Véronique Vouland-Aneini, ambassadeur de France : « Nous inscrirons nos actions dans les 13 priorités définies par le président Rajoelina »
Suite à l’élection présidentielle malgache, l’ambassadeur de France considère que les conditions d’une nouvelle dynamique politique sont réunies. Les actions de coopération, déjà importantes, devraient s’intensifier, et des projets d’investissements privés se concrétiser si l’environnement des affaires s’améliore.
L’Eco austral : Quel bilan peut-on tirer de l’année 2018 et globalement des cinq dernières années concernant la relation de coopération et les échanges bilatéraux France-Madagascar ?
Véronique Vouland-Aneini : Au cours des cinq dernières années, notre engagement à Madagascar a considérablement augmenté, qu’il s’agisse des échanges commerciaux ou de la coopération. Depuis 2014, nous avons apporté 215 millions d’euros (environ 735 milliards d’ariary) à Madagascar, sans compter l’appui des collectivités locales françaises et celui des ONG. Sur le plan commercial, la France est le premier importateur de produits provenant de Madagascar. Entre 2014 et 2017, nos échanges commerciaux bilatéraux ont progressé de 45 %. Sur cette même période, les exportations malgaches à des-tination de la France ont été plus dynamiques (+ 63 %) que les impor-tations malgaches en provenance de France (+ 20 %). Il en résulte un excédent commercial structurel au profit de Madagascar qui traduit la diversité de l’offre de produits malgaches et la croissance de la demande française adressée à Madagascar. En 2018, on observe les mêmes tendances.
L’aide française est mise en œuvre par différents acteurs comme l’Agence française de développement (AFD), le Service de coopération et d’action culturelle de l’ambassade (Scac), les ONG et le vaste mouvement de la coopération décentralisée, qui tisse des liens étroits entre collectivités territoriales françaises et malgaches.
Justement, on a pu constater une forte implication de l’AFD en 2018 ?
Il s’est agi d’une année de concrétisation des actions entamées depuis cinq ans. À Tananarive, le signe le plus marquant est le chantier en cours de la Rocade qui liera le marais Masai au By-Pass. Il faut aussi souligner des actions moins visibles, mais tout aussi structurantes, comme l’amélioration du réseau d’assainissement de Tananarive qui est en cours, l’appui à l’amélioration de la qualité de l’enseignement par la formation des maîtres et des directeurs d’école, la création d’un Fonds malgache de formation professionnelle qui mobilisera les entreprises pour améliorer la formation des Malgaches, l’appui à l’agro-écologie, etc.
La France investit également dans le développement des entreprises malgaches. L’AFD a ainsi apporté ces cinq dernières années des garanties qui ont permis aux banques malgaches de financer 111 entreprises en leur prêtant 212 milliards d’ariary, soit 55 millions d’euros. Cette action a permis de soutenir le développement d’entreprises dans des secteurs aussi variés que l’agroalimentaire, le textile, le BTP, le transport et les TIC. Ces garanties ont aussi permis aux banques de refinancer significativement les institutions de micro-finance.
Madagascar a pu organiser l’élection présidentielle en 2018 sans problème et l’accession au pouvoir du nouveau président s’est faite sans heurts. Pensez-vous que la tension politique est en train de s’atténuer dans la Grande Île ?
C’est une satisfaction pour tous et en premier lieu pour les Malgaches qu’il faut féliciter pour le bon déroulement du processus électoral. C’est une grande avancée pour ce pays, qui va pouvoir maintenant réformer sa gouvernance. Les conditions d’une nouvelle dynamique politique sont là. Reste à l’ensemble des acteurs de s’en emparer et de la faire vivre au profit de l’intérêt des populations les plus démunies qui sont toujours sorties grandes perdantes des soubresauts politiciens passés.
Quelles sont les attentes de la France par rapport au nouveau régime ?
