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TICAD 2019
Afrique/Japon

TICAD 2019 : Priorité au business

Le Japon a accueilli la VIIe Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD). Shinzō Abe, le Premier ministre japonais a acté le basculement du sommet Afrique-Japon de l’aide publique au développement (APD) vers l’investissement direct étranger (IDE). Le secteur privé japonais se dit prêt à investir 20 milliards de dollars.

« La nouvelle TICAD (la précédente a eu lieu pour la  première fois en Afrique, – NDLR) constitue un grand tremplin pour ce que j’appelle les EEII. Les deux E signifient Entrepreneuriat et Entreprise, et ce partenariat pousse vers le haut les deux I que sont l’Investissement et l’Innovation. La nouvelle TICAD apportera un soutien sans limite aux deux E, et aux deux I », a d’emblée annoncé le Premier ministre japonais, Shinzō Abe, en ouvrant la septième édition du sommet triennal Afrique-Japon, qui s’est tenu du 28 au 30 août 2019 dans la ville portuaire de Yokohama.
L’événement a accueilli plus d’une trentaine de chefs d’État et de gouvernement et 4 500 délégués. Plus de 150 entreprises japonaises étaient présentes et ont tenu des expositions en marge des rencontres officielles. Parmi elles, des géants, les fameux zaibatsu – les multinationales japonaises – comme Toyota, Mitsubishi ou Honda, mais aussi beaucoup de PME. À noter que les quatre dirigeants de la sous-région de l’océan Indien, à savoir Danny Faure, le président des Seychelles, Andry Rajoelina, le président de Madagascar, Azali Assoumani, le président des Comores, et Pravind Jugnauth, le Premier ministre mauricien, étaient présents. 
Outre les grands médias et agences de presse internationaux, quelques radio-télévisions nationales africaines, 32 journalistes de la presse africaine avaient été invités par le ministère des Affaires étrangères japonais pour couvrir cet événement. La TICAD est organisée conjointement par l’ONU, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), la Commission de l’Union africaine (CUA) et la Banque mondiale.
 

TICAD 2019
Après 2008 et 2013, la ville portuaire de Yokohama a accueilli pour la troisième fois la TICAD, la grand-messe des relations nippo-africaines.   © TICAD VII

Depuis le lancement de la TICAD en 1993, le « berceau de l’humanité » a indéniablement réalisé des progrès. À preuve, malgré la chute des cours des matières premières qui a durement frappé les pays exportateurs de pétrole en 2018, sur les dix économies les plus dynamiques dans le monde, six sont africaines. Le Ghana est en tête avec 8,3 % de croissance, suivi de l’Éthiopie et ses 8,2 %.  Quant à la troisième puissance économique mondiale, elle cherche à trouver des débouchés pour ses produits et à relancer en partie son économie. Car le pays du Soleil-Levant s’enfonce dans la déflation. En 2018, la Banque du Japon (BoJ) a repoussé une énième fois le délai pour atteindre son objectif de 2 % d’inflation, désormais attendu au mieux en 2019-2020 : un aveu d’impuissance qui éloigne la perspective d’un resserrement monétaire. 
Quant aux Abenomics (la politique économique prônée par le Premier ministre japonais, qui s’appuie sur une politique monétaire très accommodante et audacieuse, une relance budgétaire et une stratégie de croissance à long terme), elles ont montré leurs limites. 

Relancer l’économie japonaise

Aussi, Shinzō Abe compte sur l’Afrique pour aider à redémarrer son économie. D’autant qu’avec l’émergence d’une classe moyenne africaine, le continent apparaît comme le dernier marché à conquérir. Mais en dehors de la présence massive de ses véhicules automobiles, le Japon est encore très peu présent en Afrique, contrairement à son grand voisin encombrant, la Chine…  « Y penser toujours, n’en parler jamais. » Cette célèbre expression de Gambetta à propos de l’Alsace-Lorraine, transparaissait en filigrane de ce sommet et symbolisait la rivalité entre Pékin et Tokyo. En effet, depuis le lancement de la TICAD en 1993, le montant total de l’aide publique au développement (APD) apportée par Tokyo s’élève à 47 milliards de dollars. On est encore loin, très loin, des 60 milliards de dollars annuels (!) promis, l’an dernier, par Beijing à l’Afrique lors du VIIe Forum sur la coopération sino-africaine (le Sommet Chine-Afrique). Doit-on y voir un clin d’œil cynique ? C’est exactement le double des engagements promis lors de la dernière Ticad, en 2016… 
Quant aux exportations nippones vers l’Afrique, elles s’élevaient en 2018 à 8,1 milliards de dollars (près de 7,1 milliards d’euros), principalement des voitures et des produits électroniques. Les importations se montaient à 8,9 milliards de dollars (surtout des matières premières, alors que le volume des échanges commerciaux entre la Chine et l’Afrique a atteint 170 milliards de dollars en 2017… Dès lors, difficile pour le Japon d’égaler en terme quantitatif la Chine. Conscient de ce retard, Tokyo se pose cependant comme une alternative crédible. Car ce « retard » peut constituer pour le Japon un point fort en utilisant, comme au judo, les faiblesses de l’adversaire. En l’occurrence, mettre en avant son éthique et la « qualité supérieure » de ses investissements et services.
La stratégie de Beijing en Afrique s’incarne dans la  Belt and Road Initiative, appelée aussi la nouvelle route de la soie. Lancé en 2013 et estimé à plusieurs milliards de dollars, ce projet vise à relier la Chine à l’Europe en passant par l’Afrique. Sa mise en œuvre a été accompagnée, entre 2000 et 2015, de 94,4 milliards de dollars de prêts en faveur de pays africains. Mais ces prêts sont rapidement apparus comme des pièges augmentant dangereusement l’endettement et surtout la dépendance vis-à-vis de Beijing. Car en cas de non-remboursements des crédits, les débiteurs peuvent être amenés à rembourser leur prêt en matières premières ou en infrastructures ! 
Le cas de Djibouti est sur ce point emblématique. La dette publique extérieure de ce pays de la Corne de l’Afrique a bondi, selon le Fonds monétaire international de 50 à 85 % du PIB en deux ans. La raison ? Des créances dues à l’Exim Bank, une institution étatique chinoise.

