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Digital Mauritius 2030 : La transition numérique est bien entamée

Désireux de faire des TIC (technologies de l’information et de la communication) un des piliers de la nouvelle économie mauricienne, l’État a publié en novembre 2018 un document baptisé « Digital Mauritius 2030 » qui est la feuille de route de cette transition numérique. Il s’agit d’un défi de taille pour Maurice, la difficulté étant de bien cerner les priorités et d’éviter la précipitation dans un secteur en constante mutation où blockchain, intelligence artificielle, cloud et cryptomonnaies sont déjà des réalités incontournables.

Digital Mauritius 2030  expose la stratégie de numérisation du pays dans le but d’en faire un des piliers de l’économie. Cette stratégie prévoit, entre autres, des investissements conséquents dans les infrastructures, la formation au numérique et la transition vers une administration numérique. Rajnish Hawabhay, Chief Technical Officer (technicien en chef) au ministère de la Technologie, de la Communication et de l’Innovation, rappelle que le secteur informatique est le troisième pilier de l’économie mauricienne, représentant à lui seul 5,6 % du PIB.
Les services de BPO (Business Process Outsourcing ou externalisation des processus d’affaires, c’est-à-dire l’externalisation d’une partie de l’activité de l’entreprise vers un prestataire extérieur) représentent la majeure partie de cette économie. Le secteur emploierait 24 000 personnes. Ces chiffres sont bien supérieurs à ceux présentés par Statistics Mauritius car l’organisation étatique chargée de compiler les statistiques du pays ne prend pas en compte les entreprises de moins de dix employés.
Une des priorités de cette transition numérique énoncées par Digital Mauritius 2030 concerne donc les infrastructures. La numérisation étant continue, il est primordial pour Maurice de se doter d’une infrastructure de qualité internationale pour suivre le rythme. Le pays est déjà connecté à Internet à travers deux câbles sous-marins : LION (Lower Indian Ocean Network) 2 et SAFE (South Africa – Far East). Deux autres câbles, installés et gérés par des consortiums privés, viendront connecter l’île d’ici 2020. Il y a d’abord Metiss Cable (Melting Pot Indian Ocean Submarine System) qui connectera Maurice, La Réunion Madagascar et l’Afrique du Sud d’ici la fin de cette année ; il est le produit d’un consortium entre six opérateurs de l’océan Indien via la Commission de l’océan Indien. Le câble IOX connectera lui Maurice et Rodrigues à l’Afrique du Sud et Pondichéry en Inde. Mauritius Telecom (MT) en sera l’anchor tenant, le locataire-pilier, c’est-à-dire l’opérateur qui gérera le câble dans le but de l’optimiser. Prévue pour 2019, l’annonce de sa mise en opération se fait attendre. 
De surcroît, 5,2 milliards de roupies (130 millions d’euros) ont été investis par Mauritius Telecom pour connecter les foyers au réseau de fibre optique (fibre  to the home). Tous les foyers mauriciens peuvent techniquement être connectés à la fibre. Ainsi, Maurice se situe  dans le top 10 mondial du déploiement de la fibre optique. S’agissant du prix, la connexion Internet est relativement abordable. Les différents opérateurs (téléphoniques ou de télécommunications) offrent une large gamme de possibilités journalières, hebdomadaires ou mensuelles, selon les besoins  du client. 

