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ÉRIC LEGRIGEOIS, DIRIGEANT DU GRAND PORT MARITIME DE LA RÉUNION : « Il faut préserver notre connectivité et notre attractivité »

Dans un contexte délicat pour le fret maritime mondial, Éric Legrigeois, le président du directoire et directeur général du Grand Port Maritime, évoque les projets de développement susceptibles d’améliorer la compétitivité de ce poumon économique vital pour l’ouest de l’île. Comme pour La Réunion dans son ensemble.

L’Éco austral : Baisse du nombre de bateaux affrétés, indisponibilité des conteneurs, hausse exponentielle des tarifs… La pandémie a changé la donne planétaire du fret maritime. Comment le Grand Port traverse-t-il cette tempête ?
Éric Legrigeois
: Les deux dernières années ont été vécues avec un certain stress dans la communauté portuaire. Non seulement du fait d’un contexte international agité, mais aussi du fait de la disponibilité parfois réduite de nos équipes touchées par le virus. Il a fallu faire preuve d’agilité. Mais au final, l’année 2021 affiche un réel dynamisme : nous avons battu le record de trafic, avec 392 000 équivalents vingt pieds (EVP) et plus de six millions de tonnes de marchandises. Le précédent record datait de 2019, avant la pandémie, avec 375 000 EVP.

Comment expliquez-vous un tel bilan malgré les difficultés évoquées ?
Avant 2019, le trafic connaissait des pics d’activité, notamment les semaines précédant les fêtes de fin d’année. Avec la désorganisation et les incertitudes engendrées par la pandémie, les importateurs ont changé leurs habitudes. En anticipant leurs commandes, ils ont sécurisé leurs délais d’acheminement et réduit leurs coûts d’approche. En effet, plus ils s’y prennent tôt, moins ils paient cher. Tel est le résultat de la politique de yield management désormais mise en oeuvre par les compagnies maritimes. Toujours est-il que ces stratégies d’optimisation à l’import ont profité au Grand Port en lissant le trafic sur l’année, ce qui a permis d’exploiter à plein nos capacités.

Il n’y a donc pas eu de ruptures de stocks dans les magasins réunionnais ?
Sauf à parler de produits très précis, je ne le crois pas… Les discours qui sont allés dans ce sens relevaient sûrement davantage de l’instrumentalisation que de la réalité. L’anticipation de la grande majorité des importateurs a permis de faire entrer à La Réunion suffisamment de marchandises pour satisfaire le consommateur local. En revanche, les réapprovisionnements en urgence, qui se pratiquaient fréquemment jusqu’à présent, sont devenus très compliqués et particulièrement coûteux. Car les délais d’acheminement se sont indéniablement accrus. Un état de fait qui fait régner de l’incertitude du côté des importateurs. Notamment sur les produits frais ou avec des DLC (dates limites de consommation, NDLR) proches qui, en cas de retard de livraison, ne sont plus commercialisables.

Que sont devenus les conteneurs vides entreposés massivement au Port, fin 2020 ? 
Au-delà du stock incompressible généré par le flux d’une activité continue, il doit encore rester un excédent de quelques milliers de conteneurs vides à La Réunion. Mais le plus gros a été réacheminé vers les pays exportateurs. D’ailleurs, en 2021, il y a eu 14 000 EVP vides exportés de plus qu’en 2020, alors que l’écart sur les imports pleins n’est que de 8 000 EVP supplémentaires.

Certains spécialistes parlent d’une amélioration de la situation envisageable courant 2022… 
Certaines visions optimistes se projettent en effet sur un rééquilibrage de l’offre et de la demande avec la fin de la crise Covid. D’autres, dont je fais partie, émettent beaucoup plus de réserves quant à un retour rapide à la normale, c’est-à-dire à la situation d’avant 2019. D’une part, l’actualité rend l’avenir très incertain : la guerre menée par la Russie en Ukraine pourrait avoir des effets collatéraux sur le fret maritime. D’autre part, les compagnies maritimes ont tiré parti d’une situation atypique pour ajuster leur modèle économique et générer d’énormes bénéfices. Les méthodes commerciales ont montré leur efficacité, je ne vois pas pourquoi elles les abandonneraient… Elles vont vouloir préserver leurs marges, d’autant qu’elles vont être contraintes d’investir massivement pour moderniser leurs flottes et respecter les contraintes nouvelles de la réglementation internationale. Enfin, n’oublions pas que le marché est mondial et les grands ports de l’ouest américain sont engorgés à cause de goulots d’étranglement structurels. Les retards occasionnés sur les lignes régulières ont un effet domino sensible, y compris à l’échelle de l’océan Indien.

