Performance
Un Budget moins social que prévu

Cette année, le Budget était d’autant plus attendu qu’il s’agissait sans doute du dernier de la mandature de l’actuel Grand Argentier et Premier ministre, Pravind Jugnauth, avant de probables élections législatives. Ce que Pierre Dinan, économiste respecté de la place et invité à un forum-débat de l’ACCA Mauritius (le bureau mauricien de l’Association of Chartered Certified Accountants), a résumé en soulignant que le Budget devait répondre à deux objectifs opposés « faire face à une situation économique (mondiale) difficile et cadrer dans une année électorale ».
(Très) attendu sur des mesures sociales, le Premier ministre a baissé le prix du gaz ménager, de l’essence et du diesel et augmenter les salaires des fonctionnaires de 1 000 roupies (22,5 euros), « de petites mesures pour faire plaisir à tout un chacun », ironise le cabinet Nexia Baker & Arenson. Mais on s’attendait aussi à des mesures populistes plus controversées comme l’alignement de la pension universelle sur le salaire minimum.
Retraite universelle
Finalement, il n’en a rien été. Au grand soulagement de Pierre Dinan qui salue le fait que l’augmentation de la pension de retraite universelle a été limitée à 500 roupies (12,5 euros) par mois. « Aligner la pension sur le salaire minimum aurait été une catastrophe ». « C’est rassurant de constater que la rationalité économique a primé sur les considérations politiques », ajoute Sattar Hajee Abdoula, le CEO de Grant Thornton Mauritius. Les entreprises n’ont pas été oubliées. Le ministre des Finances a annoncé la création d’une nouvelle catégorie d’entreprises pour celles ayant un chiffre d’affaire annuel se situant entre 50 millions de roupies et 250 millions de roupies (de 1,25 millions d’euros à 6,25 millions d’euros). Elles pourront désormais avoir accès à une ligne de crédit « leasing Equipment Modernisation Scheme » à un taux préférentiel de 4,25 % pouvant être décaissée en euros et en dollars américains, précise le cabinet Nexia Baker & Arenson. Les entreprises manufacturières et celles engagées dans le négoce de marchandises avec un chiffre d’affaires de moins de 10 millions de roupies (250 000 euros) auront désormais la possibilité de payer leurs impôts à hauteur de 1 % de leur chiffre d’affaires ou de faire une déclaration fiscale normale. Quant aux opérateurs dans le port franc qui sont engagés dans le secteur manufacturier, ils seront imposables à un taux de 3 % sur leurs bénéfices provenant du marché local.
Déficit budgétaire
Pour soutenir le secteur hôtelier qui traverse une période difficile, Pravind Jugnauth a annoncé une déduction de 150 % des dépenses encourues pour les travaux de nettoyage effectué par les hôtels. Ils pourront aussi bénéficier du remboursement de la TVA sur les dépenses encourues sur les frais d’hébergements pour des événements avec au moins 100 visiteurs étrangers séjournant au moins trois nuits.
Le Budget encourage aussi le secteur privé à investir dans la production énergétique à partir de sources renouvelables. Quant aux producteurs individuels, ils pourront désormais produire 100 % de leurs besoins contrairement à la limite de 30 % imposée jusqu’ici.
Pour accompagner ces mesures, le Grand argentier a annoncé la réduction des droits de douanes sur les véhicules électriques, les véhicules hybrides rechargeables et avec le Bus Modernization Scheme, il incite les opérateurs du transport à acquérir des autobus électriques. Toutefois, le Budget n’a pas été au fond de sa logique puisque qu’il ne fait pas vraiment provision de mesures pour l’écologie et l’impact du changement climatique. Quant aux secteurs émergents, comme l’agriculture bio ou l’économie océanique, ils sont les grands oubliés.
Si les liens avec l’Inde sont consolidés à travers la signature d’un accord avec le Gujarat International Finance Tec-City (maintenant ainsi des liens avec l’Inde), les mesures visant l’Afrique, bien que présentée comme « notre troisième voie pour élargir notre horizon économique », restent assez décevantes. Comme déjà annoncé lors des récentes visites des présidents mozambicain, malgache et kenyan, Maurice va s’appuyer sur l’accord avec le Mozambique pour mettre en place une chaîne de valeur régionale pour le gaz naturel liquéfié (GNL). À Madagascar il s'agit de développer une ville textile sur 80 hectares de terres à Moramanga, au nord-est. Au Kenya, il faut tirer partie du parc technologique de Naivasha. Le ministre des Finances a aussi annoncé « vouloir consolider nos initiatives » dans les Zones économiques spéciales (ZES) du Sénégal, de la Côte d’Ivoire et du Ghana.
Dette publique
Attendu sur le déficit budgétaire, le Grand Argentier s’est aussi engagé à ce que la dette publique, actuellement à 65 % du PIB, soit ramenée à 60 % d’ici 2022. « À la surprise générale, il parvient à ce tour de force en tirant profit des surplus de 18 milliards de roupies accumulés par la Banque de Maurice (BoM) », s’étonne le cabinet PwC de Maurice. « Si l’utilisation des réserves d’une Banque centrale pour alimenter les caisses de l’État est une pratique existante », reconnaît Pierre Dinan, PwC s’inquiète des incidences que pose cette décision sur la politique monétaire du pays, sa capacité à gérer son risque de change ou son recours à un financement accru de la dette intérieure à court terme.
Inquiétude partagée par l’économiste qui indique que « le Budget annonce maintenant un changement de législation qui risque de mettre à mal la séparation de la politique fiscale et de la politique monétaire du pays, ce qui serait en contradiction avec les meilleures pratiques internationales ».