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Maurice

FRANÇOIS EYNAUD, CEO DE SUNLIFE : « Il existe des marchés dont le potentiel est encore peu exploité »

Le secteur touristique mauricien est plutôt bien reparti avec près d’un million d’arrivées en 2022. L’objectif ambitieux de 1,4 million en 2023 peut être atteint selon François Eynaud, CEO du groupe hôtelier Sunlife, à condition d’avoir la capacité aérienne nécessaire. Le secteur doit aussi relever le défi des ressources humaines et pénétrer de nouveaux marchés.

L’Éco austral : Finalement, près d’un million de touristes sont venus à Maurice l’an dernier. Quel bilan dressez-vous de cette année 2022 très mouvementée ?
François Eynaud : En effet, nous avons quasiment atteint la barre symbolique du million de touristes. Mais que ce fut difficile ! Deux mois après la réouverture de nos frontières (1er octobre 2021), nous avons subi les séquelles d’omicron (variant de la covid-19), puis la décision de Paris de placer Maurice sur la liste « rouge écarlate ». Cette interdiction de voyage entre les deux pays a été levée rapidement, mais elle a quand même stoppé la dynamique de la reprise en entraînant des annulations. Il faut aussi rappeler que c’est seulement le 1er juillet que l’ensemble des restrictions sanitaires ont été levées. Malgré tout, dès mars 2022, on a senti que la tendance serait bonne. Ainsi, l’association des hôteliers et restaurateurs de l’île Maurice (Ahrim), qui représente entre 80 % et 85 % de l’hôtellerie, a enregistré, de janvier à octobre 2022, un taux de recouvrement de 72 % des arrivées par rapport à la même période en 2019 (avant la covid).

Le taux de remplissage du groupe Sunlife, auquel il faut ajouter le Shangri-La Le Touessrok et le Four Seasons Resort Mauritius (deux hôtels en contrat de gestion – NDLR) a atteint 75 % sur la période de juillet à décembre, contre 78 % pour la même période en 2019. Si l’on considère seulement les hôtels exploités par Sunlife, on arrive même à 80 %, soit un retour au taux de 2019.

Le nombre d’arrivées est un indicateur intéressant, mais ce sont quand même les recettes qui comptent, d’autant plus que les hôteliers subissent l’inflation. Qu’en est-il ?

Selon les chiffres de l’Ahrim, de janvier à octobre 2022, le secteur a récupéré 95 % de ses recettes sur la même période en 2019 ! (Interrogé, Sen Ramsamy, Managing Director de Tourism Business Intelligence, estime la dépense moyenne par touriste de janvier à novembre 2022 à 1 400 euros, hors aérien mais comprenant l’hébergement, pour un séjour moyen de 11,8 jours, soit 120 euros par jour – NDLR) (*). On peut dire, pour les hôtels, que les clients restent plus longtemps et dépensent plus. L’autre leçon est le boom des voyages de groupes. Ils représentent 15 % de notre chiffre d’affaires.

Ces bons chiffres s’expliquent par le revenge travel (la revanche par le voyage). Le consommateur cherche à compenser l’interdiction ou la difficulté de voyager lors de la pandémie. Et le potentiel reste important puisqu’on estime que 35 % à 40 % des nuitées se font hors hôtel.

Qui sont ces touristes qui ne séjournent pas (ou plus) à l’hôtel ?

Ce sont en particulier les repeaters (des voyageurs qui connaissent déjà la destination) venant principalement de France, d’Afrique du Sud et de La Réunion.

À Maurice, il y a 13 600 chambres avec licences hôtelières, auxquelles il faut ajouter 7 000 unités de type guest house et maison d’hôte qui sont enregistrées à la Tourism Authority, (organisme régulateur du secteur touristique – NDLR). Et il y aurait 5 000 unités dans le secteur informel proposées via Airbnb et autres plateformes. Au total, le parc d’hébergement à Maurice comprendrait donc 25 600 unités. Cela voudrait dire que près de la moitié du parc de chambres est hors circuit hôtelier. Cela prouve que notre destination est mature.

Sandy Scioli, Executive Chef pâtissière du groupe hôtelier Sunlife (au centre), est revenue dans son île natale après avoir évolué auprès de grands noms de la gastronomie française comme Guy Martin et Bernard Loiseau. ©Droits réservés

Au-delà de l’éternel débat sur l’adéquation entre les capacités hôtelières et le nombre de places d’avion, il n’en reste pas moins que l’aérien est un facteur déterminant. Est-il à la hauteur des besoins ?

Les bons chiffres des arrivées prouvent que la capacité aérienne s’est reconstruite. La plupart des opérateurs aériens ont renforcé leurs lignes alors que d’autres compagnies aériennes sont revenues. C’est le cas d’Emirates qui est passée, depuis le 1er octobre, à trois vols hebdomadaires. L’un est opéré en Boeing 777-300ER alors que les deux autres le sont en Airbus A380.

