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Ressources humaines : un grand frein à desserrer

Pour passer au stade de pays développé – une ambition déclarée – Maurice doit accomplir un effort conséquent dans la formation générale et professionnelle. Seule façon de s’attaquer à de nouveaux relais de croissance et d’améliorer la productivité des entreprises.

À l’instar du mot d’ordre lancé en France en 1985 : « 80% d’une génération au Bac », Maurice se donne l’objectif de permettre à chaque famille d’avoir dans ses rangs un diplômé universitaire. Cette volonté se traduit par une explosion des inscriptions dans le supérieur au détriment de l’enseignement professionnel. Celui-ci n’accueillait en mars 2015 que 10 660 élèves contre 50 608 étudiants qui poursuivaient en 2014 des études supérieures. 

UN JEUNE SUR QUATRE SE TROUVE AU CHÔMAGE 

Alors que depuis 2000 la TEC (Tertiary Education Commission), commission pour l’enseignement supérieur, prépare la liste indicative des domaines prioritaires d’étude, certaines filières comme le management ou les sciences humaines sont véritablement des voies de garage avec des taux d’employabilité très faibles. On estime ainsi qu’il y a 5 000 sans-emplois titulaires d’un diplôme universitaire ! Plus grave, un jeune sur quatre se trouve au chômage. Ce déséquilibre a des conséquences non seulement sur le développement de certains secteurs économiques, mais aussi sur leur bonne marche. « Nous n’arrivons pas à avoir les ressources humaines nécessaires », déclare Michel Demari, responsable de la commission des Technologies de l’information et de la communication (TIC) à la Chambre de commerce et d’industrie France-Maurice. De nombreux chefs d’entreprise s’inquiètent également du faible niveau académique des institutions chargées de la formation.Quantité ne rime pas toujours avec qualité. 

L’HÔTELLERIE SOUS PRESSION

Jocelyn Kwok, CEO de l’AHRIM, l’association des hôteliers et restaurateurs de Maurice, souligne la problématique que rencontre son secteur. « Alors même que nous avons accompli des efforts considérables pour valoriser financièrement les emplois et améliorer les conditions de travail, les jeunes ne viennent plus dans nos métiers. Ils ne sont pas assez nombreux à l’école hôtelière qui produit donc moins de techniciens. »
Le secteur hôtelier mauricien a atteint un certain seuil de maturité puisque son offre de formation s’est étoffée avec l’arrivée en 2009 de l’école Vatel. Celle-ci propose des formations de management. Son MBA en Resort Management est d’ailleurs l’un des plus demandés par les étudiants de la première école européenne en hôtellerie. Mais le secteur n’a pas besoin seulement d’officiers, il lui faut des troupes. « Le manque de main d’œuvre formée créé un stress sur le marché du travail qui, au final, abîme le produit touristique Maurice ». Il y aurait 2 000 postes vacants dans l’hôtellerie à Maurice.
 

Eddy Jolicoeur, directeur des ressources humaines de la Mauritius Commercial Bank : « Il faudrait admettre que le client de l’université, c’est l’employeur et pas l’étudiant. »  DR
Eddy Jolicoeur, directeur des ressources humaines de la Mauritius Commercial Bank : « Il faudrait admettre que le client de l’université, c’est l’employeur et pas l’étudiant. »  DR
 

LES ENTREPRISES MISENT SUR LA FORMATION INTERNE

Pour répondre à la problématique des ressources humaines, les entreprises se sont organisées. La plupart des groupes hôteliers mauriciens ont créé leurs propres centres de formation. Le leader Beachcomber vient d’ailleurs d’inaugurer la Beachcomber Training Academy (BTA) et de lancer l’initiative École de Partage, basée sur le mentorat. « Nous avons l’ambition de replacer la formation comme pierre angulaire de notre groupe », soutient son CEO Gilbert Espitalier-Noël. 
Et il n’y a pas que l’hôtellerie à prendre le taureau par les cornes. Eddy Jolicoeur, directeur des ressources humaines de la Mauritius Commercial Bank, la première banque de l’océan Indien, avoue manquer de techniciens dans les métiers liés aux technologies informatiques et aux finances. « Nous misons sur la formation interne et parmi nos 2 500 salariés, beaucoup en sont issus ». La MCB a fait de son département RH un élément primordial de sa stratégie.
Thierry Goder, CEO du cabinet de chasseur de têtes Alentaris, souligne qu’un plan d’accompagnement personnel et de gestion des compétences, qui passe souvent par de la formation, est « aujourd’hui indispensable à toute entreprise ». 
À l’instar de la Beachcomber Training Academy, les centres de formation des entreprises ont pour objectif de permettre la mobilité interne de leurs salariés. Une manière de répondre à des problèmes conjoncturels mais pas structurels. En clair, ils ne sont pas conçus pour former des salariés sans aucune base professionnelle. Une situation qui perdurera tant que les autorités n’auront pas compris que « le client de l’université, c’est l’employeur, ce n’est pas l’étudiant », martèle Eddy Jolicoeur.
 

