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France

Un livre d’économie qui remet les pendules à l’heure

Pierre Cahuc et André Zylberberg, respectivement professeur à l’École Polytechnique (chercheur au CREST) et directeur de recherche au CNRS (membre de l’Ecole d’économie de Paris), veulent sortir les débats économiques médiatiques des sempiternels affrontements entre les « keynésiens » bon teint et les orthodoxes néo-classiques…



Les auteurs mettent en avant les acquis de la recherche économique appliquée relative aux problèmes sociaux et aux politiques publiques. En substance, la multiplication des recherches sur des problématiques précises permet désormais, comme dans le domaine des sciences exactes, de parvenir à des résultats scientifiques quasi définitifs. Et il est curieux, pour ne pas dire plus, relèvent les deux chercheurs, que ces résultats partagés sur le plan académique ne le soient pas dans le débat public où décideurs, analystes, universitaires et hommes politiques continuent de poursuivre des discours qui se veulent rationnels, mais sans l’apport de l’analyse expérimentale qui parvient souvent à valider des résultats contre-intuitifs.

DES ACQUIS QUI DEVRAIENT FAIRE CONSENSUS DANS LE DÉBAT

Les auteurs n’y vont pas par quatre chemins et ponctuent leur démonstration par de nombreux exemples, issus des résultats de la recherche expérimentale en science économique depuis cinquante ans. 
Cahuc et Zylberberg montrent que les recettes keynésiennes ne constituent en aucune façon un remède universel. Elles peuvent paraître justifiées lors des crises graves, lorsque les États en ont les moyens. En revanche, « l’accroissement des dépenses publiques n’est pas une panacée en toutes circonstances. Il faut en particulier que le tissu économique soit réactif pour que le succès soit au rendez-vous ». Dans le cas contraire, « dysfonctionnement des marchés financiers (…) du travail (…) une mauvaise gestion publique, (…) clientélisme politique (sans parler de la corruption) (…) sont autant d’obstacles à la réussite des politiques de relance keynésienne. » En outre, ces politiques nécessitent un réglage fin, donc des actions ciblées (infrastructures, transferts sociaux, etc.). Or ce n’est bien souvent pas le cas. « Les études disponibles plaident plutôt pour une grande précaution dans leur application ». En effet, passer exclusivement par le biais des dépenses publiques renvoie toujours à plus tard les réformes dites « structurelles » (réforme du marché du travail, etc.). Pour expliquer ce tropisme dépensier très en vogue chez les économistes « hétérodoxes », les auteurs évoquent le fait que « les remèdes keynésiens semblent indolores et universels. Les prescripteurs nous disent qu’il n’y a rien à changer dans le fonctionnement de notre économie ». Le problème, c’est que la thérapie douce ne suffit pas toujours et que la chirurgie lourde peut être plus efficace que cette dernière et permettre à une économie malade de remonter plus rapidement la pente. Ces éléments devraient être plus présents dans le débat public.

QUI SONT LES NÉGATIONNISTES ?

