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Réunion

ENTRETIEN AVEC ALAIN BAUDRY, PRÉSIDENT DU COMITÉ DES ASSUREURS : Digitalisation des assurances : « L’humain reste essentiel »

Président du Comité des assureurs Réunion-Mayotte, Alain Baudry est depuis 2015 le directeur général de Groupama Océan Indien où, dès son arrivée, le numérique a été un axe de développement. Mais pour lui, l’humain reste un maillon essentiel de l’expérience-client.

L’Éco austral : En quoi le secteur des assurances, de par votre expérience à Groupama, est-il intimement lié à la transition numérique en cours ? 
Alain Baudry : Dès ma prise de poste en 2015, nous faisions déjà le constat de l’augmentation significative de la demande sur les services à distance. En 2016, nous avons donc lancé un grand projet sur deux ans via des investissements importants depuis Paris pour doter l’antenne locale de La Réunion de tous les produits et services du groupe, comme une sorte de programme de remise à niveau. Là, nous avons intégré tous les services digitaux modernes de la Métropole. Rapidement, dès 2018, il y a eu des impacts forts sur l’indice de satisfaction de nos clients.

Puis la covid-19 est arrivée, bousculant encore les usages numériques de vos clients ?

Exactement. Et avec quelle force ! La crise pandémique a joué un rôle d’accélérateur sur la demande qui a été et reste inédit. Avec l’essor du télétravail, les habitudes ont profondément changé. Nous avons par exemple constaté une augmentation de 50 % des mails et de 30 % des appels téléphoniques.

Sans pour autant que cela s’essouffle en 2023 ? 

En effet, à l’image des questions concernant le dérèglement climatique, le digital fait partie de ces sujets où tout s’accélère très vite. C’est un phénomène sans équivalent dans notre histoire. Par exemple, deux clients sur trois achetaient en ligne avant la covid, puis, durant la pandémie, nous sommes passés à 4 sur 5. Le ratio, en gros, bascule de 70 % à 80 %. Mais le plus intéressant, c’est que les réflexes de cette période sont restés ! Preuve que la pandémie a bouleversé les codes durablement.

Une relation à l’assurance avec de moins en moins d’humain, donc ? 

Il est vrai que désormais les clients se déplacent moins. D’ailleurs, il y a une réduction attendue de 15 % des points de vente en France, ce qui va de pair avec cette tendance, mais cela ne concerne pas La Réunion. En effet, si dans l’Hexagone, les passages en agence sont en diminution, cela n’est pas tout à fait le cas à La Réunion. Ici, on s’adapte donc à la demande des clients qui veulent du téléphone, du mail, en somme du numérique, mais il y a encore de la place pour l’humain. Il y a toujours des passages réguliers dans les points de vente à La Réunion.

Cela suppose donc une polyvalence ? 

Oui, parce qu’en réalité, il faut être bon dans tous les domaines : en face à face, mais aussi derrière l’ordinateur car, si les clients veulent moins se déplacer, quand ils viennent, il faut être performant. Ils attendent une valeur-conseil forte. Donc, il faut être efficace partout. La vraie nouveauté c’est que, non seulement l’exigence suppose de l’efficacité et de la disponibilité, mais que ce niveau d’exigence se porte maintenant aussi sur la valeur ajoutée.

Les «  assurtechs  », le pendant des néobanques dans le milieu des assurances, sont-elles des concurrentes importantes ?

Elles gagnent des clients, ce qui veut dire qu’il y a effectivement une appétence de la part de certains consommateurs, mais, honnêtement, le 100 % digital n’a pas encore trouvé son modèle aujourd’hui. Regardez ce qui vient de se passer avec Luko ! (Lire notre hors-texte à ce sujet). Les quelques entreprises qui se positionnent en étant entièrement en ligne, avec une expérience de pure player intégral, n’ont pas encore trouvé leur équilibre en termes de financement.

Et pour quelles raisons selon vous ? 

D’abord parce que cela suppose des investissements massifs dès le lancement. Ensuite, parce qu’il faut un temps très long pour amortir ces investissements. Enfin, parce que je pense que dans la majorité des situations, dans les assurances en tout cas, les clients aiment avoir les deux volets : l’humain et le numérique.

