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XAVIER HERMESSE : Le militant de l’indépendance numérique

« Je me bats contre Orange depuis vingt ans, ce qui ne m’empêche pas d’entretenir de bonnes relations avec ses directeurs. » Malgré sa fougue militante, Xavier Hermesse, directeur général de l’opérateur Zeop (groupe réunionnais Océinde), reste sur le terrain de la guerre courtoise. Mais il ne lâche rien. Ainsi a-t-il contesté, en octobre 2018, l’attribution à Orange, par la Région, du marché de la Crem (conception-réalisation et exploitation ou maintenance) – on parle désormais de marché public global de performance – de la desserte en fibre optique de 23 000 logements situés sur les communes de Salazie, Cilaos, L’Entre-Deux, Les Avirons, Sainte-Rose et Saint-Philippe.
La faible densité de population de cette zone géographique n’intéresse pas les opérateurs pour des raisons de rentabilité et des fonds public s’avèrent nécessaires pour éviter les fractures numériques. C’est en fait une régie émanant de la Région qui prévoit de sous-traiter avec un opérateur privé. Un marché évalué à quelque 25 millions d’euros. Rien de faramineux au vu des engagements : trois ans de construction avec, par exemple, une tranchée de 50 kilomètres entre Cilaos et Salazie, et trois ans d’exploitation. Mais Xavier Hermesse en fait une question de principe. « Nous étions moins-disants, mais les offres ont été examinées par des consultants parisiens qui ne connaissaient pas Zeop. » Le marché a finalement été cassé, mais Orange et la Région ont fait appel auprès du Conseil d’État. On attend la décision.
Un super challenge
Ainsi, le petit poucet Zeop ne craint pas d’affronter les géants que sont Orange et SFR. Il est même convaincu d’être à l’origine d’un fibrage accéléré de La Réunion qui en fait aujourd’hui le troisième département de France le plus fibré. L’histoire a commencé avec Intercable, entreprise créée par des Québécois qui ont pensé avant tout le monde que l’avenir des connections internet à La Réunion passait par la fibre optique. Mais cette activité est gourmande en capitaux et il faut du temps pour rentabiliser un raccordement. Les Québécois ont dû jeter l’éponge et les actifs d’Intercable ont été rachetés en 2011 par le groupe réunionnais Océinde, propriété de la famille Goulamaly, qui a lancé Zeop.
Le directeur général du groupe, Nassir Goulamaly, était convaincu que les Québécois avaient vu juste et que l’intérêt de La Réunion était d’avoir un opérateur 100 % local.
Xavier Hermesse est arrivé lors de la création de l’entreprise, occupant le poste de directeur général adjoint, au côté de Nassir Goulamaly. En fait un rôle de directeur opérationnel dans lequel il a placé tout son enthousiasme. De quoi lui valoir d’être intronisé directeur général en février 2018. « J’ai connu Nassir à Paris par hasard, par l’intermédiaire d’un ami, et j’ai été séduit par le projet. On partait quasiment de zéro et personne n’y croyait. C’était un super challenge », explique le dirigeant qui a su capitaliser sur l’avantage d’être le pionnier. « Zeop est numéro un sur la fibre et numéro deux de l’Internet quand on prend en compte l’ADSL. »
Pour Xavier Hermesse, ce genre de pari un peu fou n’était pas complètement nouveau. Il a connu à partir de 1997 le grand mouvement de libéralisation du marché des télécoms. Il a œuvré comme commercial, responsable de la division « opérateurs », au sein de 9 Télécom (qui deviendra Neuf Télécom), l’un des principaux fournisseurs d’accès à Internet. Une aventure qui a duré dix ans. L’opérateur a été racheté par SFR en octobre 2008. « L’ambiance n’était plus la même, c’était une grosse machine », se souvient le patron de Zeop qui demeure au sein du groupe pendant trois ans, plus précisément au sein de SFR Collectivité où on lui confie la direction de sociétés délégataires de service public pour déployer la fibre. Des projets de 30 000 à 90 000 foyers. C’est dire s’il connaît bien le sujet. Il démissionnera pour se lancer dans l’aventure Zeop.
Aujourd’hui, après huit ans, il n’a rien perdu de son enthousiasme. Et alors qu’il envisageait, pour des raisons familiales, de quitter son poste pour retourner en France métropolitaine, Nassir Goulamaly lui a proposé un compromis. Xavier Hermesse partage désormais son temps entre La Réunion et l’Hexagone où se sont installés son épouse et ses trois enfants âgés de 16, 13 et 8 ans. Trois enfants d’origine colombienne que le couple a adoptés. Professionnellement, ce n’est pas trop compliqué à gérer puisque Nassir Goulamaly est lui-même basé à Paris.
Un habitué du pèlerinage de Chartres
Xavier Hermesse, qui vient de fêter ses 47 ans, paraît quelque peu atypique dans ce monde des Télécoms. Passionné de photographie, fervent catholique, il est un habitué du pèlerinage de Chartres, organisé tous les ans à la Pentecôte. Une centaine de kilomètres effectués à pied, au départ de Notre-Dame de Paris, dans de magnifiques paysages bucoliques. Il a aussi pratiqué le scoutisme pendant longtemps. On le verrait bien à la « manif pour tous », mais il ne s’est pas laissé enfermé dans une citadelle d’intégristes. Ouvert sur la diversité comme en attestent ses trois enfants d’origine colombienne. Son parcours lui-même est atypique puisqu’il est d’origine belge, né à Liège, en Wallonie. Il a 10 ans lorsque son père ingénieur décide d’émigrer en France lors de la crise de la sidérurgie. Ce sera pour s’installer à Cheverny, dans le département des Yvelines. Après des études secondaires à Saint-Germain-en-Laye, le jeune homme optera pour une école de commerce, ce qui ne l’empêchera pas de passer une licence d’histoire, puis un master en communication. Il finira pas un MBA à l’école universitaire de management IAE, à Paris.
Son premier job le propulse au Val Fourré, un quartier difficile de Mantes-la-Jolie, dans le Val d’Oise, bien loin du très bourgeois Saint-Germain-en-Laye. Il s’agit d’un grand projet urbain (GPU) où il officie comme chargé de communication. L’occasion de côtoyer les « grands frères », ces jeunes issus du quartier et devant orienter les plus jeunes vers le droit chemin. Une expérience professionnelle et sociale enrichissante qui dure trois ans. Ensuite, ce sera le monde des télécoms avec une certaine éthique et le choix de se ranger toujours du côté de David face à Goliath. Une attitude qu’on pourrait qualifier de chevaleresque si ce mot avait encore un sens au XXIe siècle. Et l’amour de la France pour celui qui est toujours belge parce que ça fait neuf ans que la Belgique accepte la double nationalité.
Après la fibre optique, le prochain défi de Zeop sera celui de la téléphonie mobile pour laquelle l’opérateur a obtenu en 2016 une licence lui permettant de proposer de la 4G, en attendant la 5G. Si Xavier Hermesse n’a pas voulu donner de date précise lors de notre entretien, il garantit que ce sera avant la fin de l’année 2019. Cela fera donc un quatrième opérateur à La Réunion, aux côtés de SFR, Orange et Free. Et le patron de Zeop affirme qu’il ne s’agit pas de faire de la figuration. En ajoutant les investissements nécessaires à la téléphonie mobile à ceux engagés dans la fibre optique, on arrivera à 150 millions d’euros.