Diane Maigrot, « Start-up and Business Growth Manager » de La Turbine : « L’isolement est difficile à vivre pour un entrepreneur qui se lance »
Sous son impulsion, l’incubateur La Turbine, lancé par le groupe ENL, prend de la consistance. Il bénéficie de liens privilégiés avec l’un des meilleurs incubateurs au monde et a même eu droit à une visite de Google Afrique. Diane Maigrot explique pourquoi elle y croit…
L’Eco austral : Comment et pourquoi cet incubateur a-t-il vu le jour ?
Diane Maigrot : L’origine du projet est issue de la volonté du CEO du groupe ENL, Hector Espitalier-Noël, de se diversifier, d’innover et de transmettre aux nouvelles générations les valeurs entrepreneuriales. Le nom de Turbine provient du fait que nous sommes situés sur le site de l’ancienne usine sucrière, et plus particulièrement là où se trouvait la turbine. C’est en 2015, après une rencontre avec l’incubateur suédois Sting, acronyme pour Stockholm Innovation & Growth AB (voir encadré) que le projet La Turbine a été mis sur les rails. Notre modèle est calqué sur ce programme scandinave qui existe depuis quinze ans et qui a fait ses preuves. Sting, à travers un contrat de partenariat, nous transmet ses méthodes, ses outils et surtout ses conseils.
Pourquoi un entrepreneur créatif devrait-il rejoindre La Turbine ?
La Turbine offre au start-upper (créateur d’une entreprise innovante, en particulier dans le domaine des nouvelles technologies – NDLR), qui signe un contrat d’incubation, un espace de travail moderne, inspirant, convivial, un soutien professionnel avec un Business Coach qui lui consacre deux heures par semaine. Nous proposons également 30 heures d’accès avec des experts en droit, en marketing, en finance et en développement. Nous avons autour de nous un réseau de professionnels et de coach passionnés qui souhaitent participer à notre démarche.
Mais le plus grand avantage d’être à la Turbine est, selon moi, de faire partie d’une communauté et de bénéficier d’un réseau de professionnels. L’isolement est très difficile à vivre pour la plupart des entrepreneurs qui se lancent. C’est sans doute l’une des explications du taux très élevé d’échec des start-up, qu’on estime à 90 % !
Quel est le fonctionnement de cet incubateur ?
Le fonctionnement est simple, nous organisons des programmes et nous encourageons les entrepreneurs à venir exposer leurs idées et à répondre à des questions essentielles avant de se lancer : Qui est mon client ? Quelle est la valeur de mon produit ou du service que je veux lui offrir ? Est-ce que mon client a déjà ce produit ou ce service à sa disposition ? À quel prix ? Si oui, pourquoi choisirait-il de changer d’habitude ? Quels seront mes frais de lancement ? Quel est le montant de l’investissement initial ? Qui pourrait investir si besoin ? Quel est le chiffre d’affaires que je dois atteindre pour couvrir mes frais ? Si le candidat a répondu à toutes ces questions et que le projet semble viable, nous proposons à ceux qui sont vraiment déterminés notre programme d’incubation.
Concrètement, comment cela fonctionne-t-il ?
C’est en 2016 que nous avons organisé notre première Business Competition et proposé un premier programme pour ces créateurs d’entreprise : Inspire. Ce programme d’accompagnement gratuit sur trois semaines a été conçu et délivré avec l’aide de consultants suédois.
Chaque candidat se voit accorder dix minutes, incluant les questions du jury, pour présenter son projet sous forme de « pitch ». Suite à cet exercice, deux structures ont signé leur contrat d’incubation : Dodo Work Play et Mauritius Conscious. Toujours opérationnelles, elles gagnent petit à petit des parts de marché sur leur secteur d’activité. Un second Inspire a été organisé en novembre 2017 à la suite duquel cinq nouvelles start-up ont décidé de nous faire confiance. Au bout de six mois, nous décidons d’arrêter le programme avec deux start-up qui ne montrent pas de signes de progression, tandis que les trois autres sont sur le point de terminer le programme d’incubation. Fundkiss Technologies a même réussi une première levée de fonds ! AVR Plato Technology a terminé le développement de son prototype et commence à démarcher des clients. Quant à Fancy Dreams, elle croule sous les commandes d’hôtels pour ses emballages en carton haut de gamme.
Quels sont les critères essentiels à vos yeux pour sélectionner telle ou telle start-up ?