Inauguration de la Beachcomber Training Academy (BTA) par la ministre  de l’Éducation et des Ressources humaines, Leela Devi Dookun-Luchoomun. Avec Gilbert Espitalier-Noël (à droite), CEO du groupe hôtelier Beachcomber, leader du secteur : « Nous avons l’ambition de replacer la formation comme pierre angulaire de notre groupe. »  DR
Inauguration de la Beachcomber Training Academy (BTA) par la ministre 
de l’Éducation et des Ressources humaines, Leela Devi Dookun-Luchoomun. Avec Gilbert Espitalier-Noël (à droite), CEO du groupe hôtelier Beachcomber, leader du secteur : « Nous avons l’ambition de replacer la formation comme pierre angulaire de notre groupe. »  DR
 

RÉHABILITER LA FORMATION PROFESSIONNELLE

Maurice a plus besoin de cols bleus, en particulier dans le « middle management », les fameux cadres intermédiaires, que de cadres diplômés de l’université. C’est tout le pari que font les autorités. Cette véritable révolution copernicienne passe par la réhabilitation de la formation professionnelle. « Nous avons des gens éduqués mais pas de gens formés, lance Suresh Munbodh, le nouveau conseiller technique pour la Formation professionnelle au ministère de l’Éducation. Nous sommes loin des grands pôles de développement et de recherche internationaux et nous n’avons pas de ressources naturelles. Encore une fois, notre population reste notre principal atout. Mais sans effort considérable dans la formation, nous resterons loin de nos ambitions. » Doit-on y voir un signe fort du gouvernement mauricien ? Suresh Munbodh vient seulement d’être nommé à ce poste stratégique, lui qui a été le fondateur de l’Industrial and Vocational Training Board (IVTB), l’organisme parapublic responsable de la mise en œuvre et de la supervision des formations professionnelles à Maurice. Sa nomination s’intègre dans l’ambitieuse réforme de l’Éducation mise en place par les autorités avec, comme mesure symbolique, la fin du CPE, le Certificat d’études primaires. Cet examen permettant l’accès au collège était devenu au fil des années le symbole de l’iniquité du système éducatif. Il est remplacé par le « Nine-Year Schooling » (NYS), une formation initiale de neuf ans à l’issue de laquelle l’élève choisit d’intégrer une filière générale ou de rejoindre l’enseignement technique.
 

Thierry Goder, CEO du cabinet de chasseur de têtes Alentaris : « Si certains jeunes ont indubitablement un cursus académique intéressant et un savoir-faire solide, il existe des problèmes de savoir-être. »  Davidsen Arnachellum
Thierry Goder, CEO du cabinet de chasseur de têtes Alentaris : « Si certains jeunes ont indubitablement un cursus académique intéressant et un savoir-faire solide, il existe des problèmes de savoir-être. »  Davidsen Arnachellum
 

TROIS ÉCOLES POLYTECHNIQUES PRÉVUES

« Aujourd’hui, il est quasiment impossible pour un simple mécanicien de réparer une voiture tant le véhicule est bourré d’électronique. Son métier a changé car le monde a changé. Pour être compétitif, il se doit d’être formé pour être à jour », souligne Suresh Munbodh. 
Les autorités ont choisi de mettre en place trois écoles dites polytechniques, des sortes de lycées professionnels spécialisés dans les secteurs de la santé, du management et du tourisme.
Quant à la MCB, elle a lancé, pour repérer et former ses futurs cadres, le programme Duo. Il s’agit d’une bourse études-travail destinée aux bacheliers. Ils poursuivront, en contrat en alternance pendant deux ans, un BTS Banque à la Business School de la Chambre de commerce et d’industrie. À la fin du contrat de deux ans, les meilleurs pourront intégrer la MCB.
 

