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Maurice

Rodrigues, Agalega, St Brandon, les Chagos et les Mauriciens de l’étranger : les oubliés de la République ?

Une tribune libre de Shafick Osman, docteur en géopolitique et fin observateur de la vie politique mauricienne, qui se penche sur le projet de réforme électorale qui fait couleur beaucoup d’encre.

 

Reconnaissons-le : le Premier ministre mauricien, Navin Ramgoolam est, ou plutôt est devenu, un grand stratège. Il a réussi son coup en présentant son Consultation Paper/White Paper sur la réforme électorale à la veille de la rentrée parlementaire du 25 mars dernier qui ne s’annonçait pas des plus faciles pour le gouvernement. Du coup, la Private Notice Question (PNQ) du leader de l’opposition (1), Paul Bérenger, était axée dessus et Ramgoolam a ainsi réussi à focaliser l’opinion publique sur son White Paper et cela continuera jusqu’au 5 mai prochain, date butoir des commentaires sur le Consultation Paper/White Paper, et même au-delà !
Venons-en au contenu : un historique des propositions et mesures électorales bien ficelé, des propositions politiquement correctes – de Rezistans ek Alternativ au MSM, les réactions de la classe politique sont plutôt positives – et surtout acceptables par la classe médiatique et autres acteurs de la société mauricienne. Il existe certes des questionnements sur les questions de pourcentage pour la proportionnelle, mais rien de très fondamental n’est remis en cause. C’est la deuxième victoire de Navin Ramgoolam : ses propositions sont assez bien reçues et il dit même que le projet de loi sera présenté dans un « délai raisonnable ».

RODRIGUES : DE DEUX À TROIS DÉPUTÉS

Il est utile de rappeler que les Rodriguais n’avaient pas de droit de vote jusqu’aux élections de 1967 ! Et sur ce plan, Clément Roussety, élu du PMSD en 1967 et émigré dans les années 80 au Canada, fait figure de héros. Il logea une pétition en Cour suprême, à Maurice, en 1967, pour contester la légitimité du Conseil législatif (ancien nom de l'Assemblée nationale avant la proclamation de la République en 1992, ndlr) de l’époque en demandant à la Cour d’invalider les élections générales de 1959 et 1963 car des électeurs de Rodrigues n’avaient pas de droit de vote. Et ce fut un malheureux « Order in Council » de la reine d’Angleterre, émis in extremis, qui ne donna pas suite à la pétition très valable de Clément Roussety. Ce sont les discussions sur les élections de 1967 qui permirent l’inclusion de Rodrigues dans la carte électorale mauricienne.
Le Consultation Paper/White Paper ne fait pas grand cas de Rodrigues malheureusement. Il préconise le statu quo, c’est-à-dire deux députés élus et aucun traitement séparé pour la proportionnelle. Or, Rodrigues sera perdante avec l’élimination du système de Best Loser actuel. Depuis les élections générales de 1995, Rodrigues a eu droit à des best losers (2) : parfois un siège, mais plus souvent deux sièges. Et cela est important pour Rodrigues car très souvent, on a eu deux partis différents pour représenter « la petite île des Mascareignes » à l’Assemblée nationale. Avec 27 814 électeurs enregistrés à Rodrigues en 2013, il n’est plus question que la circonscription N°21 ait droit à deux députés seulement contre trois, par exemple, au N°2 (Port Louis Sud-Port Louis Centre) qui compte 24 860 électeurs et au N°3 (Port Louis Est-Port Louis maritime) qui, elle, ne compte que 22 682 électeurs. Nous sommes d’avis que la meilleure solution serait de ne pas faire de cas différent, pour la proportionnelle, pour Rodrigues, mais de les compenser, au nom du principe de l’égalité, en octroyant aux Rodriguais trois députés contre deux actuellement.