Déploiement de la fibre optique

Dans le souci de développer sa résilience, l’État s’est fixé comme objectif de créer un deuxième backhaul (réseau de collecte. Il s’agit du réseau de fibre qui transmet les données internationales aux particuliers). Mauritius Telecom avait le monopole jusque-là mais CEB Fibernet, subsidiaire du fournisseur d’électricité national, a aussi développé un deuxième backhaul en exploitant son réseau électrique.
«  L’offre  est  très  intéressante pour les entreprises qui veulent opérer à Maurice et qui sont à la recherche d’une infrastructure informatique solide. Par exemple, le pays est aujourd’hui bien positionné pour faire du disaster recovery (la « reprise après désastre » vise à protéger une entreprise des conséquences d’événements très graves – NDLR). Maurice pourrait vendre son savoir-faire sur toute l’Afrique de l’Est », avance Rajnish Hawabhay, avant d’ajouter : « Avec l’installation de ces nouveaux câbles, les prix devraient aussi baisser. » 
L’État a aussi accordé une grande importance à la formation dans sa stratégie, dans le but d’éviter de se retrouver dans la même situation que certains États africains qui manquent de savoir-faire pour gérer, opérer et optimiser leurs infrastructures. Cela avait été souligné lors d’un précédent Forum des Afrique(s) organisé par l’Éco austral. 
Ainsi, l’université de Maurice avait doublé la capacité d’accueil pour ses cours d’informatique en 2018, avant de les dispenser gratuitement depuis cette année. 
Dans le but de former les informaticiens aux technologies émergentes, le gouvernement a annoncé la création de 50 bourses d’études. Elles concernent, par exemple, ceux qui veulent étudier l’intelligence artificielle ou le blockchain (une technologie de stockage et de transmission d’informations sans organe de contrôle). L’université des Mascareignes, autre université publique, propose déjà des maîtrises en intelligence artificielle. Très peu d’élèves semblent cependant montrer un intérêt pour ces cours, malgré les bourses, et effectivement seule une vingtaine de bourses ont été offertes pour la rentrée universitaire de cette année.   

 

Rishi Sewnundun, responsable des systèmes informatiques du groupe MUA, estime que la numérisation de l’assurance est nécessaire car demandée par les jeunes générations.
Rishi Sewnundun, responsable des systèmes informatiques du groupe MUA, estime que la numérisation de l’assurance est nécessaire car demandée par les jeunes générations.   ©Droits réservés
 

Codage, nouvelle écriture

À l’école primaire et secondaire, l’État ambitionne d’initier les enfants à l’informatique et plus particulièrement au codage dès le plus jeune âge. Les enfants des classes Grade 1 à Grade 3 (de la première à la troisième année du cycle primaire) ont tous reçu une tablette tactile […] et cette mesure devrait continuer, ce qui fera que tous les élèves des classes des quatre premières années du primaire auront une tablette en 2020. Toutes les écoles primaires ont aussi un accès Internet. Des élèves du primaire et secondaire sont initiés au codage mais cela hors des heures de classe ; environ 2 500 étudiants ont ainsi été initiés en 2019.
Le ministère des TIC et le ministère de l’Éducation ont même prévu d’engager des discussions l’an prochain pour travailler sur l’inscription du codage dans le cursus scolaire normal. « Écrire, lire et compter sont des compétences qui sont requises aujourd’hui comme cela a été le cas depuis des siècles. La nouvelle compétence à acquérir au XXIe siècle est celle du codage, c’est la nouvelle écriture et la nouvelle langue à apprendre », avance Rajnish Hawabhay.