Suresh Munbodh, nouveau conseiller technique pour la Formation professionnelle au ministère de l’Éducation : « Nous n’avons pas de ressources naturelles et notre population reste notre principal atout. Mais sans effort considérable dans la formation, nous resterons loin de nos ambitions. »  Davidsen Arnachellum
Suresh Munbodh, nouveau conseiller technique pour la Formation professionnelle au ministère de l’Éducation : « Nous n’avons pas de ressources naturelles et notre population reste notre principal atout. Mais sans effort considérable dans la formation, nous resterons loin de nos ambitions. »  Davidsen Arnachellum
 

LA FONCTION PUBLIQUE SE DOTE DE SON CENTRE DE FORMATION

La question de la formation ne concerne pas que le secteur privé. Des besoins pressants se font sentir dans la fonction publique. Les autorités ont ainsi créé le Civil Service College. Cette institution a été lancée en novembre 2015. Elle a pour but de proposer des formations aux 85 000 fonctionnaires (dont 52 000 agents de l’État) et apparentés de Maurice. « Du coursier au haut fonctionnaire », précise le Dr Ramesh Durbarry, son directeur général. Sans bâtiment dédié et ne disposant que d’une petite équipe, le challenge semble herculéen. « Mais la technologie va permettre, d’ici trois à cinq ans, à 52 000 fonctionnaires d’accéder à des formations en ligne. »
Détail croustillant… Pour éviter les pesanteurs administratives, l’institution est privée. Dans son conseil d’administration siègent des représentants de l’État (dont le bureau du Premier ministre) et des syndicats. Les modules de formation, vendus dans une fourchette de prix modiques de 2 500 à 4 000 roupies (62,50 à 100 euros), sont proposés à la carte aux différentes administrations. Ces cours prennent en compte la pro-blématique de chaque ministère « tout en créant de la cohérence dans leur application sur le terrain ». 
 

Le Dr Ramesh Durbarry, directeur général du Civil Service College, centre de formation de la fonction publique : « Nous voulons répondre aux besoins des 85 000 fonctionnaires et apparentés, du coursier au haut fonctionnaire. »  Davidsen Arnachellum
Le Dr Ramesh Durbarry, directeur général du Civil Service College, centre de formation de la fonction publique : « Nous voulons répondre aux besoins des 85 000 fonctionnaires et apparentés, du coursier au haut fonctionnaire. »  Davidsen Arnachellum
 

ET SI L’ON PARLAIT DE MÉRITOCRATIE ?

Mais la fonction publique, si elle attire encore de nombreux jeunes, a bien du mal à capter des « cerveaux » que séduit le secteur privé avec des salaires nettement plus alléchants. Si Maurice veut ressembler un peu plus à un Singapour de l’océan Indien, elle devra se pencher sur cette question et développer une véritable méritocratie. « Le secteur public et surtout parapublic est encore trop marqué par le clientélisme politique, explique un cadre qui a pourtant choisi d’y poursuivre sa carrière. Le Civil Service College a des moyens tellement limités qu’on se demande comment il pourra faire monter le niveau de manière significative. »
La gestion des ressources humaines, dans le privé comme dans le public, doit accomplir sa révolution culturelle et permettre d’améliorer la productivité et l’efficience. C’est une condition pour que Maurice puisse jouer dans la cour des pays développés. À l’instar de certains pays comme la Corée du Sud qui, partie de très bas, a mis l’accent notamment sur la recherche & développement pour devenir une économie avancée. Mais cela a pris quand même près d’un demi-siècle. « La montée en niveau est aussi une question de savoir-être et pas seulement de savoir-faire », souligne ce DRH, convaincu qu’il faut revoir complètement un secteur éducatif mauricien trop académique. Mais cela ne se fera pas en un jour. « En attendant, il faut développer le coaching individuel et collectif au sein des entreprises. Un prix à payer pour ne pas freiner leur développement. »

FORMATION CONTINUE : BIEN MAIS PEUT MIEUX FAIRE
Le HRDC (Human Resource Development Council) offre, à travers le Fonds national de formation, des incitations financières aux employeurs et instituts de formation pour encourager le développement du capital humain. Les employeurs, qui cotisent sur les salaires, bénéficient d’une prise en charge partielle de leurs formations par le HRDC, jusqu’à 75%selon leur taux d’imposition. En moyenne, 45 000 personnes bénéficient chaque année d’une formation à travers ce fonds. Mais le système demeure largement perfectible car les remboursements peuvent prendre jusqu’à six mois et même un an dans certains cas. Une avance de trésorerie qui peut dissuader bon nombre d’entreprises. Sans parler de la complexité d’un système où les remboursements peuvent chuter à 20%, ni des dossiers qui se perdent parfois dans le labyrinthe administratif. Si l’on ajoute le fait que certains chefs d’entreprise craignent qu’une meilleure qualification encourage leurs salariés à réclamer une aug-mentation ou à partir chez un concurrent, on comprend que la formation continue n’est pas encore entrée totalement dans les mœurs. Il y a même des dirigeants qui préfèrent se payer, au titre de leur budget formation, une conférence avec un « gourou » plutôt que d’améliorer l’accueil téléphonique de leur entreprise ou leur service clientèle.