Ces constats étant faits, les auteurs partent en guerre contre les négationnistes. Ces individus dont le discours inonde le débat public avec des raisonnements et des conclusions qui ne tiennent aucun compte des acquis de la science économique contemporaine. Les auteurs renvoient dos à dos plusieurs types d’experts qui ne déroulent pas en tant que tels des raisonnements économiques. Des experts qui émettent de simples opinions et se dérobent généralement à la procédure scientifique de la « revue par les pairs » consistant à la publication d’articles dans des revues à comité de lecture. 
Il y a tout d’abord les économistes hétérodoxes, qui refusent la démarche positiviste de la science économique contemporaine et ses procédures de validation. « Ils préfèrent rester fidèles à la conception sartrienne de l’intellectuel engagé et (forcément) anticapitaliste ». Ils se positionnent d’ailleurs volontiers en opposition aux supposées « exigences des marchés financiers ». En effet, « tous ces intellectuels qui dénoncent la science économique semblent ignorer que l’évaluation des coûts sociaux des politiques, y compris en termes de souffrance, de maladie, de délinquance, etc., est une de ses branches les plus importantes. » Et que comme toute science, l’Économie est avant tout une discipline « enracinée dans les faits ».
Il y a ensuite le militantisme patronal. Il s’agit, d’après les auteurs, de préserver des rentes historiques face à l’intensification de la concurrence. Or ces prises de positions dans le débat public aboutissent à faire une victime qui est au premier chef le consommateur. Cahuc et Zylberberg citent ainsi en exemple les cas de Jean-Louis Beffa, président de Saint-Gobain, qui « se trouve souvent à la pointe de la guérilla contre la politique de la concurrence soi-disant imposée par Bruxelles. » Son alter ego en Allemagne est Gerhard Cromme ancien dirigeant de ThyssenKrupp. Chacun fut à la tête d’entreprises rentrées dans l’histoire des sanctions européennes pour leurs atteintes graves à la concurrence (condamnation de Saint-Gobain en 2008 et ThyssenKrupp en 2007 à des amendes records). Or ces deux patrons ont été pourtant sollicités par François Hollande et Angela Merkel afin de livrer un rapport proposant des pistes pour redynamiser la compétitivité en Europe. « Sans surprise, il préconisait d’accroître les aides publiques en faveur de l’industrie et de faire 'évoluer' la politique de la concurrence pour favoriser l’émergence de grandes entreprises industrielles européennes. » Ces acteurs sont d’ailleurs les premiers sollicités lorsqu’il s’agit pour l’État de développer sa politique industrielle. 

LA SCIENCE ÉCONOMIQUE PRISE EN OTAGE

« L’État fait-il mieux que le supposé darwinisme du marché ? Rien n’est moins sûr… » Surtout lorsque l’État passe de la théorie à la pratique. Un exemple patent : le moteur de recherche Quaero soutenu à bout de bras par l’AII (Agence pour l’innovation industrielle). Un échec à 90 millions d’euros. D’une façon générale, les études d’impact sur les effets réels des aides publiques à l’industrie répondant à de véritables protocoles de recherche sont quasi inexistantes. Il en va évidemment de même de l’efficacité des 71 pôles de compétitivité répartis sur tout le territoire national. Leur évaluation a été confiée non à des économistes « rompus à ces techniques », mais à des cabinets de conseils, forcément en état latent de conflit d’intérêts. Sans surprise, l’ensemble des évaluations réalisées concluaient à la pérennité de ces pôles. La réalité des études fouillées menées sur le terrain : « Les mouvements de concentration territoriale des entreprises se réalisent 'spontanément', sans que l’intervention de la puissance publique soit vraiment nécessaire. » En définitive, « la politique des pôles de compétitivité n’a donc au mieux qu’un effet très marginal sur la composition du tissu industriel français ». 
En clair, la science économique ne doit pas être prise en otage par la tyrannie des opinions dans la mesure où la recherche économique contemporaine est désormais expérimentale et validée par des protocoles scientifiques analogues à ceux de la recherche dans les sciences dures physiques ou du vivant. Cependant, dès qu’elle se met à porter un jugement ou à émettre un conseil visant à la décision politique et à son évaluation ex post, elle quitte cette scientificité d’analyse initiale et ne peut éviter de retomber dans l’arène des débats d’experts. 

Samuel-Frédéric Servière

Ce diplômé en Histoire, en Droit des affaires mention fiscalité et de l'IEP de Paris a occupé les fonctions d'assistant parlementaire à l'Assemblée Nationale en 2007 avant de rejoindre l'équipe de l'iFRAP en 2008. Le but de la Fondation iFRAP (Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques) est d'« effectuer des études et des recherches scientifiques sur l’efficacité des politiques publiques, notamment celles visant la recherche du plein emploi et le développement économique, de faire connaître le fruit de ces études à l’opinion publique, de proposer des mesures d’amélioration et de mener toutes les actions en vue de la mise en œuvre par le gouvernement et le Parlement des mesures proposées ». http.ifrap.org