 

Yokohama
Après 2008 et 2013, la ville portuaire de Yokohama a accueilli pour la troisième fois la TICAD, la grand-messe des relations nippo-africaines.   Photo : Jean-Michel Durand
 

De l’éthique et de la qualité

Révélateur de la méfiance croissante à l’égard de la Chinafrique, la Tanzanie a récemment décliné 10 milliards de dollars pour rénover le port de Bayamago. Par comparaison, le Japon bénéficie d’une réelle confiance en Afrique, notamment pour le respect de ses engagements. S’appuyant sur cette bonne image, le chef du gouvernement nippon n’a pas hésité à insister sur le fait que son pays vise plus d’investissements et non plus de l’aide financière. « Car si des pays partenaires sont profondément endettés, cela gêne les efforts de tout le monde pour entrer sur le marché », a-t-il martelé. 
Et Shinzō Abe de faire la promotion de dispositifs de financement « de qualité » d’institutions japonaises soutenues par son gouvernement. Ces trois prochaines années, « le Japon prévoit de former dans 30 pays africains des experts à la gestion des risques financiers et de la dette publique », a-t-il ajouté comme un clin d’oeil à Beijing. Qualité. C’est l’autre grande force de la proposition japonaise. 
Car les infrastructure construites par Beijing sont souvent pointées pour leur piètre qualité, là où Tokyo entend tirer profit de sa maîtrise technologique. « La qualité supérieure des infrastructures japonaises et le suivi de la maintenance locale leur assurent un coût moins élevé sur le long terme », a insisté l’ambassadeur Masahiko Kiya, responsable de la Ticad VII, lors d’un de ses briefings quotidiens organisés pour la presse africaine.
« La seule livraison de l’infrastructure ou de l’équipement n’est pas la fin du projet », a-t-il précisé. « Nous estimons que des infrastructures de qualité, abordables sur tout leur cycle de vie, sont fondamentales pour une transformation économique durable », assure la déclaration finale de la TICAD VII.
Outre la qualité et le suivi, le Japon propose également des transferts de technologie et des formations comme la mise en place du kaizen, une méthode de gestion de la qualité, fondée sur des actions concrètes, simples et peu onéreuses. 

 

Shinzo Abe
Dans le droit fil de l’orientation lancée en 2016, le Premier ministre japonais, Shinzō Abe, a réaffirmé le rôle considérable du secteur privé comme levier central de sa politique africaine.   © TICAD VII
 

Le secteur privé à la rescousse

Sur le long terme, de nombreux experts pensent que ce modèle de coopération est bien plus bénéfique pour les États africains que celui de la Chine…
Dans le droit fil de l’orientation lancée en 2016, le chef de gouvernement nippon, a également réaffirmé le rôle considérable du secteur privé comme levier principal de sa politique africaine. Répondant à l’appel du Premier ministre, les opérateurs économiques ont répondu favorablement à cette invitation et ont pris l’engagement d’accompagner cette dynamique en augmentant leurs investissements dans les pays africains jusqu’à 20 milliards de dollars. « J’en fais la promesse : le gouvernement japonais fera tous ses efforts pour que cet élan d’investissements privés de 20 milliards de dollars sur ces trois ans grandisse jour après jour ». Plusieurs firmes japonaises, dont les zaibatsu mais également des PME, mettent ainsi en place des stratégies d’expansion progressive en Afrique.  Hideki Yanase, vice-président du constructeur automobile japonais Toyota, a ainsi annoncé l’installation d’une chaîne de montage en Angola. Ce projet devrait coûter 200 millions de dollars. L’essentiel du budget devrait servir à acheter des terrains et construire la chaîne de montage ainsi que des immeubles de bureaux. L’infrastructure permettra d’assembler des voitures, mais également de fabriquer des pièces détachées afin d’alimenter le marché intérieur. Enfin, pour appuyer le développement des relations économiques entre le Japon et l’Afrique, la Chambre de commerce africaine au Japon (CCAJ) a été lancée, en marge de la TICAD VII. 
Précisément pour accélérer et accroître la participation du secteur privé à un moment où la TICAD continue de délaisser progressivement l’aide publique au développement (APD) pour favoriser l’investissement direct étranger (IDE). La CCAJ a pour objectif d’encourager plus de sociétés japonaises, en particulier les PME, à considérer l’Afrique comme destination d’investissement et plus de sociétés africaines à privilégier le partenariat avec le Japon dans un monde où la concurrence pour le marché africain s’accroît. 

