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L’Afrique, nouvelle Terre promise de l’immobilier ?

La première édition du Forum des Afriques(s), organisée par l’Éco austral en partenariat avec le groupe AXYS, s’est tenue le 11 juin 2019 à l’Aventure du Sucre. Une table ronde qui aura lieu chaque mois afin de mieux appréhender les réalités de ce vaste continent africain. Le thème de cette première édition était en forme de question : « Quelles opportunités dans l’immobilier en Afrique ? » Au menu du prochain forum : les classes moyennes en Afrique. 

Après une introduction d’Alain Foulon, directeur régional de L’Éco austral, et de Louis Lallia, Managing Director de AXYS Private, Jean-Michel Durand, journaliste à L’Éco austral, responsable Maurice et Afrique, a présenté les grands enjeux de l’urbanisation en Afrique et les potentialités des principaux marchés. Le débat, animé par Alain Foulon et Jean-Michel Durand, a permis de dresser un état des lieux, de mieux identifier les atouts de Maurice et la manière de les exploiter. 
L’Afrique connaît depuis plusieurs années trois phénomènes de fond : une croissance économique forte et continue, l’émergence d’une classe moyenne et une urbanisation accélérée. Cela bouleverse considérablement la perception que l’on peut avoir de ce continent. Ainsi, dans le dernier classement Mercer, six villes africaines figurent dans le top 30 mondial des villes les plus chères au monde (en prenant en compte le coût du transport, du logement, de la nourriture, de l’habillement, des loisirs…). On voit ainsi émerger des opportunités d’affaires considérables.
La première édition du Forum des Afriques(s) a pour objectif d’identifier les problématiques réelles liées à l’investissement en Afrique, en particulier dans l’immobilier. « Nous sommes ravis d’accompagner cette initiative car AXYS se veut être un partenaire de choix pour structurer des affaires en Afrique », fait valoir  Louis Lallia. Lors de cette rencontre, quatre axes de réflexion ont été identifiés : le continent africain est loin d’être monolithique ; il faut donc avoir une approche très analytique ; le deuxième axe est l’analyse « risque pays » ; le troisième point est l’accès au financement avec celui du retour sur investissement des projets ; le quatrième et dernier point porte sur la question de l’urbanisation. 
 

Louis Lallia, Managing Director de AXYS Private
Louis Lallia, Managing Director de AXYS Private : « AXYS se veut être un partenaire de choix pour structurer des affaires en Afrique. »
 

Un continent multiple

Les différents intervenants sont tombés d’accord sur la nécessité d'avoir une approche très analytique pour identifier à l’avance les pays où l'on veut investir. Pour l’architecte Gaëtan Siew, ancien président de l’Union internationale des architectes et ancien secrétaire général de l’Union africaine des architectes, il y a quatre groupes distincts sur les plans linguistique, culturel et politique : l’Afrique du Nord (plus proche culturellement du Moyen-Orient et de l’Europe), l’Afrique dite lusophone (encore très liée au Portugal mais aussi au Brésil), la partie francophone et enfin l’anglophone. « Pour moi, la partie francophone semble être la plus abordable pour les Mauriciens. Outre la langue, nous avons en commun le code Napoléon qui est un socle juridique solide. La partie anglophone est déjà bien établie institutionnellement, mais l’Afrique du Sud et le Nigéria sont nos concurrents sur ces marchés. »
« Le potentiel existe aussi pour le Mozambique », assure Alain Laridon, ancien ambassadeur de Maurice dans ce pays d’Afrique australe. « Par exemple, il a été inauguré, il y a deux ans, le nouveau port et la nouvelle ligne de chemin de fer dans la ville portuaire de Nacala. Ce projet colossal est destiné à l’exportation du charbon. » 
Tous les acteurs présents se sont également accordés sur le fait que Maurice a une bonne image en Afrique. Cette expertise mauricienne est incarnée par l’expérience d’Alteo qui a un vrai savoir-faire dans le sucre. 
 

Frederic Tyack , CEO d’Ascencia
Frederic Tyack, CEO d’Ascencia : « La construction en Afrique coûte aussi cher qu’à Maurice. »
 

Le groupe mauricien Ciel s’est lancé avec succès dans la production de sucre en Tanzanie, en 1999, en association avec le groupe réunionnais Quartier Français, sur un vaste domaine situé au pied du Kilimandjaro. Tout ce foncier n’étant pas exploitable pour la culture de la canne, il pourrait permettre de développer des écolodges le moment venu. Ce n’est pas encore d’actualité, mais des safaris y sont déjà organisés. La plantation et l’usine sont désormais gérés par Alteo, entreprise issue d’un rapprochement entre les groupes Ciel et IBL et qui pour originalité de développer à la fois un pôle industriel (pour la canne à sucre) et un pôle immobilier à Maurice. Le partenaire d’Alteo en Tanzanie est aujourd’hui Tereos, depuis le rachat de Quartier Français par ce groupe sucrier français.
Suite à cette première expérience africaine, Alteo a ouvert une usine au Kenya en 2015. Dans ce pays comme en Tanzanie, le sucre est écoulé principalement sur le marché local. 
« Cet attrait pour l’Afrique se confirme avec la présence des Chinois. Et Maurice a de l’expertise que Beijing n’a pas, comme dans l’hôtellerie et les services financiers, par exemple. Certains pays africains ont créé ou vont créer des zones économiques spéciales comme nous l’avons fait auparavant. Notre connaissance et notre expertise sont reconnues mais la technique ne suffit pas. Nous devons apporter une solution technique, juridique et financière ! », affirme Gaëtan Siew. 
 

