle supportait tout le préjudice qu’il avait causé, peu importait que la négligence de la victime ait pu faciliter la commission de l’infraction. Plus précisément, la Cour de cassation avait, depuis 1972, régulièrement écarté cette possibilité de partage, mais principalement dans des cas où l'auteur de l'infraction en avait tiré profit. L’absence de profit serait donc une condition préalable au partage des responsabilités entre l’auteur d’un délit et sa victime. Soulignant, dans le cas de Kerviel, « l’absence d’un quelconque profit retiré par le prévenu des infractions », la Cour est donc revenue à sa jurisprudence d’avant 1972. Ainsi, l’objet du prochain procès sera de déterminer la part de la négligence de la Société Générale dans sa perte de 4,9 milliards d’euros et celle de Jérôme Kerviel. À l’issue des débats, Jérôme Kerviel sera condamné à rembourser la banque d’une somme qui en tout état de cause sera élevée, et pourra toujours être largement supérieure au milliard d’euros.
Ainsi, pour l’heure, la « victoire »  invoquée par Jérôme Kerviel n’en n’est pas vraiment une.

Avec la collaboration de Grégoire Tonnelle, élève avocat