Liens entre Maurice et le Japon
Lors de leur (courte) rencontre bilatérale, le Premier ministre japonais, Shinzō Abe, et son homologue mauricien,
Pravind Jugnauth, ont exprimé leur volonté de renforcer les liens entre les deux États insulaires.  Photo : Jean-Michel Durand

Renforcement des liens entre Maurice et le Japon
Lors de leur (courte) rencontre bilatérale, les deux chefs de gouvernement ont salué le fait que leurs deux pays partagent comme valeurs la primauté du Droit et les valeurs démocratiques. Shinzō Abe a aussi évoqué la tenue de la Conférence spéciale sur la promotion de la coopération dans l’océan Indien occidental. Il a assuré que le Japon coopérera avec Maurice pour transformer l’océan Indien en un océan libre et ouvert. Tokyo appuiera le renforcement de la capacité de sécurité maritime par le biais d’un « Programme de développement économique et social » récemment signé entre les deux États. Le Premier ministre mauricien a, quant à lui, exprimé ses attentes quant à un soutien accru de la part du Japon dans la prévention des catastrophes et des accidents maritimes.

Les banquiers s’engagent…
Lors de la TICAD VII, la Banque africaine de développement (BAD) et le Japon se sont engagés à mobiliser près de 3,5 milliards de dollars pour le secteur privé africain. Il s’agit d’un appui à la phase IV de l’Initiative pour le renforcement de l’aide au secteur privé en Afrique (EPSA). Un accent particulier devrait être mis sur les secteurs de l’électricité, des transports et de la santé. Quant au groupe Banque Centrale Populaire (BCP), le groupe bancaire panafricain présent à Maurice à travers sa filiale BCP Bank (Mauritius), il a signé un mémorandum of understanding (protocole d’accord) avec le groupe Sumitomo Mitsui Banking Corporation (SMBC), deuxième plus grande banque du Japon. Il s’agit de développer mutuellement des opportunités d’affaires sur le continent africain.  
Lors de l'inauguration du bureau de l'Economic Development Board (EDB) de Maurice, Mathieu Mandeng, le CEO de la Standard Chartered Bank (Mauritius), a présenté à Yasunori Takeuchi, son homologue japonais de la Standard Chartered Bank (Japan), Maurice comme catalyseur des investissements entre l’Afrique et le Japon, et l’Asie en général. 
EDB mauricien
À l’occasion de l’inauguration du premier bureau de l’Economic Development Board (EDB), à Tokyo, Azim Currimjee, son viceprésident (à l’extrême-gauche), a signé, en présence de Pravind Jugnauth, le Premier ministre mauricien, un protocole d’accord avec Hiroyuki Nemoto, Executive Director du bureau de la JETRO Johannesburg (à l’extrême-droite).   Photo : Signer Jean-Michel Durand

L’EDB mauricien ouvre un bureau à Tokyo
C’est le Premier ministre mauricien Pravind Jugnauth en personne qui a profité de sa présence au Japon pour inaugurer le premier bureau de l’Economic Development Board (EDB), l’agence mauricienne de promotion des investissements, à Tokyo. Devant un parterre de 150 chefs d’entreprise japonais, il a dévoilé l’ambition de ce bureau par le très explicite slogan : Think Africa, invest in Mauritius ! (pensez l’Afrique, investissez à Maurice !). Il est vrai que si les entrepreneurs nippons – mais également mauriciens – montrent de l’appétit pour le marché africain, ils sont également très prudents vis-à-vis d’un continent « lointain, qu’ils ne comprennent pas, qu’ils voient comme dangereux, instable avec beaucoup de problèmes de gouvernance. Là, Maurice a une vraie carte à jouer avec notre démocratie stable et notre État de Droit », glisse un des rares Mauriciens présents à cette cérémonie. À l’occasion de cette inauguration, Azim Currimjee, vice-président de l’EDB, a signé un protocole d’accord avec Hiroyuki Nemoto, Executive Director du bureau de la JETRO Johannesburg. La JETRO (Japan External Trade Organization) est l’organisation japonaise du Commerce Extérieur.  C’est actuellement la Japonaise Rikako Nomura qui dirige le bureau. L’EDB a lancé un appel à candidatures pour des cadres mauriciens.