Gaëtan Siew, architecte et consultant
Gaëtan Siew, architecte et consultant : « Il faut proposer une offre combinant du juridique, du financier et de la technique. »  
 

Bon élève africain

Justement, « Maurice est capable de relier l’offre et la demande, en particulier dans l’immobilier », assure Constantin de Grivel, Managing Director de AXYS Investment Partners. Il constate « qu’il est plus difficile de lever des fonds à Maurice pour l’Afrique qu’en Europe et aux États-Unis ! Même s’il est parfois complexe de trouver la bonne offre qui corresponde à la demande européenne ». Il rappelle qu’il y a eu beaucoup d’investissements étrangers dans l’immobilier dans l’île. « On arrive presque à saturation. Parallèlement, il y a une vraie demande de groupes hôteliers internationaux pour faire de la gestion en Afrique. Ils demandent à ce qu’on lève des fonds en Afrique pour monter les murs et eux feront la gestion. » 
« Pour cela il nous faut mutualiser l’expertise et le financement/ressources. L’échelle des investissements demande de la collaboration et de l’échange », relève Melvyn Chung, Managing Director de AXYS Stockbroking, qui ajoute qu'il est compliqué de trouver des financements bancaires. « Nous mettons deux pools d’investisseurs : ceux qui veulent prendre un risque de promotion immobilière et ceux qui mettent des fonds propres (equity) et qui veulent être sur un risque de dette, ils prêtent de l’argent aux investisseurs. L’equity permet d’avoir un retour annuel sur investissement de 15 %, de quoi rémunérer de 8 % à 10 % les prêteurs. » Soit autant que certains projets équivalents dans des pays développés ! Toutefois, « comme il n’y a pas assez d’offre dans le résidentiel, les retours sur investissement y sont assez faibles », tempère Outi de Falbaire, la directrice associée de Barnes Mauritius, qui a partagé son expérience au Zimbabwe. 
 

Melvyn Chung, Managing Director de AXYS Stockbroking
Melvyn Chung, Managing Director de AXYS Stockbroking : « L’échelle des investissements demande de la collaboration et de l’échange. »
 

Nouvelles classes moyennes

« Il y a sans doute une fenêtre de tir pour Maurice pour se positionner sur ce créneau. Car beaucoup de Sud-Africains ont investi en Afrique mais avec peu de succès. S’il y a une grève des investissements à cause de la situation socio-politique qui prévaut dans la Nation Arc-en-ciel, les fonds existent dans ce pays ! », assure Frederic Tyack, CEO d’Ascencia. Cette entreprise du groupe Rogers gère, en Namibie, deux grands centres commerciaux dans lesquels des capitaux sud-africains ont été investis.
Avec une explosion de la population urbaine et l’émergence d’une classe moyenne, de nouvelles demandes et de nouveaux besoins sont apparus en Afrique. « Il y a de nombreux débats sur ce qu’on appelle les classes moyennes africaines (CMA). Toutefois, l’expansion quantitative des classes moyennes inférieures à moyennes basses – de deux à dix dollars par jour – accroît considérablement le marché de la consommation partout en Afrique », indique Jean-Michel Durand. 
 

Alain Laridon, ancien ambassadeur de Maurice au Mozambique
Alain Laridon, ancien ambassadeur de Maurice au Mozambique : « À Maputo, les Mauriciens sont reconnus comme des experts du secteur sucrier. »
 

Evolution de la population urbaine

« On évalue la classe moyenne africaine entre 300 et 400 millions d’individus. Cette population jeune, souvent hyperconnectée, a d’autres envies. Il faut ajouter la diaspora qui, contrairement à celle de Maurice, non seulement rentre sur le continent mais y investit ! », précise Gaëtan Siew. 
Cette demande de la classe moyenne africaine s’incarne dans les centres commerciaux qui se multiplient en Afrique. Selon la sixième édition du rapport Shopping Malls in Africa du cabinet Sagaci Research, « le nombre de malls en Afrique a plus que doublé entre 2010 et 2018, passant de 225 à 579 ! » C'est pour cela qu'Ascencia, qui a une vraie expertise dans la gestion de six centres commerciaux à Maurice (Bagatelle Mall, Phœnix Mall, Riche-Terre Mall, Kendra, Les Allées et So’Flo), a pu assurer, via Enatt, sa compagnie sœur, la gestion de deux centres commerciaux en Namibie. « Avant d’aller dans ce pays d’Afrique australe, nous avons visé le Kenya, là encore dans un projet de centre commercial. Mais nous sommes arrivés trop tard, le marché était déjà très occupé », confie Frederic Tyack. 
 

