Comprendre l’embrasement sahélien
Impossible de comprendre la situation au Sahel sans avoir la connaissance du milieu et des hommes, de leurs mentalités et de leur histoire. D’autant plus que les jihadistes-GAT (Groupes armés terroristes) jouent sur les fractures ethno-tribales.
Dans le sahel centre-occidental, après le Mali et le Niger, le Burkina Faso se trouve désormais en première ligne face à des jihadistes-GAT (Groupes armés terroristes). La stratégie de ces derniers semble être de couper les villes de la brousse en jouant sur les fractures ethno-tribales. Tout en se plaçant à la confluence d’anciennes et mouvantes alliances rafraîchies par de modernes apparentements.
Face à eux, les 4 500 hommes de la force Barkhane, les 13 000 Casques bleus déployés au Mali et les fantômes de la force africaine G5 Sahel paraissent impuissants. Et, s’ils le sont, c’est parce que, coupés des réalités, leurs donneurs d’ordre appliquent des grilles d’analyse inadaptées :
Les « experts » parlent ainsi de combattre le terrorisme par le développement, la démocratie et la bonne gouvernance, tout en s’obstinant à minorer ou, parfois même, à refuser de prendre en compte l’histoire régionale et le déterminant ethnique.
La connaissance du milieu et des hommes, de leurs mentalités et de leur histoire est pour-tant indispensable à la compréhension des actuels événements. C’est ainsi que dans les immensités sahéliennes, domaine du temps long, l’histoire nous apprend que l’affirmation d’un islamisme radical a toujours été le paravent d’intérêts économiques ou politiques, le plus souvent à base ethnique. Aujourd’hui, le jihadisme prospère sur des plaies dont il n’est que la surinfection.
Le point faible des jihadistes
Dans le sud du Mali, dans l’ouest du Niger, dans le nord et dans l’est du Burkina Faso, les massacres « communautaires » (traduction : ethniques), qui se multiplient, sont ainsi pour une grande part des résurgences de conflits anciens habilement réactivés par les GAT.
Avant la colonisation, les sédentaires étaient en effet pris dans une double tenaille prédatrice, Touareg au nord et Peul au sud. Au Mali, les principales victimes étaient notamment les Bambara et les Dogon. Au Burkina Faso, la constitution de l’émirat peul du Liptako se fit par l’ethnocide des Gourmantché et des Kurumba (1). Or ce sont ces souvenirs qui constituent l’arrière-plan des actuels affrontements. Les ignorer conduit à l’impasse. D’autant plus que leur connaissance ouvre la voie de la contre-insurrection. Aujourd’hui, si les jihadistes tirent des avantages tactiques de ces affrontements, en revanche, leur stratégie s’en trouve bloquée. En effet, même si des alliances de circonstance sont nouées, les énormes fossés ethniques séparant les protagonistes empêchent l’engerbage. C’est même un phénomène contraire qui est apparu. Le jihadisme affirmait en effet vouloir dépasser l’ethnisme en le fondant dans un califat universel. Or, tout au contraire, il s’est trouvé pris au piège d’affrontements ethno-centrés. Là est sa faiblesse. Mais encore faut-il être capable de l’exploiter.
(1) Le numéro de juillet 2019 de L’Afrique Réelle contient un dossier consacré à la question du Gourma-Liptako et à la région dite des « Trois frontières ».
(2) Pour en savoir plus : Les guerres du Sahel des origines à nos jours (à commander à L’Afrique Réelle) ainsi que mon cours en ligne sur le Sahel.
Historien français spécialiste de l’Afrique où il a enseigné durant de nombreuses années, Bernard Lugan est l’auteur d’une multitude d’ouvrages dont une monumentale Histoire de l’Afrique. Parmi les plus récents, on peut citer Mythes et manipulations de l’histoire africaine, L’Atlas historique de l’Afrique des origines à nos jours et Les guerres du Sahel des origines à nos jours. Il a été professeur à l’École de guerre, à Paris, et a enseigné aux écoles de Saint-Cyr-Coëtquidan. Il a été conférencier à l’Institut des hautes études de défense national (IHEDN) et expert auprès du Tribunal pénal international pour le Rwanda-ONU (TPIR). Il édite par Internet la publication mensuelle L’Afrique Réelle.