Enfin une compagnie maritime régionale !
Sealogair a opéré pendant six mois avec un bateau affrété qui répondait aux besoins des importateurs et exportateurs de la région. Son fondateur et dirigeant, Christophe Deboos, organise actuellement un tour de table permettant d’acquérir un bateau qui se concentrera sur Madagascar, Maurice, La Réunion et Mayotte dans un premier temps. Il s’en explique dans cet entretien…
L’Éco austral : Vous êtes un ancien directeur régional de Maersk et vous avez lancé Sealogair, une compagnie maritime régionale qui a opéré pendant six mois avec un bateau affrété. Plusieurs études ont été financées à ce jour sur des projets de compagnie régionale, mais rien de concret n’en est sorti. Comment avez-vous réussi à mettre en oeuvre ce projet ?
Christophe Deboos : J’ai mis en oeuvre ce projet parce qu’avant tout, je suis un professionnel de ce secteur depuis 2000. J’en connais les rouages, les acteurs et les pratiques. Le marché est identifié. En 2009, des acteurs m’ont sollicité pour une étude de faisabilité et j’en ai conclu qu’un projet ne pourrait réussir qu’à la condition d’être immédiatement supporté par un marché principalement régional et ayant l’objectif d’accompagner le développement économique de l’océan Indien. Tout autre projet tendant vers le remplacement des compagnies existantes pour une meilleure maîtrise des flux ne serait qu’extrêmement coûteux et structurellement déficitaire. Un non-sens par conséquent. J’ai privilégié un lancement en mode start-up et agile, avec peu de moyens et des personnes motivées par la vision que je leur ai présentée. L’objectif était de conquérir les premiers clients et de les satisfaire. Des acteurs m’ont suivi dans cette initiative. Je les remercie chaleureusement. Vous savez, le marin est collaboratif par nature.
Pouvez-vous nous en dire plus sur votre « Business Model » ?
En Juin 2019, une compagnie maritime mondiale s’est montrée intéressée pour une solution feedering (transport de conteneurs de compagnies maritimes entre un port de transbordement et d’autres ports). Nous avons donc signé un premier contrat en août 2019 et loué un navire qui a commencé ses rotations en novembre 2019. Nous avons signé un deuxième contrat en décembre et un troisième en janvier. Au total, nous avons transporté plus de 2 800 conteneurs. C’est une première étape. En aucune manière, nous pouvons parler d’une compagnie maritime à ce stade, mais bien plus d’un service maritime qui a su trouver des clients que nous avons satisfaits. Il nous faut désormais passer à l’étape suivante.
Actuellement, vous êtes en mode « pause », le temps d’organiser un tour de table vous permettant d’aborder une nouvelle étape de développement. Votre capital devrait associer des acteurs privés et publics comme l’État mauricien. Pouvez-vous nous préciser quels seront les autres acteurs ?
Un tel projet est d’importance régionale et ne peut être le projet d’un seul acteur. Le premier tour de table s’est constitué autour d’acteurs indépendants partageant une même vision du shipping et du développement régional. L’enjeu des années à venir est de relever le défi de la régionalisation des échanges économiques au sein de l’océan Indien. Notre vision est de devenir une compagnie maritime de développement régional. L’État mauricien est intéressé par ce projet considéré comme stratégique. La Région Réunion a montré son intérêt également, tout autant que des acteurs logistiques et portuaires des territoires de l’océan Indien. Les industriels souhaitent nous accompagner également. Nous bâtissons donc une synthèse de toutes les énergies favorables à notre projet.
La crise de la covid-19 a eu un impact direct sur le transport maritime mondial avec de nombreux bateaux à l’arrêt et des routes maritimes reconfigurées. Quelle est votre analyse ?
Le choc est majeur, pire qu’en 2008, et la crise est loin d’être terminée. Rappelons que 12 % de la flotte mondiale de navires est à l’arrêt et plus de 4,4 millions de conteneurs ont été retirés des activités de transport. Aucun scénario de reprise n’est prévu avant 2021. Les pertes financières conjuguées à un niveau d’endettement de certaines compagnies maritimes peuvent faire craindre des faillites. Telle est la situation du secteur dont on peut dire qu’il est sinistré. Plus que la conjoncture, c’est la structure du commerce mondial qui est touchée. L’avenir est probablement à la régionalisation des flux dont le transport maritime sera l’une des armatures. Ce scénario est en cours d’écriture sous nos yeux.
Le risque serait donc de voir notre région du sud-ouest de l’océan Indien se retrouver sur la touche. Que peut-on faire ?
L’océan Indien est à l’intersection de deux routes maritimes majeurs : Asie-Afrique et Europe-Moyen-Orient-Australie. Nous serons toujours desservis mais probablement différemment. Les compagnies impactées étudient de nouvelles rotations à l’heure actuelle, notamment pour réduire les coûts et aborder de nouveaux marchés. Certaines imaginent des lignes directes quand d’autres renforcent le transbordement. Rien n’est acté. Afin de mieux maitriser l’avenir économique de nos territoires et de moins dépendre des stratégies des compagnies, de leur difficultés ou des problèmes internationaux, la seule solution est de régionaliser la desserte maritime. Il y a deux intérêts à cette stratégie. Le premier est de proposer aux compagnies existantes de transporter leurs conteneurs sur les mêmes navires en mutualisant les coûts, une sorte de « Blablacar » du conteneur, solution opportune en regard de la crise ; la seconde est d’offrir des solutions de transport adaptées aux industriels de la région afin de développer la production locale au bénéfice des consommateurs de l’océan Indien.
Vous prévoyez de proposer en fret maritime, dès le mois de septembre, des mini conteneurs de 4 mètres cubes, déjà proposés dans l’aérien, ce qui répond mieux aux besoins du marchés. Quel est le but de cette offre ?
Nous avons étudié le marché et identifié trois freins au développement et à la fluidité des échanges économiques entre les territoires de l’océan Indien. Les exportateurs et importateurs de petites quantités sont confrontés à des délais d’expédition trop longs en raison de groupages qui mettent du temps à se réaliser en conteneur complet. Certaines destinations ne sont pas desservies par des ports, mais par des aéroports. Or l’aérien en totalité n’est pas compétitif. Enfin, les coûts d’entreposage pèsent dans la chaîne logistique et rendent les opérations trop coûteuses. Nous avons donc imaginé une solution agile qui lève ces freins et combine les avantages : la mini-box. Cette offre sera présentée au marché en octobre prochain.
Ces conteneurs vous permettent aussi de proposer de l’aérien. Est-ce prévu dans votre projet ?
Oui, en effet, c’est la raison d’être de Sealogair : proposer des solution logistiques Sea-Air avec des partenaires aériens qui ont vocation à passer du transport à une logique de supply chain régionale. Nous avons vocation à créer des opportunités de développement régional en combinant les solutions. Cela est conforme avec notre vision.
Vous vous concentrez sur La Réunion, Maurice, Madagascar et Mayotte. Qu’en est-il des Comores, des Seychelles et de l’Afrique de l’Est ?
En effet, Maurice, La Réunion, Madagascar et Mayotte sont notre priorité car ces territoires concentrent 80 % des volumes de la région. L’objectif est de rentabiliser nos investissements et ces destinations de proximité nous le permettent. Notre déploiement sur les autres destinations sera progressif. Il pourra être accéléré si les compagnies maritimes qui desservent notre région acceptent de recourir à nos services dans une logique de mutualisation des coûts. Nous pourrons aussi accélérer si des décisions politiques assorties de moyens vont dans ce sens.