La lutte contre la corruption et l’insécurité sont très certainement un défi pour Madagascar qui voit son image trop souvent abimée, ce qui nuit à son attractivité. Nous attendons une amélioration de l’environnement des affaires de manière à inciter davantage d’entreprises françaises à contribuer à la réalisation des objectifs fixés par le programme présidentiel. À ce titre, le respect du cadre législatif existant, la fiabilité du secteur juridique, la transparence de l’attribution des marchés publics et l’accélération du processus d’instruction des projets sont des signaux qui seront perçus favorablement par les investisseurs français désireux de s’implanter dans la Grande Île.
Dans sa lettre de félicitation au président malgache, le président Emmanuel Macron a annoncé sa détermination à densifier les relations politiques, économiques et culturelles. Concrètement, comment cela se traduira-t-il ? Y aura-t-il de nouveaux projets de coopération/partenariat (notamment économiques) ?
Nous travaillons déjà avec les équipes présidentielles et le gouvernement pour identifier les synergies pouvant résulter du croisement du discours du président Macron à Ouagadougou avec l’Initiative pour l’émergence de Madagascar (IEM) du président Rajoelina. À partir de l'IEM a été élaboré un programme de gouvernement dénommé PGE (politique générale de l'État). Ce programme définira les pistes de notre future collaboration et nous inscrirons nos actions dans les 13 priorités définies par le président dans son discours de politique générale de février dernier.
La France étudie la mise en place de nouveaux financements à l’État et au secteur privé, pour le secteur de l’énergie, pour l’amélioration de l’efficacité du système scolaire et pour une formation professionnelle plus adaptée aux besoins du marché du travail. D’autres projets devraient être rapidement mis à l’étude dans le domaine de l’assainissement urbain. Un point d’attention commun est la lutte contre la déforestation, dans le droit fil des réflexions résultant de la tenue du One Planet Summit à Nairobi, après celui de Paris.
Dans le cadre des orientations fixées par le président de la République et de son initiative Choose Africa, nous cherchons à promouvoir la création d’emplois décents, d’une part en appuyant l’inclusion financière grâce à la micro-finance, et d’autre part en offrant des garanties facilitant l’accès des PME aux financements bancaires. Un accent re-nouvelé sera porté par l’AFD, au travers de sa filiale Proparco, à l’appui aux entreprises, en particulier les plus petites et les « jeunes pousses » innovantes.
Le président malgache a exprimé le souhait de voir se renforcer les investissements privés français à Madagascar. Peut-on ainsi s’attendre à une forte arrivée d’investisseurs français au cours des cinq prochaines années? Y aura–t-il des secteurs qui seront privilégiés ?
De nombreuses entreprises portent des projets qu’elles souhaiteraient concrétiser à Madagascar, seules ou en partenariat avec des entreprises locales, notamment dans les secteurs de l’énergie, de l’agro-industrie, de l’hôtellerie, des centres d’appels et de l’aménagement urbain. Certains sont déjà bien avancés et poursuivront leur cours. Il y a tant à faire que de nombreux nouveaux projets d’investissement peuvent naître encore, et c’est indispensable pour Madagascar. Pour les faciliter, il est primordial qu’un cadre plus favorable soit aménagé. En ce sens, nous sommes très attentifs à toute progression de Madagascar dans son processus d’adhésion à l’Organisation pour l’harmonisation du droit des affaires (Ohada) qui est un signal capital pour les investisseurs.
Lors de son passage à Madagascar, le secrétaire d’État auprès du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Baptiste Lemoine, a déclaré : « Nous partageons ensemble une coexistence dans l’océan Indien. Avec Mayotte et La Réunion, la France souhaite participer à cet espace… ». Comment ce souhait va-t-il concrètement se réaliser ?