Assureur français mutualiste, Groupama s’est fortement développé à l’international. Il compte un total de 30 000 salariés et réalise 16 milliards d’euros de chiffre d’affaires. ©Vianney Furon-Kuntzmann

La Réunion bénéficie-t-elle d’un traitement particulier ?

Le cas par cas, c’est l’avantage de la régionalisation des compagnies. Contrairement à ce qui se fait en Métropole, ici, il n’est pas question de réduire les points de vente. En plus, la gestion se fait de manière locale, nous nous adaptons aux spécificités. Les Réunionnais veulent encore avoir un conseiller qui les connaît, qui connaît l’histoire de leur famille, c’est un lien privilégié que nous devons garder. Je constate, en tout cas, que la demande de performance s’est renforcée. Une étude montrait que 46 % des gens voulaient consommer local avant la covid, c’est passé à 51 % aujourd’hui. Cela montre bien cette envie postpandémie d’aller vite.

Parlons concrètement de cette digitalisation qui s’accélère. En quoi l’intelligence artificielle va-t-elle y contribuer ? 

L’intelligence artificielle va fortement impacter le domaine des assurances. D’abord dans l’automatisation d’un certain nombre de tâches répétitives, ce qui permettra de libérer du temps pour des tâches à valeur ajoutée, justement parce que la clientèle devient plus exigeante. Par exemple, si vous avez besoin d’avoir un contrat santé parce que vous venez d’avoir un enfant, l’intelligence artificielle va intégrer l’information pour vous envoyer directement des années plus tard, au moment de l’entrée à l’école de votre l’enfant, le document nécessaire pour sa scolarisation. Cela permettra d’anticiper bon nombre de tâches sans que nous soyons obligés de chercher l’information.

Concernant la protection des données, comment cela se passe-t-il ? 

C’est évidemment l’un des points essentiels de la politique du groupe depuis quelques années parce que, en tant qu’assurance, nous vivons grâce à la collecte de données. Notre essence, c’est la récupération, le traitement et l’étude d’informations. Si l’on rencontre un problème avec nos données, nous n’avons plus rien ! La puissance de l’infrastructure du groupe, avec des investissements majeurs, permet d’assurer notre protection. Puis, nous sommes obligés de suivre des règles très précises dans certains domaines, notamment dans la santé. Nous avons des serveurs, des systèmes de protection à Paris, mais aussi à La Réunion, avec des équipes dédiées.

Pour finir, comment voyez-vous l’avenir du secteur dans cinq à dix ans ? 

Avec Luko, dont je vous parlais tout à l’heure, et Lemonade aux États-Unis, qui vient massivement de licencier, cela reste instable. Pour eux, le modèle investissement/rentabilité n’existe pas encore. La vision est donc difficile pour ces compagnies entièrement en ligne. Je pense qu’en conclusion, ce qui marche, c’est l’inverse, une assurance qui développe son service digital, une forme d’offre hybride, un mixte entre les produits et les services numériques avec la possibilité à un moment donné de rencontrer quelqu’un. Notamment ici, où la dimension humaine est encore valorisée, la notion de contact reste importante. La proximité et le service d’un agent, d’un collaborateur ou d’un courtier restent primordiaux à La Réunion.

La start-up Luko rachetée par le Britannique Admiral : Le 13 juin dernier, le néo-assureur Luko, spécialisé dans l’assurance habitation, prometteuse start-up française, a demandé l’étalement de sa dette, incapable de procéder à ses paiements suite à des défauts de levées de fonds. Une semaine plus tard, le Britannique Admiral, qui détient déjà en France L’Olivier Assurance, spécialisée dans l’assurance auto et habitation, s’est empressée de racheter la jeune pousse hexagonale. Pour développer ses activités, Luko devra diversifier ses services, notamment en s’orientant vers l’assurance auto. Ses deux branches annexes, l’Allemand Coya et le français Unkle (spécialisé dans les loyers impayés) sont également repris par Admiral Group. Pour beaucoup, ce rachat envoie un signal inquiétant au sujet des assurances 100 % digitales.