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Réunion

ARNAUD LAGESSE, GROUP CEO D’IBL : « Run Market, c’est un beau challenge »

Depuis le début du mois d’août, le groupe mauricien IBL est actionnaire à 51 % de Make Distribution qui exploite, à La Réunion, quatre hypermarchés à l’enseigne Run Market Partenaire Intermarché. Un beau challenge selon le « Group CEO » d’IBL, Arnaud Lagesse, qui n’a pas hésité à prendre des risques importants pour sauver Make Distribution…

« Nous voulons être reconnus comme un opérateur bien implanté dans le tissu économique et social de La Réunion. » Arnaud Lagesse a été un peu déçu par certaines réactions, à La Réunion, lorsque son groupe s’est rapproché de Make Distribution pour éviter sa liquidation judiciaire et le licenciement de 750 salariés. Il n’était pas venu pour « faire un coup », mais pour s’impliquer durablement. Il en veut pour preuve sa prise de risque. Le groupe a injecté pas moins de 12 millions d’euros avant une reprise qui n’avait rien de garantie. Il a fallu ensuite passer l’étape de la validation par le tribunal de commerce, puis celle du feu vert de l’Autorité de la concurrence (dans la mesure où le groupe est propriétaire d’Edena Boissons). Au total, IBL a déjà investi 16,5 millions d’euros, de même (ou presque) que son partenaire réunionnais, la Société Adrien Bellier (SAB), actionnaire à hauteur de 49 %, le groupe mauricien étant majoritaire à 51 %.

Sur le reliquat de dette à rembourser, Arnaud Lagesse ne veut pas donner de montant, mais il précise qu’il est important. L’ardoise est loin d’avoir été complètement effacée. Ce remboursement est à la charge de Make Distribution et, pour cela, il s’agit maintenant de doper la croissance de l’entreprise qui, avec ses quatre hypermarchés, pèse 6 % du marché, selon le patron d’IBL dont l’objectif est de monter à 8 %.

Face à Run Market, les deux poids lourds Carrefour et Leclerc détiennent ensemble une part nettement supérieure à la moitié de ce marché. Il y a aussi System U et Leader Price… La concurrence fait rage.

« Intermarché, c’est 62 usines »

Mais Arnaud Lagesse croit en ce partenariat avec Intermarché : « Make Distribution a signé un nouvel accord de partenariat commercial via leur filiale Geprocor. Le Groupement des Mousquetaires est un acteur important de la grande distribution en France, dans le trio de tête des enseignes qui prennent des parts de marché en Métropole. Intermarché a une force de production avec 62 usines en propre ainsi qu’une centrale d’achat puissante. »

Le fait que la marque Intermarché soit récente à La Réunion et pas toujours bien connue n’inquiète pas le Group CEO d’IBL : « En offrant une large gamme de produits de marque de distributeur (MDD) et premiers prix en cette période d’inflation, le Groupe IBL a un rôle à jouer auprès des consommateurs. La constance dans la disponibilité des produits et un positionnement prix compétitif seront des éléments clés afin de pouvoir faire la différence. »

Make Distribution a souffert d’une faiblesse en matière de logistique car si Groupe Bernard Hayot (GBH) lui a cédé quatre hypermarchés après son rachat de Vindémia, il a gardé la centrale d’achat et d’entreposage Saprim. Comment améliorer sa capacité logistique ? Des économies d’échelle sont-elles possibles avec Maurice ou même le Kenya où IBL est implanté (lire notre hors-texte) ?

« Nos équipes opérationnelles travaillent ardemment et de manière générale sur tous les volets qui peuvent être perfectibles et améliorer la situation de Make Distribution, répond Arnaud La-gesse. Les économies d’échelle ou les synergies à développer sont un axe de réflexion, mais sont loin d’être le seul. »

Chaque marché ayant ses marques, ce n’est pas simple. On pourrait difficilement envisager de vendre des produits Winners (marque mauricienne) à La Réunion. Mais pour des couches Pampers, par exemple, l’économie d’échelle est évidemment possible.

Avec ses quatre hypermarchés Run Market, Make Distribution réalisait avant ses difficultés un chiffre d’affaires de 200 millions d’euros. ©Droits réservés

La prise de contrôle de Make Distribution, qui réalisait 200 millions d’euros de chiffre d’affaires avant de connaître des difficultés, représente en tout cas une belle croissance externe pour IBL. Pour en mesurer l’importance, il faut savoir que Winners, son enseigne de grande distribution, leader sur le marché mauricien, réalise un chiffre d’affaires équivalent à environ 244 millions d’euros. Il faut dire que depuis la crise en 2020, la roupie s’est dépréciée d’environ 25 % face à l’euro.