AGALEGA : UN DÉPUTÉ À PART ENTIÈRE

Il est préconisé dans le rapport de la Commission Banwell de 1966 que Rodrigues soit une circonscription à part entière avec deux membres élus « with the inhabitants of St Brandon and Agalega perhaps being represented by the members for Rodrigues ». Rodrigues a effectivement eu sa circonscription depuis avec deux parlementaires élus depuis 1967 mais quid d’Agalega et de St Brandon ? On les a oubliés jusqu’aux élections législatives de 2000 quand le gouvernement travailliste décida de leur octroyer le droit de vote, mais aux Agaléens seulement (3).
L’action noble du premier gouvernement de Navin Ramgoolam d’accorder le droit de vote aux Agaléens, en 1998, se fit de manière très cavalière : pas de consultation avec les habitants de l’île et leur intégration au sein de la circonscription N°3, Port Louis Est-Port Louis maritime, une région à 1 100 km d’Agalega et inconnue des Agaléens, sauf peut-être pour ceux qui sont venus à Maurice par bateau.
En ces temps de changements, le cas d’Agalega est à prendre en considération. Les Agaléens méritent un député à eux seuls et Agalega devrait être la 22e circonscription de la République mauricienne même si elle serait la plus petite. Nous sommes les premiers à avoir dit cela, dans la presse quotidienne, au moment de la publication du dernier rapport de l’Electoral Boundaries Commission en 2009 et nous sommes heureux que le président de l’ONG « Les Amis d’Agalega » ait été du même avis que nous lors d’une émission de radio, le 12 mars dernier, à l’université des Mascareignes.

AGALEGA ET ST BRANDON : NOUVELLE CIRCONSCRIPTION ?

Quant à St Brandon, comme l’attestent les documents du Bureau des statistiques de 2000 et de 2011, il n’y aurait pas de résident permanent (4) sur cet ensemble d’îlots connu aussi comme Cargados Carajos. Difficile donc de transformer St Brandon en circonscription à part entière, mais l’Etat mauricien devra songer tout de même à un mécanisme pour que les résidents temporaires de St Brandon, partie intégrante de la République de Maurice, puissent voter au moment des élections générales car ces résidents temporaires résident tout de même pendant de longs mois sur l’archipel par an. Comme gouverner, c’est aussi prévoir, nous sommes d’avis qu’une nouvelle circonscription doit être mise en place qui s’appellerait Agalega & St Brandon (5). Ce serait une démarche temporaire, peut-être jusqu’au prochain rapport de l’Electoral Boundaries Commission, en 2019, quand les choses devraient se préciser au niveau des potentiels résidents permanents dans l’archipel de Cargados Carajos. À défaut d’une circonscription avec St Brandon, Agalega, à elle seule, devrait faire partie d’une circonscription avec un député élu et sans proportionnelle, bien évidemment. Quant à St Brandon, à défaut de faire partie d’une circonscription commune avec Agalega, l’État devrait nommer un commissaire, tout au moins, pour gérer l’archipel et non laisser au seul privé la « gestion » de ce patrimoine de la République et de remplacer l’OIDC par une instance plus républicaine.

UN DÉPUTÉ POUR LES CHAGOS

Avec le contentieux qui oppose Maurice à la Grande-Bretagne sur l’archipel des Chagos, avoir un député pour les Chagos au sein du Parlement mauricien serait non seulement constitutionnellement acceptable, mais aurait un bénéfice double : les Chagossiens auraient une voix officielle à l’Assemblée nationale mauricienne et ce n’est pas peu et, deuxièmement, ce serait ô combien stratégique dans la bataille pour la souveraineté mauricienne. Et nous sommes heureux qu’Olivier Bancoult, président du Groupe Réfugiés Chagos, ait dit publiquement qu’un député pour les Chagos est « long overdue », suite à notre proposition du 12 mars dernier sur les ondes de Radio Plus à Camp Levieux. Le seul hic est que les Chagossiens sont en « exil » à Agalega, aux Seychelles, en Grande-Bretagne, en Suisse et à l’île Maurice, entre autres. Comment faire ? Donner priorité aux natifs des Chagos pour se présenter aux élections nous paraît une démarche normale, mais comme c’est une action hautement politique, il faudra des consultations non seulement avec les différentes composantes de la communauté chagossienne, mais aussi avec un corps de légistes d’expérience et de fins techniciens du Bureau électoral pour les modalités et autres conditions de cette élection toute particulière. En tout cas, un député des Chagos au Parlement mauricien comblerait une lacune au niveau de la représentativité des territoires de la République et devrait promouvoir le bien-être des Chagossiens.