Le critère d’innovation, sans aucun doute ! Elle peut porter sur le produit, le service, la technique ou le processus. Aujourd’hui, si vous n’apportez pas quelque chose de différent et de nouveau, vous avez moins de chance de réussir, il faut se démarquer de ce qui existe. Le second critère à mes yeux est le temps que le fondateur va consacrer à son projet. Je ne crois pas qu’on puisse lancer sa start-up en y bossant après les heures de boulot. Il faut que ce projet, s’il lui tient vraiment à cœur, soit sa seule préoccupation pour les 12 prochains mois, voire les 24 prochains mois ! Je parle par expérience. Le troisième critère est la taille du marché, est-ce que votre produit ou service peut être exportable ?
Quels sont les domaines stratégiques que vous recherchez ?
Je comprends votre question, beaucoup d’incubateurs sont spécialisés, mais nous avons choisi de ne pas l’être pour le moment. Nous accueillons tous les projets quel que soit le secteur d’activité et nous adaptons notre réseau d’experts et de coachs en fonction.
Vous avez fait évoluer votre programme. Qu’est ce que le « Test Drive » ?
C’est une version revue du programme Inspire. Plus terre à terre, comprenant des exercices pratiques, des ateliers de groupes et un soutien personnalisé, c’est un programme intense en trois soirées qui permet aux salariés qui ont des projets de confronter leurs idées et de répondre aux questions essentielles que j’évoquais.
La dernière soirée est la plus « challenging » : nous demandons aux participants d’exposer leur idée en 60 secondes à un public composé de professionnels, d’investisseurs et de partenaires potentiels. Sur 32 projets sélectionnés en septembre dernier, 29 ont été jusqu’au bout et ont réussi leur pitch ! Je tiens à leur dire bravo et merci à Nathalie Sanchez (une consultante qui a plus de 20 ans d’expérience dans le domaine des services commerciaux et du marketing) qui leur a donné les conseils et la technique pour y arriver.
Le Test Drive est appelé à devenir un passage obligatoire pour les start-up qui nous approchent et qui veulent être incubées. C’est également un programme que nous proposons aux entreprises qui souhaitent encourager la création d’idées et stimuler l’innovation comme aux sociétés qui souhaitent identifier des projets et des idées qui pourraient correspondre à leurs besoins.
Combien de candidatures avez-vous reçu pour ce nouveau programme ?
Le premier Test Drive a reçu 64 applications et nous avons sélectionné 32 projets ; 23 ont voulu poursuivre en incubation et au final, nous en prenons cinq. Le second Test Drive a été lancé à la mi-janvier 2019. Nous avons déjà reçu 60 applications mais nous n’allons retenir cette fois que 20 projets. Nous espérons recruter encore quatre start-up avant la fin de l’année financière, soit neuf au total cette année. Détail intéressant, nous avons des postulants étrangers et nous sommes heureux de les accueillir. Nous espérons recruter 15 start-up par an d’ici deux ans, nous travaillons dur pour y parvenir !
Rentrée à La Turbine comme Business Coach pour accompagner les entrepreneurs, Diane Maigrot est rapidement devenue Business Growth Developer. « Le départ d’Anne-Laure Marchyllie (ancienne Manager de La Turbine, NDLR) a ouvert une nouvelle porte. J’ai postulé et on m’a fait confiance », confie la jeune mère de famille. Il est vrai que Diane Maigrot possède une solide expérience comme entrepreneuse. À 22 ans, titulaire d’un BTS (Bac+2), elle crée sa première entreprise. Elle a dirigé, durant 16 ans, Tibo & Zia, « une marque 100 % mauricienne de vêtements pour enfant ». La concurrence de grands groupes et de la Chine aura raison de la société. Elle rebondit et crée Ecowash, une société de lavage de voitures respectant l’environnement. « À La Turbine, je suis là pour transmettre un peu de mon expérience. Je fais de mon mieux pour encadrer mon équipe, respecter le budget et tenir la barre de ce beau navire ! Je veux recruter de plus en plus de start-up, organiser plus de programmes pour les entrepreneurs et pour les entreprises, rallier de plus en plus de professionnels, d’experts et de compagnies à notre cause. »
On connaissait Volvo et Ikéa. Dorénavant il faudra connaître Kista. Surnommé la Silicon Valley suédoise, ce district de Stockholm, qui abrite pas moins de 8 500 entreprises, dont plus d’un millier spécialisées dans les nouvelles technologies, est classé parmi les premiers clusters TIC au monde (devant Sophia Antipolis à Nice, en Europe, et troisième dans le monde) ! Kista est très lié à l’incubateur Sting (acronyme de Stockholm Innovation & Growth AB) qui veut devenir le meilleur incubateur de la planète. Si la sélection des projets par Sting est sévère (7 % des start-up candidates sont acceptées), 80 % des start-up incubées réussissent par la suite. Et depuis sa création en 2002, ce n’est pas moins de cent start-up qui se sont développées avec succès à l’international ! Détail intéressant Sting est financé à 70 % par… l’État suédois.