Constantin de Grivel, Managing Director de AXYS Investment Partners
Constantin de Grivel, Managing Director de AXYS Investment Partners : « Tenir compte du climat économique et social et surtout politique. »
 

Les rois de la croissance en Afrique

Les bons partenaires

Pourquoi la Namibie, ce pays de seulement 2,5 millions d’habitants ? « Les risques y sont relativement peu élevés, répond Frederic Tyack. Et nous avons trouvé de bons partenaires sud-africains. Le bon choix d’un partenaire est toujours primordial. Détail important, il n’y a pas de souci majeur pour disposer de devises et les rapatrier. »
« Il faut identifier à l'avance les pays dans lesquels on veut investir, souligne Constantin de Grivel. Pour cela, il faut examiner le cadre juridique (voir s’il a été testé) et la solidité du système bancaire et du financement. Mais il est important aussi de regarder l’attrait du pays d'un point de vue économique, social et politique. À AXYS, nous avons identifié cinq États qui nous intéressent : l'Afrique du Sud, la Namibie, le Botswana, le Rwanda et le Kenya. Nous sommes déjà présents à Nairobi où nous avons un stockbroker avec une équipe de 20 personnes. » 
Barnes, spécialisée dans des projets de luxe, a-t-elle des projets en Afrique ? « Nous voulons aller en Afrique du Sud, surtout au Cap mais c’est compliqué », regrette Outi de Falbaire, directrice associée de Barnes Mauritius. « Le vrai problème est le contrôle des changes et le transfert d'argent. Par exemple, je viens de vendre une maison au Zimbabwe, c’est très complexe pour effectuer le transfert en dollars », déplore-t-elle. « C’est un vrai souci », reconnaît Gaëtan Siew. « Par exemple, pour éviter cela, Microsoft Afrique (hors Afrique du Sud) paie tous ses employés via… Port-Louis. »
Si la plupart des défis en Afrique ont été évoqués, Mikaël Le Luron, Head of Marketing à ENL Property, insiste sur le fait que, bien sûr « il faut aller en Afrique. Mais il faut aussi attirer des capitaux africains à Maurice. Les smart cities, qui sont aussi de nouvelles façons de penser l’urbanité avec l’appui de la technologie, représentent un savoir-faire mauricien ». 
Mais on s’aperçoit que les acteurs de l’immobilier mauricien affrontent la concurrence mondiale en ordre dispersé. « Il faut vendre Maurice comme une destination globale, propose Outi de Falbaire. Nous sommes un pays, pas seulement une île. Il faut aussi vendre un style de vie mauricien, ce qui n’est pas vraiment fait pour le moment. »
« Il nous faudrait l’équivalent de la MTPA (Mauritius Tourism Promotion Authority) », ajoute Patrice Legris, CEO d’Alteo Properties. « On s’aperçoit que beaucoup d’étrangers revendent, à moyen terme, leurs produits immobiliers. Ils se plaignent qu’il n’y a pas assez de choses à faire et pas assez d’offres culturelles », regrette Martine de Comarmond, directrice à Pam Golding.
« Ceux qui restent sont les actifs et ceux qui ont des familles. Mais les plus fortunés ne restent pas », reconnaît la directrice associée de Barnes Mauritius. Encore une fois, Maurice doit se réinventer pour surfer sur la vague africaine.
 

Selon les prévisions, la moitié de la population africaine sera urbanisée d'ici 2030 (ici, Johannesburg).
Selon les prévisions, la moitié de la population africaine sera urbanisée d'ici 2030 (ici, Johannesburg). Photo : Stock Lib
 

Nombres de chambres d'hôtel en Afrique
 

Patrice Legris, CEO d’Alteo Properties : « Le vecteur de croissance passe par l’ouverture. »
Patrice Legris, CEO d’Alteo Properties : « Le vecteur de croissance passe par l’ouverture. »
 

 

Outi de Falbaire, directrice associée de Barnes Mauritius : « Urbanisation ne rime pas forcément avec pouvoir d'achat."
Outi de Falbaire, directrice associée de Barnes Mauritius : « Urbanisation ne rime pas forcément avec pouvoir d'achat.»
 

 

Mikaël Le Luron, Head of Marketing à ENL Property : « Il faut aussi attirer les capitaux africains à Maurice. »
Mikaël Le Luron, Head of Marketing à ENL Property : « Il faut aussi attirer les capitaux africains à Maurice. »
 

 

Martine de Comarmond, directrice à Pam Golding : « Pam Golding essaie d’investir hors d’Afrique du Sud mais dans des États proches géographiquement et culturellement. »
Martine de Comarmond, directrice à Pam Golding : « Pam Golding essaie d’investir hors d’Afrique du Sud mais dans des États proches géographiquement et culturellement. »