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Maurice

Trop chère la justice ?

S’il est un défaut qu’on peut difficilement attribuer à la justice mauricienne, c’est celui de ne pas être indépendante. De grandes affaires juridiques impliquant de hauts cadres de l’État le prouvent clairement. L’une des dernières en date concernait directement le chef du gouvernement, le Premier ministre Pravind Jugnauth. Accusé de conflit d’intérêt et de favoritisme dans l’affaire Medpoint en 2011, il a été blanchi par le Privy Council début 2019, auquel avait fait appel le directeur des poursuites publiques (DPP) alors que Pravind Jugnauth se trouvait déjà au gouvernement.
Le système judiciaire est respecté à Maurice, surtout parmi les élites. Celle-ci remettent rarement en cause son indépendance et son jugement. Certes, il y a bien eu quelques affaires qui ont ébouriffé ses plumes, comme le Gambling Gate en 2013 où deux assistants d’un juge de la Cour suprême sont accusés d’avoir tenté d’influencer un jugement. Ce type d’affaire reste néanmoins rare…
Le reste de la population ne perçoit pas forcément la justice du même oeil. Selon les chiffres de l’institut de sondage Straconsult, un peu moins de la moitié de la population (49 %) ne fait pas confiance au système judiciaire. Difficile d’identifier clairement les facteurs qui auraient pu causer cela, mais « il est vrai que certains parlent souvent de justice à deux vitesse », concède un homme de loi qui a souhaité conserver  l’anonymat.  

À la tête du client

« C’est une expression qui est régulièrement utilisée, dans les médias ou ailleurs. Je ne suis pas forcément du même avis, parce que  pour  moi, peut-être  par  conviction, la justice est impartiale et indépendante. C’est vrai qu’une personne qui a des moyens et une qui n’en a pas ne sont pas véritablement égales face à la justice… Mais c’est partout le cas, pas uniquement à Maurice. » Effectivement, les tarifs pratiqués par certains avocats de haut standing peuvent parfois laisser pantois, même si quelques juristes offrent de temps en temps, par charité, leurs services gratuitement aux plus démunis.
Étant donné qu’il n’existe aucun plafond tarifaire pour les avocats dans la réglementation de la profession, les tarifs peuvent monter très haut, surtout dans les grands procès (affaires de drogue, procès commerciaux, procès en cour d’assises) auxquels participent des ténors du barreau. D’après les estimations de certaines sources, s’offrir les services de tels experts coûte entre 3 et 5 millions de roupies (75 000 à 125 000 euros) pour une affaire de haut calibre.
Les prix sont variables selon l’expérience et la notoriété de l’avocat. Cela peut aller de 1 250 euros à 12 050 euros, selon que l’on fait appel à un jeune qui se fait les dents ou à un as de la plaidoirie. 

Centaines de milliers d’euros

Faire appel de la sentence coûte également bonbon, surtout si l’on se réfère au Privy Council. Là, les honoraires se comptent en centaines de milliers d’euros… Très peu peuvent se le permettre. Depuis début 2019, le salaire mensuel minimal d’un Mauricien est passé à environ 250 euros, et la vaste majorité de la population ne gagne guère plus de 500 euros par mois. Arrêté il y a quelques années en possession d’une petite quantité de cannabis, un jeune professionnel mauricien explique ainsi avoir dû payer « 500 euros à un  avocat, qui n’est pas resté plus de 40 minutes au poste avec moi et ne m’a pas accompagné au tribunal. En moins d’une journée de travail, il avait déjà touché les deux tiers de mon salaire, qui était de 750 euros par mois à l’époque. Je me suis passé de ses services pour le reste du procès, qui a duré deux ans ».
Certaines histoires sont plus édifiantes : en janvier 2008, un ressortissant français percute un homme qui traverse l’autoroute à bicyclette. L’homme décède et le conducteur est inculpé d’homicide involontaire et de conduite dangereuse. L’accusé reçoit l’autorisation de quitter le pays pour ses études en juin 2008, mais doit régulièrement revenir à Maurice pour se présenter au tribunal, avant d’être enfin acquitté en 2015. Un procès qui va coûter, au total, 9 075 euros en frais de voyages, 5 000 euros en frais d’avocats et 500 euros de cautions (jamais remboursées), alors que l’accusé n’était pas en tort…

Comprendre les lois mauriciennes
Le cabinet Jurisconsult a récemment publié un superbe ouvrage retraçant les différentes Constitutions mauriciennes de 1723 à 2018. Intitulé Constitutions of Mauritius, comprenant une partie française et une anglaise, ce livre offre un regard complet et factuel sur les différentes lois qui ont façonné l’île Maurice. Une lecture indispensable pour quiconque souhaite mieux comprendre la justice locale.