Oui, l’intégration régionale est un des axes majeurs de notre politique à Madagascar, qu’il s’agisse de Mayotte ou de La Réunion. Le premier voisin de Madagascar dans l’océan indien est la France et cette région a une identité très forte, ancrée dans l’histoire même de son peuplement. Ces enjeux régionaux sont évidents, que ce soit dans le domaine économique, sécuritaire ou culturel. Il existe une économie régionale qu’il convient de développer et de renforcer dans cet espace insulaire composite. Par exemple, les liaisons inter-îles sont un domaine partagé et le partenariat stratégique entre Air Madagascar et Air Austral en est déjà l’illustration. Bien d’autres défis régionaux restent à relever, dans le domaine de l’économie bleue par exemple.
Nous suivons de près les initiatives de la diaspora malgache qui, dans l’océan Indien comme en France métropolitaine, se mobilise plus que jamais pour appuyer de nombreux projets de développement, mais aussi des projets économiques portés par de jeunes diplômés qui veulent mettre leurs compétences au profit du développement de Madagascar.
Les kidnappings d’opérateurs économiques de nationalité française ont été légion ces derniers temps. La situation pourra-t-elle s’améliorer à court terme ?
Les enlèvements ont effectivement augmenté au cours des récentes années. Le précédent gouvernement a pris plusieurs décisions fortes pour lutter contre ce fléau. Cette situation d’insécurité n’est pas acceptable. La France s’implique pour aider les autorités malgaches à éradiquer ce phénomène, qui pénalise le pays, et pour soutenir et aider les familles françaises victimes d’enlèvement qui endurent de grandes souffrances. Parmi les avancées des derniers mois, on note la désignation d’un magistrat référent totalement dédié à la lutte contre cette criminalité organisée. Une nouvelle cellule mixte d’enquête (CME), composée de policiers et de gendarmes, a été constituée. Ces deux leviers, s’ils sont dotés de moyens d’action, permettront de lutter plus efficacement et c’est ce que nous attendons.
L’ambassade, via son service de sécurité intérieure, travaille aussi étroitement avec le Collectif des Français d’origine indienne de Madagascar (CFOIM) et les échanges d’informations sont quasi quotidiens. L’ambassade est pleinement mobilisée pour réduire le déficit de confiance qui est très perceptible encore entre les familles des victimes et les forces de sécurité.
Âgée de 56 ans, mariée et mère de deux enfants, Véronique Vouland-Aneini occupe le poste d’ambassadeur extraordinaire et plénipotentiaire à Madagascar depuis 2015. Diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris et détenant une licence en lettres, elle a aussi obtenu un DEA (Diplôme d’études approfondies) en sciences politiques, axé sur le monde arabe contemporain. Elle a été admise au concours pour l’accès à l’emploi de secrétaire des Affaires étrangères (Orient). Elle a d’ailleurs commencé sa carrière en Asie et en Océanie, avant d’évoluer aux Nations Unies et dans des organisations internationales. Puis elle a occupé différents postes d’ambassade en Italie, en Jordanie et en Libye. À signaler aussi un poste de consul général à Turin et Gênes pendant quatre ans, avant d’être nommée directrice adjointe d’Afrique et de l’océan Indien au ministère des Affaires étrangères. Madagascar est son premier poste d’ambassadeur.
Outre le travail du Service de coopération et d’action culturelle (Scac) de l’ambassade de France, il faut signaler celui des organismes impliqués dans une coopération au quotidien : le Cirad, l’IRD, l’Institut Pasteur, l’Institut français de Madagascar, les 29 alliances françaises et les 23 établissements français (plus de 11 300 élèves). La France est aussi le premier pays de destination des étudiants malgaches partant à l’étranger. Environ 4 000 étudiants sont actuellement présents en France.
France Volontaires accueille plus de 100 jeunes Français chaque année pour un séjour long à Madagascar, et plus de 1 000 pour des périodes courtes, avec maintenant une réciprocité dans l’accueil de volontaires malgaches pour des services civiques en France.
Madagascar est aussi le premier pays d’action des ONG françaises et l’un des premiers pour la coopération des collectivités territoriales, telles que La Réunion, la région Aquitaine ou le grand Lyon, par exemple. En 2018, se sont tenues à Tananarive les deuxièmes assises de l’action internationale des collectivités malgaches et françaises.