Traitement des déchets : l’incinérateur toujours en question
Alors que certains le disent incontournable et travaillent sur un projet, l’incinérateur, dont on parle depuis vingt ans, ne séduit pas les collectivités. Pour ses opposants, ce n’est pas le bon modèle économique. Mais encore faut-il développer une véritable politique de valorisation des déchets. Et il y a urgence…
Arlésienne ou serpent de mer, suivant les points de vue, aucun projet d’usine d’incinération de déchets n’est encore concrétisé à La Réunion. Le syndrome de NIMB (« not in my backyard ») le rend difficile à faire adopter sur un territoire de 24 communes dont le « backyard » (arrière-cour) est principalement le Parc national de La Réunion, le lagon, ou les sites classés au Patrimoine mondial de l’Humanité. Mais cela n’empêche pas certains acteurs économiques de plancher sur la question. « Nous étudions actuellement le développement et la mise en place d’un centre de traitement des déchets par incinération, annonce Joël Narayanin, co-gérant du groupe réunionnais La Financière Janar. Cela répond à une vraie nécessité pour La Réunion (…) qui se doit de trouver une solution durable au traitement des déchets. Cet investissement lourd est réellement d’utilité publique. » La part de l’incinération dans le traitement des déchets ménagers s’élève à 34% en France, avec 128 incinérateurs, et jusqu’à 38% en Allemagne et 54% au Danemark. Une directive européenne établit une hiérarchie du traitement qui privilégie la prévention, le recyclage, la valorisation et, en dernier recours, l’élimination des déchets. L’incinération est assimilée à de la valorisation quand le rendement énergétique est supérieur à 65%. « Les incinérateurs sont surtout performants pour la production d’eau chaude et le chauffage urbain, constate Jean-Marc Laurent, directeur général adjoint de la Cinor (Communauté intercommunale du nord). Mais nous n’avons pas ce besoin à La Réunion. » Une valorisation des déchets par l’incinération n’est pas démontrée, en zone tropicale, et les solutions développées en France métropolitaine n’y sont pas spécifiquement adaptées.
80 MILLIONS D’EUROS POUR VALORISER 50% DES DÉCHETS MÉNAGERS
Deux projets d’incinérateurs étaient inscrits, en 1996, au plan d’élimination des déchets ménagers, devenu, en 2013, le PPGDND (Plan de prévention et de gestion des déchets non dangereux). Les échéances électorales constituant des obstacles en matière de choix de sites, pour l’incinération comme pour l’enfouissement, 60% des investissements prévus au précédent plan n’ont pas été réalisés. La Réunion produit 240 000 tonnes de déchets ménagers non recyclés et les deux centres d’enfouissement, de Saint-Pierre et de Sainte-Suzanne, se trouvent en dérogation ultime d’exploitation avant fermeture. « L’urgence de la situation (…) engage chaque acteur, dans ses domaines de compétences, à prendre ses responsabilités pour agir de manière résolue, solidaire et efficace pour une gestion des déchets durables », alerte Daniel Alamelou, vice-président du Conseil général en charge du dossier. Les investissements nécessaires en nouveaux outils de traitement des déchets ont été estimés à 134 millions d’euros, pour de nouvelles solutions d’enfouissement, et à 80 millions d’euros pour atteindre une valorisation de 50% des déchets ménagers à l’échéance 2020. Une usine d’incinération mobiliserait entièrement ce budget pour la valorisation, en consommant aussi une vingtaine d’hectares de rare foncier disponible. Par conséquent, les collectivités privilégient clairement, désormais, le traitement mécano biologique (TMB) et une stratégie multifilières de valorisation.
Daniel Alamelou, vice-président du Conseil général, en charge du PPGDND (Plan de prévention et de gestion des déchets non dangereux) :
« L’urgence de la situation engage chaque acteur à prendre ses responsabilités… » ( – Ipreunion.com)
La poubelle des ménages contient des déchets organiques qui peuvent être valorisés par méthanisation. « Le cœur du projet est une unité de préparation du contenu de la poubelle, chaque type de déchet devant intégrer la filière la plus adaptée pour sa valorisation énergétique », explique Stéphane Babonneau, directeur des services techniques de la Civis (Communauté intercommunale des villes du sud). Le TCO (Territoire de la côte ouest) s’est associé à cette démarche qui vise à implanter sur plusieurs communes des unités de traitement mécano biologique, de méthanisation, de compostage, voire d’incinération. Un projet privé de la STAR (Société de transport et d’assainissement de La Réunion) porte les mêmes orientations pour le nord et l’est de l’île. Ces projets sont encore à l’étude et maintiennent le recours à l’incinération d’un combustible résiduel normé aux caractéristiques contrôlées. « Je pense qu’il faudra au moins une unité d’incinération, en cohérence avec le Schéma régional climat-air-énergie (SRCAE) et dans une logique de coordination énergétique territoriale », déclare Dominique Vienne, président du groupe Convergence, impliqué dans le secteur de l’énergie. Ainsi, la variété des solutions n’exclut pas une partie d’incinération, d’autant que des problèmes se posent, comme la contamination des bio déchets. On peut retrouver des traces de médicaments, substances chimiques ou corporelles dans les résidus de méthanisation et dans les composts.
Le comportement citoyen des ménages et le coût d’un triage efficace seront déterminants pour la faisabilité des process.
