Câbles sous-marins : mêmes enjeux que pour les routes maritimes d’autrefois
Les câbles sous-marins en fibre optique répondent à l’explosion de la demande de bande passante et représentent un véritable enjeu de développement, pour ne pas dire de guerre économique. Où se situe La Réunion dans tout ça ? Réponse : exactement comme au temps de la marine à voile !
C’était il y a moins de vingt ans : le premier câble en fibre optique à atterrir à La Réunion (Saint-Paul, « baie du meilleur ancrage ») est le SAFE (South Africa Far East), en 2001. Long de 13 104 kilomètres, il relie Penang (Malaisie) à l’Afrique du Sud et permet actuellement un flux de 130Gb/s (gigabits par seconde) car il a été entretemps upgradé. Orange a ensuite posé en 2009 le LION (Lower Indian Ocean Network), un câble long de 1 011 kilomètres qui permet un flux de 1,3Tb/s (1 térabit par seconde = 1000 Gb/s) entre Maurice, La Réunion (Sainte-Marie) et Madagascar (Tamatave). En 2011, le LION 2 est venu raccorder le LION 1 à Mombasa (Kenya) en passant par Mayotte (2 619 kilomètres). Ce câble de 1,3 Tb/s permet à Mayotte d’accéder à l’Internet haut-débit, mais il connecte surtout Maurice, La Réunion et Madagascar à toute l’Afrique et, via les autres câbles, à l’Europe et aux États-Unis.
Le câble METISS en cours d’installation
Orange a également mis en service le câble LION 3, qui relie Mayotte et la Grande Comores. Et l’île principale des Comores étant elle-même reliée au câble EASSy, on bénéficie d’une redondance qui renforce la fiabilité de tout le dispositif. En cas de panne, le débit est réduit mais pas interrompu car il peut emprunter l’itinéraire secondaire.
Un nouveau câble est en cours d’installation : le METISS (MElting poT Indianoceanic Submarine System). Il reliera en 2019 Maurice (Baie-du-Tombeau), La Réunion (Le Port) et Madagascar (Fort-Dauphin) à la côte est de l’Afrique du Sud (Durban). Ce câble de 3 000 kilomètres, permettant une vitesse de connexion de 24Tb/s, représente un investissement de 40 millions d’euros réunis par les six membres du consortium (Telma de Madagascar, CEB FiberNET et Emtel de Maurice, Canal+ Telecom, SFR et Zeop).
Autre projet dans les tuyaux : IOX (Indian Ocean Xchange Cable System), long de 8 850 kilomètres, prévu pour relier l’Inde (Pondichéry) à l’Afrique du Sud (East London) en passant par Rodrigues, Maurice et (après une hésitation) La Réunion. Le projet est porté par la société mauricienne IOX Cable Ltd en partenariat avec Alcatel Submarine Networks (ASN), filiale du groupe Nokia. Son débit annoncé est de 13,5 Tb/s. Le tronçon Maurice-Rodrigues sera même doublé avec le projet MARS (Mauritius and Rodrigues Submarine) lancé par Mauritius Telecom en mars 2018 en partenariat avec les Chinois PCCW Global et Huawei Marine. Le câble devrait être opérationnel en 2019. Débit annoncé: 16Tbit/s.
Un méga projet à l’horizon 2021
Et pour finir, dernier projet connu en date : le SAEx 2 (South Atlantic Express), du nom du porteur de projet, SAEx International Ltd, basé à Phoenix (Maurice), avec une filiale en Afrique du Sud (SAEx SA Ltd). Ce câble d’une capacité de 72Tb/s va relier Singapour (Malaisie) et Chennai (Inde) à Mtunzini, East London, Port Elizabeth et Le Cap en Afrique du Sud, en passant par Madagascar et Maurice. Ce SAEx 2 sera connecté au SAEx 1 qui va du Cap à Virginia Beach (États-Unis) en passant par Fortaleza (Brésil), avec des raccordements vers Sainte-Hélène et Ascension. Le projet a été lancé en 2011 mais, vu son ampleur, (SAEx 1 + 2 = 25 000 kilomètres, avec des profondeurs dépassant parfois 5 000 mètres), cela prend du temps, mais cela avance. La mise en service est officiellement annoncée pour 2021. On notera que ce dernier câble ne va pas atterrir à La Réunion, du moins en l’état actuel du projet, mais il nous intéresse quand même car nous sommes reliés à l’île Maurice. Si nous écrivons « en l’état actuel du projet », c’est parce qu’il bénéficie selon nos informations de fonds européens et que, sait-on jamais, un élu réunionnais pourrait se réveiller et réclamer qu’il desserve également son île.
Tous les câbles sous-marins suivent les routes maritimes d’autrefois et La Réunion revit la même histoire : elle doit se positionner d’une manière ou d’une autre dans le schéma. Être raccordée ne suffit pas, c’est simplement une opportunité, l’important est de devenir un acteur et d’apporter de la valeur ajoutée.