Un vivier d’emplois

Un autre défi pour Maurice est l’inadéquation des compétences qui touchent presque tous les secteurs, mais en particulier le numérique. « Il y a beaucoup de travailleurs étrangers. Nous n’avons pas suffisamment de main-d’œuvre dans ce secteur, surtout pour les start-up étrangères qui s’incorporent à Maurice », explique Rajnish Hawabhay. Cela est d’autant plus alarmant que le chômage est à 7,1 % et stagne.
Pour résoudre ce problème, des programmes et cours de reconversion sont proposés par le ministère de l’Éducation, des Ressources humaines, de l’Éducation tertiaire et de l’Innovation scientifique, notamment le programme GTES (Graduate Training for Employment Scheme) par le HRDC (Human Resource Development Council). Ce dernier a vocation à financer les chômeurs diplômés durant leur reconversion pour des secteurs à forte demande d’emplois. Pour le numérique, les diplômés visés sont ceux ayant étudié les sciences et les mathématiques pures et qui peinent à trouver un emploi. 
Accenture (Maurice), une des entreprises internationales de référence de conseil en management, technologies et externalisation, offre des programmes de formation avec des stages en entreprise, en collaboration avec l’université de Maurice pour une maîtrise en informatique. La législation permet d’ailleurs aux étudiants en informatique étrangers de travailler 20 heures par semaine. 
S’agissant de la numérisation des services gouvernementaux, les choses avancent… lentement mais sûrement. Chaque département de l’État a sa stratégie de numérisation en ligne, en accord avec Digital Mauritius. Pour favoriser ces développements, le ministère des TIC investit et met en place de nouvelles technologies pour offrir des solutions techniques modernes et attractives et ainsi encourager la numérisation de tous les services. Un National  Authentification Framework sera mis en place. Il s’agit de solutions qui permettront d’authentifier ceux qui utilisent les services du gouvernement sur des plateformes digitales, la difficulté du digital pour l’État étant d’identifier les utilisateurs des services. L’enjeu est d’offrir effectivement les services aux personnes auxquelles ils sont dédiés. 
Une autre nouvelle technologie à développer est la méthode de l’authentification unique (single sign-on). « En ce moment, pour chaque service du gouvernement, vous avez un compte et un mot de passe différents. Avec la  Certification Authority qui gère les signatures numériques, vous pourrez avoir accès à tous les services avec un seul compte et pourrez signer numériquement (une autorité de certification est un tiers de confiance permettant d’authentifier l’identité des correspondants. Il existe déjà une autorité à Maurice mais privée – NDLR) », explique Rajnish Hawabhay.  
Cela existe déjà pour les appels d’offres gouvernementaux qui se font sur des plateformes numériques, mais le service peut être étendu à d’autres secteurs : les banques, par exemple, ou pour d’autres transactions qui nécessitent une signature, tel qu'un contrat de vente. Ainsi, il n’y aurait plus lieu de se déplacer pour signer. Pour permettre la digitalisation des services, les deux technologies sont importantes car elles favorisent la confiance.  
La numérisation continue mais une autre étape importante à franchir est celle du partage des données, d’abord entre services et départements de l’État et éventuellement avec le secteur privé. 
« L’ interopérabilité des applications est importante. La façon dont le gouvernement et les différents ministères travaillent en ce moment est en silo. Chaque département crée sa propre base de données, et c’est la responsabilité des citoyens de fournir ces éléments plusieurs fois, parfois des dizaines de fois », souligne Kem Mohee, président de la MITIA, l’association de l’industrie et de la technologie mauricienne, et aussi CEO de State Informatics Ltd. 
 

Pour Kem Mohee, CEO de State Informatics Ltd et président de la MITIA, l’association de l’industrie et de la technologie mauricienne, il est difficile de comparer la transition numérique mauricienne à celle des pays voisins, les problématiques n’étant pas les mêmes.
Pour Kem Mohee, CEO de State Informatics Ltd et président de la MITIA, l’association de l’industrie et de la technologie mauricienne, il est difficile de comparer la transition numérique mauricienne à celle des pays voisins, les problématiques n’étant pas les mêmes.   ©Droits réservés
 

En informatique, il est pourtant très simple de partager les données. Par exemple, pour l’impôt, la Mauritius Revenue Authority (l’autorité fiscale du gouvernement mauricien) a quasiment déjà calculé la taxe si vous êtes salarié car l’employeur est obligé de lui fournir des informations lorsqu’il cotise aux retraites. Comme tout le monde a un identifiant national unique, la MRA peut ainsi déjà calculer le taux d’imposition. « Les échanges de données auraient pu se faire entre l’état civil et la sécurité sociale par exemple, et permettre ainsi de mieux gérer le paiement des différentes pensions », fait valoir Kem Mohee.
 La plateforme et les technologies nécessaires sont déjà là.  Comme la plateforme Info Highway qui permettrait aux services de partager leurs données. Mais c’est à l’État d’entamer les procédures pour que les services et départements s’y mettent. On peut même imaginer un système qui permettrait aux différents départements étatiques et aux entreprises du privé d’avoir accès à ces documents. L’accès serait permis par la personne. 
Où en est Maurice de sa transition numérique ? « Il y a plusieurs façons de le voir. Au Kenya, par exemple, ce qui se fait dans la Silicon Savannah est extraordinaire ! Au niveau de la pénétration de la technologie, c’est autre chose. C’est difficile d’évaluer. Il y a des choses très intéressantes qui se font dans la région. Dans tous les pays voisins, il y a des solutions de gouvernance en numérique. À Maurice, nous n’avons qu’à connecter Port-Louis. Le système de paiement en Afrique est aussi extraordinaire. Mais ce ne sont pas les mêmes réalités. En Afrique, l’éducation est un gros challenge, la technologie y est utilisée pour permettre l’accès à l’éducation. Nous n’avons pas ce problème. En fin de compte, l’important est d’utiliser l’outil digital pour résoudre les problèmes qui nous sont propres », conclut Kem Mohee. 