Dominique Vienne, président du groupe Convergence : « Je pense qu’il faudra au moins une unité d’incinération, qui soit en cohérence avec le Schéma régional climat-air-énergie… » (- Ipreunion.com)
Mais si la valorisation multi filières produit du déchet résiduel, un incinérateur en produit également. L’incinération génère des fumées – 6 000 mètres cubes par tonne de déchets brûlés – des résidus solides – 300 kilos de mâchefers par tonne – et 40 à 80 kilos de résidus d’épuration des fumées, appelés REFIOM (résidus d’épuration des fumées d’incinération des ordures ménagères) qui sont classés déchets dangereux. Sans parler des effluents liquides.
LA SOLUTION INNOVANTE DU PROCÉDÉ CALCIOR
Selon les experts, l’incinération est devenue un secteur de haute technologie et les systèmes de filtrage des fumées sont si sophistiqués que leur coût peut atteindre jusqu’à 50% de l’investissement total. Plus l’incinérateur évite le rejet de molécules indésirables et plus il en concentre dans les REFIOM. Les mâchefers sont utilisés pour les remblais routiers. Le Français Max Dezier, avec son procédé Calcior, propose une « alternative, déclinable dans le monde entier, à l’incinération, la méthanisation ou l’enfouissage des déchets ménagers ». « Par une réaction physico-chimique, à près de 300°C, entre les déchets ménagers, des boues de station d’épuration (STEP) et un réactif allié à de la chaux vive, pour un coût extrêmement bas, le procédé Calcior produit des granulats solides stabilisés », explique Alain Jouque, représentant de Max Dezier à La Réunion. Mais ces granulats ne sont pas encore acceptés pour les remblais routiers. Max Dezier attend toujours une reconnaissance officielle de leur stabilité à long terme. Mais la réglementation sur l’incinération continue d’évoluer. « Nous informons les collectivités, à La Réunion, des modifications en cours à Bruxelles sur le statut de l’incinération, révèle Alain Jouque, car les modélisations existantes sont remises en cause. » Le Calcior se présente comme une solution globale pour traiter l’ensemble des déchets.
EN PRODUCTION D’ÉLECTRICITÉ, LE RENDEMENT D’UN INCINÉRATEUR EST DE SEULEMENT 11,4%
« Pour notre territoire insulaire, il est plus que nécessaire d’identifier les meilleures valorisations souhaitables pour les différents types de déchets que nous produisons, dans une cohérence économique territoriale, estime Jean-Marc Laurent. Il est également possible d’agir, comme le font certains territoires, en légiférant sur des types d’emballages indésirables, comme le polystyrène. » Des fournisseurs étrangers peuvent se conformer à ce type d’exigence en substituant, par exemple, le carton alvéolé au polystyrène qui n’est pas un produit recyclable.
Jean-Marc Laurent, directeur général adjoint de la Cinor (Communauté intercommunale du nord) : « Les incinérateurs sont surtout performants pour la production d’eau chaude et le chauffage urbain, mais nous n’avons pas ce besoin à La Réunion. » (- Ipreunion.com)
Champion de l’incinération, le Danemark a reconnu, en novembre dernier, pouvoir tirer beaucoup plus de ses déchets en recyclant plus et mieux. Car, pour être rentable, un incinérateur doit pouvoir fonctionner à pleine puissance pendant sa durée de vie, de trente à quarante années. « Dans le milieu naturel de notre île, il n’est pas concevable d’investir lourdement dans un aspirateur à déchets que l’on devra rentabiliser en incinérant le plus de volume possible, au détriment d’une valorisation intelligente et diversifiée », remarque Gaston Bigey, directeur général de Nexa, l’agence de développement. En l’absence de solution adaptée à l’insularité, l’incinération demeure un exutoire pour de petits volumes résiduels. Les huiles de vidange, par exemple, bénéficient d’une autorisation pour être brûlées dans les centrales thermiques. Les DASRI (déchets à caractère sanitaire à risque infectieux) seront désormais collectés isolément pour être incinérés ou désinfectés. La combustion de résidus organiques ultimes pourra être menée de façon simple, comme on le fait depuis peu pour les déchets verts en broyat, en valorisation thermique. Les gros projets de méthanisation en cours, pour la valorisation des déchets carnés, à l’Etang-Salé comme à Saint-Joseph, répondront aux besoins des abattoirs de volaille. Le rendement énergétique moyen d’un incinérateur, pour la production d’électricité, est de seulement 11,4% car il consomme du carburant fossile pour la combustion de déchets à forte teneur en humidité. La collectivité réunionnaise, aujourd’hui, conditionne le recours à l’incinération à une réelle utilité économique territoriale et recherche avant tout des solutions minimalistes d’incinération ciblée et diversifiée. La législation évolue, et toute décision hâtive en faveur d’un projet d’incinérateur pourrait s’avérer à contre-courant de démarches innovantes reconnues.
Le modèle monégasque est intéressant à plus d’un titre. Il montre d’abord qu’une usine de petite taille est viable, mais à condition de l’insérer dans une filière de valorisation des déchets. L’erreur consisterait à opposer les intérêts de l’usine et ceux des recycleurs. Il s’avère aussi qu’un tel projet a besoin d’un soutien public sous une forme ou une autre, surtout au commencement ou lors d’évolutions technologiques majeures. Enfin, troisième enseignement, et sans doute le plus important pour le public, est l’absence de nuisances. L’usine de Monaco, située en plein centre ville, fonctionne depuis 1980. Ses cheminées, qui constituent habituellement la partie la plus visible de ce type d'installation, sont totalement intégrées au bâtiment. Les dernières études sur les flux de dioxines et de furannes (molécules toxiques) prouvent que l'usine est propre, selon les références de l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS). AF
(Crédit photo : Centre de Presse Monaco)