Autre technologie pour soulager les câbles sous-marins : chaque download de fichier est conservé localement un certain temps pour répondre plus vite à un autre internaute qui ferait la même demande dans un délai très court. On utilise pour cela un serveur cache qui a exactement la même fonction que le cache de votre navigateur web. Prenons le cas du clip Despacito, qui totalisait 5,5 milliards de vues sur Youtube au 1er octobre 2018. Au lieu d’aller chercher à chaque fois le fichier original sur un serveur en Californie, le clip est stocké localement à La Réunion par les FAI locaux pour servir plus rapidement les Réunionnais qui veulent encore le télécharger. Les FAI réalisent ainsi des économies substantielles de bande passante sur les câbles sous-marins.
Le 25 janvier 2017, l’océan Indien a connu la plus grosse panne Internet de son histoire. Le câble sous-marin EASSy (East African Submarine Cable System) reliant Tuléar (sud-ouest de Madagascar) à l’Afrique du Sud a été endommagé sur plusieurs kilomètres, à 38 kilomètres au large de Tuléar, par 2 600 mètres de fond. Ce câble d’1,4 Tb/s est celui utilisé notamment par Telma, premier fournisseur d’accès à Internet de Madagascar. La panne, qui a duré quinze jours, a été réparée par un câblier d’Orange Marine. Cette filiale à 100 % du groupe Orange a repris les activités de l’ancienne branche câbles sous-marins du ministère des Postes et Télécommunications. Elle capitalise une expérience reconnue mondialement, ayant installé plus de 190 000 kilomètres de câbles sous-marins, dont 160 000 en fibre optique, dans tous les océans du globe, et a réalisé 550 réparations sur des liaisons intercontinentales, dont certaines par 5 500 mètres de profondeur.
Orange Marine opère actuellement six câbliers, dont le plus récent est le Pierre de Fermat, livré en novembre 2014. Il est conçu pour prendre en charge les opérations de pose et de réparation des câbles sous-marins. Il mesure 100 mètres de long et 21,5 mètres de large, avec un tirant d’eau de 7,1 mètres. Il peut accueillir 80 personnes (70 cabines simples et 5 cabines doubles). Le navire est propulsé par deux moteurs électriques de 2 500 kW alimentés par quatre générateurs diesel de 2 250 kW (qui servent aussi à procurer toute l’énergie nécessaire à bord). Il est capable d’atteindre 15 nœuds et sa vitesse de croisière est de 12 nœuds. Son autonomie est de 45 jours. Ses principaux équipements sont un robot sous-marin (ROV – Remotly Operated Vehicle) de 9 tonnes et une charrue, qui permettent au câblier d’intervenir en inspection, réparation ou installation de câbles jusqu’à 2 000 mètres de profondeur. La charrue permet de creuser une tranchée et d’y enfouir le câble à 1,5 mètre de profondeur (ensouillage), pour le protéger des ancres et des chaluts.
Jusqu’en 2004, le flux de données devait impérativement monter d’abord sur Paris avant de redescendre sur La Réunion. La bande passante sur les câbles sous-marins fait que c’est totalement imperceptible (comparé au décalage d’une seconde dont souffraient autrefois les liaisons téléphoniques par satellite). Mais, en 2004, il a été décidé de mettre fin au centralisme parisien et de créer un GIX (Global Internet Exchange), baptisé Réunix. Concrètement, on a installé un switch Cisco 2950 dans un local à l’Université de La Réunion, au Moufia, pour faire le tri entre le flux qui intéresse l’extérieur et celui qui n’intéresse que l’île. On ne gagne rien en rapidité mais en fiabilité : si un câble sous-marin tombe en panne, le flux Internet purement local n’est pas affecté. C’est pour cette raison que certaines entreprises locales hébergent leurs données sensibles localement, pour pouvoir continuer à fonctionner en cas de panne sur un câble sous-marin. Elles y gagnent également en confidentialité et sécurité : leurs données ne font plus le tour du globe. Réunix a été mis en place dans le cadre d’un projet cofinancé par le Fonds européen de développement régional (Feder), le Conseil régional et Renater (groupement d’intérêt public, opérateur numérique de l’État pour le CNRS, l’INRA, le CNES, l’Inserm, le BRGM, le Cirad, les universités, etc.). Les membres de Réunix sont : Renater, l’Afnic (membre obligatoire pour gérer les service de DNS secondaire en .fr et .re), Reunicable (Zeop), Orange, Canal+ Telecom, Parabole Réunion, SFR, Mobius, Idom, Pyxise SARL et Zoreole Services (Acorus).
Le flux de données qui passe par Réunix est de 1,6 Gb/s.
Dans le cadre du plan France très haut débit, le gouvernement a mobilisé 50 millions d’euros pour garantir la continuité territoriale numérique dans les outre-mer dont 35 millions inscrits dans la Loi de Finance 2017 (dans le cadre du programme des investissements d’avenir). L’objectif est de neutraliser les surcoûts liés au transport des données Internet entre les outre-mer et les points de connexion internationaux, afin d’améliorer la qualité de service des utilisateurs ultra-marins. Concrètement, les FAI (fournisseurs d’accès à Internet) réunionnais qui achètent des capacités supplémentaires sur un câble sous-marin sont subventionnés jusqu’à 50 % en 2017, 40 % en 2018, 30 % en 2019, 20 % en 2020 et 10 % en 2021.
En outre, les opérateurs qui investissent dans des serveurs de cache, qui permettent de stocker en local les contenus les plus demandés et ainsi éviter le transit vers un point de connexion international, voient leur subvention bonifiée.