State Informatics au cœur de la transition numérique de Maurice
Tout citoyen mauricien a sans le savoir eu affaire aux services proposés par State Informatics Ltd. Cette société qui a fêté cette année son 30e anniversaire est détenue entièrement par l’État et affiche à son compteur plusieurs projets de numérisation d’administration publique. C’est sa spécialité. SIL a été créée par l’État mais opère comme une compagnie privée. Pour être prestataire de l’État, la compagnie répond aux appels d’offres comme toutes les autres compagnies. Tout résident mauricien a forcément eu affaire aux systèmes informatiques développés par SIL. « Les projets que nous réalisons touchent tout le monde : à la naissance, le système d’enregistrement, c’est nous qui l’avons fait. Le système de vérification des passeports, le paiement de la taxe par la MRA en ligne, le système du «  Registrar of Companies  » (l’agence gouvernementale chargée d’enregistrer les compagnies et leurs bilans financiers), le système informatique qui gère les dossiers d’enquête dans les stations de police jusqu’à la fin de l’enquête… tout cela, c’est nous ! » avance fièrement le CEO de SIL, Kem Mohee. 
La compagnie qui opère sur le continent africain croît aussi par investissement et achat. Elle a investi dans une société avec le groupe Leal, à hauteur de 25 %, qui fait de la distribution de produits informatiques. Elytis a fait l’acquisition de deux sociétés en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française dans le but de se positionner dans le domaine de la propriété intellectuelle. Sur le continent, SIL a investi dans une société au Botswana et y offre les mêmes services. La compagnie opère aussi en Éthiopie, au Kenya, au Sénégal et en Namibie. 
Qu’en est-il de la sécurité des données stockées par l’État ? 
Au sujet de cette transition numérique de l’administration, Kem Mohee (CEO de SIL) nous confie que l’enjeu sécuritaire est abordé avec beaucoup de prudence par Maurice. « Les gouvernements, à Maurice comme dans la région, ne sont pas prêts à adopter des solutions cloud. Quand on parle de cloud, il s’agit de stocker des données sur des réseaux externes, que ce soit dans le pays ou ailleurs, dans le but de développer sa résilience et cas d’imprévus ou de catastrophe. La sécurité des données est considérée comme étant trop importante. Nous ne sommes pas encore à cette étape. Les corps paraétatiques sont disposés à héberger des données en utilisant des solutions de cloud mais avant de mettre en place un tel système il nous faut systématiquement l’autorisation du Data Protection Office (Bureau de la protection des données). » 
Rodrigues : Recensement pour la numérisation des services de santé
SIL est l’opérateur qui est chargé de créer le logiciel qu’utiliseront bientôt les centres de santé de Rodrigues (un hôpital et deux centres). « Ce qui a été réalisé à Rodrigues est extraordinaire ! La difficulté est de créer la base de données. On a donc fait un recensement de toute la population. On va émettre des cartes de santé avec des identifiants (bar code) pour chaque citoyen.  Il y a évidemment un protocole de sécurité », explique Kem Mohee. La population rodriguaise se chiffre à environ 42 000 personnes.  Le logiciel aidera aussi à dresser les diagnostics en proposant une liste de possibilités et aidera à compiler les statistiques.