Le Grand Port doit pouvoir consolider la connectivité de La Réunion « Le Grand Port doit pouvoir consolider la connectivité de La Réunion en proposant aux compagnies maritimes d’investir sur la ZAP, afin de mieux contrôler leur chaîne logistique et de dégager davantage de valeur ajoutée. »  © Lionnel Ghighi

La donne semble changer à long terme pour le fret maritime. Comment le Grand port et La Réunion entendent-ils tirer leur épingle du jeu ?
Il est indispensable de préserver la connectivité et l’attractivité du Grand Port de La Réunion, en offrant aux compagnies des escales performantes. C’est dans cet état d’esprit que nous avons investi dans deux nouveaux portiques, afin d’améliorer notre productivité sur les activités de manutention. Ces portiques doivent être livrés au mois de juin, pour une mise en service en juillet. Pour faciliter la prise en main de ces nouvelles machines par les portiqueurs, la cabine de commande sera similaire à celle des trois derniers portiques livrés. Les travaux pour optimiser nos infrastructures en fonction du parc de six portiques dureront jusqu’à la fin de l’année. Par ailleurs, pour accompagner le fort accroissement escompté de l’activité de manutention, le terre-plein « reefer » sera déplacé et reconfiguré sur trois niveaux, pour être plus compact tout en offrant une bien meilleure sécurité aux personnels du Grand Port et aux acconiers intervenant pour brancher ces conteneurs. À terme, la capacité du terre-plein connecté au réseau électrique atteindra 500 prises, contre 300 actuellement. Cette nouveauté, qui coûtera au final plus de 10 millions d’euros, apportera un supplément d’attractivité au port, en particulier pour certains flux en transbordement.

Qu’en est-il du projet de dock flottant ?
Le dossier est compliqué à finaliser car les offres reçues de chantiers navals, tous éloignés de La Réunion, intègrent un coût de transport trois fois plus élevé que ce qui était prévu. En cause ? Le niveau actuel des taux de fret maritime. Pour autant, cet investissement à 10 millions d’euros, important pour l’interprofession de la réparation navale, suit son cours et nous espérons le concrétiser dans les mois à venir. Si la phase de négociation aboutit, la commande devrait être passée sous peu, de sorte que la livraison du dock flottant puisse avoir lieu au troisième trimestre 2023. Sans attendre, nous engagerons dès la mi-2022 les travaux de rénovation de l’ancien terminal céréalier pour y permettre l’installation des Ateliers de l’Océan. Ces derniers accueilleront les différentes spécialités de réparation navale nécessaires pour offrir aux armements un large panel de compétences.

croissance part type de trafic
La carrière
La carrière qui avait été autorisée sur 15 hectares arrive au terme de son exploitation.  Photo : Guillaume Foulon

La ZAP fait toujours débat

En majeure partie propriété du Conseil départemental, la Zone arrière portuaire (ZAP) constitue un enjeu stratégique majeur pour l’ouest de l’île et pour La Réunion en général. « Cet espace de 85 hectares était jusqu’à présent exploité en carrière pour extraire des matériaux utiles à la construction de la nouvelle route du Littoral. Mais le temps des carrières est fini, place à l’aménagement ! », annonce Emmanuel Séraphin, président du TCO. Car c’est à l’intercommunalité de l’Ouest qu’incombe la compétence d’aménagement des quelque 70 hectares exclus de la réserve foncière attribuée au Port pour des terre-pleins portuaires aux usages multiples et modulables (véhicules, conteneurs, chantier d’énergie renouvelable…). « Nous avons aujourd’hui besoin de poser les grands principes d’aménagement, de coordonner les attributions de façon cohérente et de phaser le projet », poursuit l’élu, qui prête une vocation avant tout productive à cette ZAP.
« Cela ne pourra rester un simple plateau logistique. Une activité de production devra y être implantée. Pourquoi pas de la transformation agroalimentaire ? Nous allons bientôt lancer une étude pour dessiner les contours précis du projet. » Pour Éric Legrigeois, « de nombreuses études ont déjà été réalisées, sur lesquelles il est possible de s’appuyer pour avancer rapidement. Le Grand Port doit pouvoir consolider la connectivité de La Réunion en proposant à moyen terme aux compagnies maritimes d’investir sur la ZAP, afin de mieux contrôler leur chaîne logistique et de dégager davantage de valeur ajoutée. Au-delà des 20 hectares de réserve foncière, une quinzaine d’hectares est donc souhaitable pour faire aboutir ce type de projets. »
La cinquantaine d’hectares restants sont à cibler pour de la logistique et de la production locales, à la condition que celles-ci soient « destinées à l’export ». Et le président du directoire du Grand Port de résumer : « Il faut trouver des synergies pour coconstruire en ménageant les intérêts de chacun, Grand Port, institutionnels et investisseurs privés. Mais il est à mon sens indispensable de structurer la réflexion sur le long terme et de conserver le foncier dans le domaine public. » Un dernier point sur lequel Emmanuel Séraphin semble, cette fois, totalement en phase avec Éric Legrigeois.