UNE REPRÉSENTATION POUR LES MAURICIENS DE L’ÉTRANGER

Une des recommandations ou points forts de la conférence internationale sur la diaspora mauricienne, en 2006, était que les Mauriciens de l’étranger puissent voter à l’occasion des élections générales mauriciennes. Il y avait un sentiment d’appréhension, voire de rejet, de ce souhait légitime de la part des « autorités » à l’époque car cela pouvait évidemment changer les résultats d’une élection drastiquement. Il n’existe pas de chiffre officiel quant à la diaspora mauricienne, mais il est généralement estimé que cela devrait se situer entre 200 000 et 250 000, du Canada à l’Australie, en passant par l’Europe et l’Afrique du Sud, entre autres. Mise à part la problématique du nombre d’électeurs additionnels, c’est bien la problématique du « vot kont gouvernma » ou peut-être, dans certains cas, du vote PMSD historique (6) qui, logiquement, avait fait tiquer certains responsables du pays en 2006. Afin d’avancer sur ce dossier et d’enrayer cette peur de « vot kont gouvernma » ou du vote PMSD de 1967, nous proposons qu’un poste de député soit créé pour les Mauriciens de l’étranger, calqué quelque peu sur le modèle français. Tous les Mauriciens « d’outre-mer » pourront ainsi avoir leur représentant à l’Assemblée nationale de leur pays d’origine en votant dans les différentes ambassades et autres représentations diplomatiques mauriciennes à l’étranger le jour des élections générales. Pour cela, un registre des électeurs de la diaspora mauricienne pourrait être compilé par le Bureau électoral avec le concours étroit du ministère des Affaires étrangères.

    1.    Alors qu’en France, les questions écrites et orales sont des demandes d'explication adressées par un parlementaire à l'exécutif (un ministre), dans les systèmes parlementaires dont Maurice une private notice question (PNQ) est une question du Parlement déposée auprès d'un ministre à l'avance, sur un sujet urgent.
    2.    Hormis 1982 où Sir Gaëtan Duval fut nommé best-loser à Rodrigues.
    3.    Chapeau à feu James Burty David qui avait proposé, au Conseil des ministres, de changer l’ancienne appellation « Agaliciens » (pour les habitants d’Agalega) en
« Agaléens » à la fin des années 90.
    4.    On recense 63 résidents temporaires en 2000 et 25 seulement en 2011.
    5.    Il faudra aussi songer à une appellation officielle et à une orthographie d’Agalega, en français. Devrait-on dire et écrire « Agaléga » en français ?
    6.    La très grande majorité de ceux émigrés en Australie et en Afrique du Sud (mais aussi dans d’autres pays, à l’instar de la France et de la Suisse) dans les années 60 et 70 étaient soit anti-indépendance et/ou pro-PMSD, soit très pessimistes quant à l’avenir de leur pays devenu indépendant.


Shafick Osman

Journaliste et rédacteur en chef, à Maurice dans les années 90, Shafick Osman sera attaché de presse, puis conseiller de deux ministres de l’Éducation, sous trois gouvernements différents, de 1997 à 2002. Il part ensuite pour Lyon et Marne-la-Vallée pour une maîtrise en médias et un DEA en géopolitique. Major de sa promotion, il s’inscrit à Paris IV pour une thèse sur la géopolitique de la République de Maurice. Il décroche brillamment son doctorat en 2013 avec les félicitations unanimes du jury. Shafick Osman dirige sa maison d’édition, Osman Publishing, et a été directeur général des Éditions de l’océan Indien et spécialiste en communication pour un projet de l’Union européenne à la COI. Il a entrepris nombre de consultances dans les îles de l’océan Indien et notamment à Madagascar en août-septembre 2012, à l’occasion de la toute première mission de la COI dans le cadre des élections.