Considérations sur la relique barbare
La « relique barbare », c’est ainsi que Keynes appelait l’or. Ce qui prouve à tout le moins qu’il ne comprenait pas grand-chose à la notion de « valeur », ce que d’ailleurs toute son oeuvre a amplement prouvé. À la question simpliste qui m’est souvent posée : pourquoi l’or a-t-il de la valeur alors qu’il ne sert à rien ? Je réponds toujours qu’il a de la valeur parce que tout le monde pense qu’il en a, et voilà tout.
Tous ceux qui, comme les keynésiens, veulent « sortir » l’or du système monétaire suivent des politiques tellement désastreuses quand ils arrivent au pouvoir que le cours de l’or s’envole à chaque fois… Et donc, dès que vous entendez un banquier central parler de la surabondance de l’épargne qui nécessite de maintenir des taux réels négatifs pour procéder à l’euthanasie du rentier, vous savez que vous avez affaire à un keynésien et qu’il est temps pour vous d’acheter de l’or même si vous n’avez pas une passion pour le métal jaune. Ce qui est mon cas.
Keynes n’aimait pas l’or, mais l’or adore les keynésiens, comme le montre mon premier graphique. Première remarque donc : tant que les keynésiens sont au pouvoir, les taux réels sont négatifs, et vous détenez de l’or. Quand les taux réels redeviennent positifs (les keynésiens perdent le pouvoir), vous le vendez. À mon avis, vous allez le garder pendant un certain temps encore…
Un actif anti-fragile
Le premier mérite de l’or est donc de vous protéger contre les banquiers centraux keynésiens qui pensent que l’État saura mieux que vous quoi faire de votre argent et ce n’est pas rien ! Mais ce n’est pas tout…
L’or, comme je l’ai souvent expliqué ici, est un actif anti-fragile. Ce qui m’amène à parler de Nassim Taleb qui a reçu à la naissance le don de voir des choses que les autres n’avaient pas vues jusque-là. Commençons par un actif fragile, tel que le marché des actions. Cet actif aura un prix, qui bougera quasiment à chaque seconde, mais la plupart du temps assez peu. Si l’amplitude de ces mouvements s’accroît avec le temps, alors le prix de cet actif baissera et j’appellerai cet actif un actif fragile. L’embêtant est que dans les grandes baisses, toutes les actions se mettent à bouger en même temps et donc à baisser toutes en même temps et que du coup, on se ramasse une énorme claque, la diversification entre actions ne servant plus à rien.
Comme le dit la vieille blague boursière : dans une grande baisse, la seule chose qui monte c’est la corrélation dans les mouvements entre actions. Et c’est là qu’on a besoin d’un actif anti-fragile, c’est-à-dire d’un actif qui, lorsque la volatilité de son cours augmente, voit son prix monter et non pas baisser. Et l’un de ces actifs est l’or, comme en fait foi mon second graphique. L’autre actif anti-fragile aujourd’hui est le 10 ans chinois, et peut-être encore le 10 ans américain.
Quand l’agitation règne (périodes en bleu sur le second graphique) et que le VIX (indicateur de volatilité du marché financier américain – NDLR) est au-dessus de 27, les actions se cassent la figure pendant que l’or a tendance à monter. C’est ce qu’on constate de janvier 2000 à mars 2003, par exemple. Et donc une position en or à l’époque aurait merveilleusement diversifié votre portefeuille, pour peu que vous ayez eu environ 25 % en or et que vous re-balanciez toutes les fins de trimestre.
Ce qui m’amène à la troisième question : pourquoi l’or n’est-il pas monté jusqu’à maintenant et, à cela, il y a plusieurs réponses. La première est que l’or est un peu une assurance contre un désastre financier. Or les banques centrales ne cessent de nous dire qu’elles vont tout faire pour empêcher ce désastre en imprimant autant d’argent qu’il le faudra. Et donc le cours de l’or ne monte pas puisque les banques centrales empêchent toute baisse dans les marchés… Jusqu’au jour où elles ne le pourront plus, sans doute parce que l’inflation sera en train d’exploser.
La deuxième réponse à la question sur l’or qui ne monte pas est que la banque centrale chinoise et les autorités de ce pays sont convaincues que les expériences monétaires en Europe et aux États-Unis vont mal se terminer et que la seule solution sera de revenir à une sorte d’étalon or. Et dans ce cadre-là, la Chine aura besoin d’autant d’or qu’elle le pourra pour asseoir la crédibilité de sa monnaie. Elle a donc tout intérêt à ce que l’or ne monte pas tout de suite trop violemment pour pouvoir continuer à faire ses courses tranquillement.

Se renforcer dans l’or : une bonne idée
La troisième réponse est que la FED et la BCE n’ont qu’une peur, que l’or se mette à monter très violemment, ce qui serait un signe que les marchés ne croient plus en elles. Et donc, ces deux grandes banques centrales doivent procéder à des ventes d’or brutales le samedi ou le dimanche soir quand il n’y a aucun volume et que le moindre ordre de vente déclenche une baisse assez sèche.
Résumons-nous : une hausse vertigineuse de l’or est à peu près certaine dans un futur pas trop lointain, MAIS une telle hausse n’arrange vraiment personne à court terme. Et donc, rien ne se passe, mais il faut bien se rendre compte que ceux qui veulent acheter de l’or pour se protéger contre une baisse du dollar ou de l’euro donneront sans doute le signal si les marchés des actions commencent à baisser et qu’ensuite nous aurons la banque de Chine et la banque centrale russe qui pourront appuyer à leur guise sur l’accélérateur pour déstabiliser la FED et la BCE.
Dès que les marchés se mettent à baisser, la main passe aux Chinois et aux Russes et surtout si le prix de l’énergie continue de monter, puisqu’une telle hausse rend inévitable la baisse du marché des actions en Europe et aux États-Unis, et donc inévitable la hausse de l’or.
Pour ceux qui le peuvent, il est donc temps de renforcer la position or dans les portefeuilles qui devraient déjà avoir une forte position en obligations chinoises et une position décente en or.
Vendre un peu d’obligations chinoises pour renforcer l’or est sans doute une bonne idée, à moins que les actions ne fassent plus de 50 % du portefeuille, auquel cas il faudrait alléger ce poste.

Économiste et financier, Charles Gave s’est fait connaître du grand public en publiant un essai pamphlétaire en 2001, Des Lions menés par des ânes (Éditions Robert Laffont), où il dénonçait l’euro et ses fonctionnements monétaires. Son dernier ouvrage – Sire, surtout ne faites rien aux Editions Jean Cyrille Godefroy (2016) – rassemble les meilleures chroniques de l’Institut de libertés (IDL) écrites ces dernières années. Il est fondateur et président de Gavekal Research (www.gavekal.com).