« C’est une reconnaissance de La Turbine sur la scène continentale. Notre objectif à terme est de réussir à avoir un partenariat avec votre célèbre marque et de bénéficier de vos réseaux. Cela nous permettra de proposer des formations pointues à tous nos incubés et viendra élargir notre palette d’offres », avait assuré Fabrice Boullé, en accueillant une délégation de Google Africa venue visiter, en mars 2018, La Turbine. Impressionnée par le projet mauricien, la délégation était à Maurice dans le cadre d’une conférence de l’Africa Internet Academy.
La start-up mauricienne AVR Plato a conçu une application à l’aide de la technologie de réalité augmentée et virtuelle, pour créer des représentations 3D interactives d’objets et de concepts. L’objectif est de créer un outil d’apprentissage agréable, ludique et pratique pour l’enseignement supérieur, par exemple pour les étudiants en médecine. Fondée par un jeune Mauricien, aidé par deux amis nigérians, elle a bénéficié d’une bourse de la Tony Elumelu Foundation, créée par un célèbre millionnaire et philanthrope nigérian, qui a donné son nom à cette fondation.
Fancy Dreams… C’est du gâteau !
Créée par Dodi Mardemootoo, un diplômé en architecture de l’université australienne Curtin, l’entreprise Fancy Dreams propose des boîtes personnalisées d’emballage de gâteaux. La force de cette société est d’utiliser des équipements technologiques de pointe en architecture et en conception ; sa seule limite est l’imagination de ses clients (particuliers, hôtels, entreprises).
Dodo Work Play… La carrière avant tout
Surfant sur l’évolution des besoins et des demandes du marché du travail mais également sur une nouvelle clientèle, en particulier les Millennials, Dodo Work Play propose des services de formation à l’entrepreunariat, aux particuliers ou/et entreprises en se focalisant sur l’état d’esprit des employés. Le but est d’améliorer le rendement des salariés de demain, en les rendant plus autonomes pour ainsi mieux réussir leur carrière.
Mauritius Conscious… Appelez-moi le responsable !
Pour répondre aux demandes de la génération Y – les Millenials qui recherchent des destinations où l’éthique, le culturel et la protection de l’environnement sont des éléments fondamentaux – Mauritius Conscious offre des activités et des packages en écotourisme pour découvrir Maurice de manière responsable et authentique.
Fundkiss… L’important est de participer
Cette plate-forme est la première à proposer du crowdlending (financement participatif sous forme de prêts à destination des PME). « Une fois le projet mis en ligne, les investisseurs (individuels ou institutionnels) prêtent à l’entreprise à travers la plate-forme. Le porteur de projet peut profiter de levées de fonds allant de 100 000 roupies à 10 millions de roupies (de 2 500 euros à 250 000 euros) », expliquent les créateurs de Fundkiss, nommément Paul Perrier, un ancien de PricewaterhouseCoopers (PwC), Alexandre Béchard, Chartered Financial Analyst, et Ludovic Rajibe, qui vient lui aussi de PwC. « Les taux d’intérêt peuvent aller de 11 % à 15 % sur cinq ans pour l’emprunteur alors que les prêteurs sont rémunérés à hauteur de 8 % à 12 %. »
Compass est le premier fonds de capital-risque de l’océan Indien. Bien qu’appartenant au groupe ENL, il opère à la fois indépendamment et en parallèle avec La Turbine – preuve de cette synergie, Fabrice Boullé est le directeur de La Turbine et partenaire dans le fonds de capital-risque. Compass soutient des start-up innovantes pour qu’elles deviennent des championnes nationales et régionales. Pour cela, le fonds leur offre des capitaux propres en échange d’une prise de participation minoritaire (inférieure à 50 %) dans leur capital. Cet investissement à long terme est rémunéré proportionnellement à la performance de la start-up. Compass a ainsi signé, en février 2018, un accord pour une levée de fonds de 250 000 euros, pour financer le déploiement et la commercialisation de la marque HUB2 de la start-up réunionnaise Connekt4 en Afrique francophone. Le fonds de capital-risque mauricien avait également investi, en 2017, un million de dollars dans Réuniwatt, une start-up réunionnaise spécialisée dans le développement de solutions photovoltaïques.