Mais au-delà des chiffres, Arnaud Lagesse croit à la nécessité d’un rapprochement entre Maurice et La Réunion, « deux îles sœurs de par leur proximité géographique, historique et culturelle ». « Il est important pour un territoire de se développer à l’échelle régionale et de créer des liens avec les territoires limitrophes. C’est ce que fait Maurice, tout naturellement, avec La Réunion et j’invite La Réunion à faire de même avec Maurice. Il existe des opportunités formidables pour les deux îles. »

Montée dans le capital de Naivas au Kenya : En 2022, le Groupe IBL a réalisé le plus gros investissement de son histoire, à hauteur de 95 millions de dollars. Cela lui a permis d’entrer au capital de Naivas, groupe familial leader de la grande distribution au Kenya, un pays de plus de 55 millions d’habitants. Pour être précis, c’est un consortium qui a pris 40 % du capital pour un montant total de 145 millions de dollars. Le Groupe IBL est actionnaire à 66 % de ce consortium au côté de Proparco, bras armé de l’Agence française de développement (AFD) et de son équivalent allemand DEG, filiale de l’institution KfW Group. Dans l’accord passé avec la famille propriétaire de Naivas, il était prévu une nouvelle montée au capital qui s’est faite deux ans plus tôt que prévu. Ce qui témoigne de la réussite du partenariat. D’ailleurs, Naivas ouvre en ce mois de septembre 2023 son 100ème supermarché.
Aujourd’hui, le consortium détient 51 % du capital du groupe kenyan de grande distribution. Et comme IBL a pris une part plus importante au sein du consortium, il détient indirectement 37,32 % de Naivas. À terme, il devrait en être majoritaire tout en gardant la famille fondatrice à ses côtés. Une stratégie proche de celle appliquée à La Réunion avec Make Distribution, la société exploitant quatre hypermarchés à l’enseigne Run Market Partenaire Intermarché. Le Groupe IBL détient 51 % du capital et le Réunionnais SAB 49 %.

IBL renoue avec une forte croissance : Le Groupe IBL a retrouvé le chemin de la croissance après les années de crise covid qui ont principalement affecté son activité hôtelière. Dans son exercice 2021- 2022 (clôturé au 30 juin 2022), son chiffre d’affaires a progressé de 26 % pour s’établir à 45 milliards de roupies (environ 918 millions d’euros). Et surtout, son résultat d’exploitation s’est envolé, passant de 585 millions de roupies (environ 12 millions d’euros) à 3,36 milliards de roupies (environ 69 millions d’euros). Mais le groupe devrait faire beaucoup mieux sur l’exercice clôturé au 30 juin 2023. Ses comptes n’avaient pas encore été présentés officiellement au moment où nous bouclions cette édition de L’Éco austral. On s’attendait néanmoins, au vu de certains indicateurs (notamment le nombre de touristes revenus à Maurice), à un chiffre d’affaires passant nettement au-dessus de la barre du milliard d’euros. Et une croissance du même ordre pour le résultat.
Le Groupe IBL est plus précisément un conglomérat car il intervient dans bon nombre de secteurs très différents les uns des autres : banque et services financiers, industrie, construction, ingénierie, énergie, commerce et distribution, immobilier, hôtellerie, santé, biotechnologies… Avec une position de leader dans plusieurs d’entre eux comme la grande distribution avec l’enseigne Winners. Sa diversification lui a permis de résister à la crise même s’il a été impacté. Cela représente un ensemble d’environ 300 entreprises. De quoi employer quelque 24 800 personnes avec une présence dans 23 pays différents.

En octobre 2016, Arnaud Lagesse a réussi l’ascension du Kilimandjaro, atteignant 5 895 mètres. Il n’est pas du genre à s’en vanter, mais nous avons repris l’info et la photo dans le magazine du Groupe IBL.

Arnaud Lagesse : le patron qui atteint des sommets : Arnaud Lagesse est un patron atypique. Pas du genre à vouloir tenir le gouvernail jusqu’à un âge très avancé. À 54 ans, il devait prendre le 30 juin dernier sa retraite du groupe comme il était prévu dans son contrat de Group CEO. Mais le conseil d’administration l’a convaincu de rempiler avec un contrat de cinq ans. Il est vrai qu’il a amorcé avec succès l’internationalisation du groupe, selon le plan stratégique IBL Beyond Borders, et qu’il reste du pain sur la planche. Mais avec de grosses opérations de croissance externe, comme au Kenya et à La Réunion, ça avance vite. À tel point qu’au 30 juin 2024, le chiffre d’affaires du groupe devrait se réaliser à 50 % à l’extérieur de Maurice.
Arnaud Lagesse aime prendre du recul. Ce qui n’est pas simple quand on dirige un groupe avec des entreprises cotées à la Bourse, ce qui, au total, représente plus de 12 500 actionnaires, dont sa famille. Prendre du recul, c’est aussi prendre de la hauteur. Et en octobre 2016, il s’est lancé dans l’ascension du Kilimandjaro, atteignant son plus haut sommet, Uhuru Peak, à 5 895 mètres d’altitude. Sans n’avoir jamais fait de publicité sur cet exploit personnel, il avait bien voulu en témoigner dans le n°3 du magazine du groupe, together. Évoquant cette épreuve difficile, très physique, car l’oxygène se raréfie à partir d’une certaine altitude, il avoue en avoir tiré une grande satisfaction. « La volonté permet de réussir tout ce qu’on entreprend et la force mentale peut nous amener bien plus loin que la force physique. »
Dans cinq ans, quand il prendra vraiment sa retraite, on imagine Arnaud Lagesse faire le tour du monde en voilier ou autre chose dans la même veine. Il aura alors ouvert pleinement son groupe au monde.