L’une des questions est de savoir si Emirates maintiendra au delà du 31 janvier 2023 son troisième vol ?

Emirates devrait repasser à deux vols quotidiens. Mais pour compenser cette réduction, elle devrait reconfigurer deux Air-bus A380 pour les faire passer à 500 places. Cela lui permettra de proposer des créneaux horaires plus satisfaisants pour le transit à Dubaï. C’est important car nos établissements se situent dans la zone de chalandise traditionnelle de la destination mauricienne. Ils accueillent principalement des touristes français, britanniques, allemands, réunionnais et sud-africains.

Justement, ça fait longtemps que Maurice s’efforce de diversifier ses marchés pour augmenter le nombre d’arrivées. Mais après la crise de la covid-19, on constate que les marchés traditionnels pèsent encore plus lourd. Peut-on croire en cette diversification ?

Il existe des marchés dont le potentiel est encore peu exploité. Sunlife, par exemple, a pu se positionner sur l’Espagne et le Portugal. Il y a aussi des choses à faire sur le marché du Moyen-Orient. Outre Emirates, Saudi Arabian Airlines, la compagnie nationale saoudienne, exploite un vol trois fois par semaine. Et Turkish Airlines assure un vol quotidien depuis octobre 2022. L’Arabie saoudite représente un marché de 35 millions d’habitants, mais je pense aussi à l’Iran et à Israël via le vol de Dubaï (le premier vol d’Emirates vers Tel Aviv a eu lieu en juin 2022 – NDLR).

Il existe à Dubaï une importante clientèle d’expatriés, comme les Russes par exemple, qui pourraient venir à Maurice en basse saison, au moment où il fait vraiment très chaud dans l’émirat. Sunlife dispose désormais à Dubaï d’un General Sales Agent (GSA) qui travaille sur cette clientèle. À signaler d’ailleurs que les Saoudiens nous ont permis d’avoir une bonne basse saison 2022.

Dans ces conditions, pensez-vous que l’objectif de 1,4 million de touristes en 2023 est atteignable ?

Il est atteignable à condition d’avoir une offre aérienne adéquate. Mais cela va dépendre aussi de la situation économique en Europe qui demeure notre principal marché. Comme nous touchons une clientèle plutôt haut de gamme, nous pouvons penser que leur budget voyage sera maintenu. Mais il ne faudrait pas que les prix de l’aérien s’envolent davantage. À ce sujet, il faut souligner que nos taxes aéroportuaires sont trois fois supérieures à celles de concurrents comme les Maldives, les Seychelles et les Caraïbes. Quoi qu’il en soit, je reste confiant sur l’objectif de 1,4 million de visiteurs en 2023.

Vous venez de présenter votre nouvelle identité. Que signifie ce changement de marque ?

Cette nouvelle marque, Sunlife, qui se substitue à Sun Resorts, a été présentée comme un symbole du redémarrage de notre industrie touristique, un an après la réouverture de nos frontières. Son lancement a eu lieu au Sugar Beach qui est maintenant totalement rénové. Un investissement de 700 millions de roupies (environ 15 millions d’euros – NDLR). Le lancement de Sunlife correspond à l’émergence de nouvelles façons de voyager. On constate par exemple des délais de réservation qui se réduisent. On doit aussi répondre à de nouvelles envies, de la part notamment des nouvelles générations de voyageurs.

Les touristes ne veulent plus bronzer idiot, ils veulent découvrir et sauvegarder notre destination.

Qu’est-ce que Sunlife leur propose concrètement ?

Nous nous sommes engagés dans le développement durable bien avant le lancement de Sunlife. En 2018, nous avons lancé au centre de recherche marine internationale de notre hôtel La Pirogue, où nous employons trois biologistes marins, un programme de transplantation de coraux. Unique à Maurice, il vise à restaurer l’écosystème marin par le biais de fermes artificielles de coraux. En 2019, le centre de recherche marine de l’hôtel Long Beach a développé la première ferme de coraux terrestres à micro fragmentation de l’île. Son objectif est de contribuer à la restauration du récif corallien mauricien. Et grâce à la technique de micro-fragmentation, le corail peut se développer jusqu’à 25 à 40 fois plus vite. Nous impliquons nos clients dans ces différents projets. Et nous nous efforçons de réduire l’empreinte carbone de nos hôtels pour lesquels nous visons la neutralité.

Est-ce que cela ne s’apparente pas à du greenwashing alors que les voyages en avion laissent une grosse empreinte carbone et que vos clients viennent souvent de loin ?

Pour l’empreinte carbone de l’aérien, nous avons fait le choix de compenser. Notre politique de développement durable n’a rien à voir avec le greenwashing. Nous sommes accompagnés par le cabinet français Utopie qui devrait nous auditer en mars. Cet audit s’ajoute à d’autres labels que nous avons obtenus comme la certification EarthCheck. Elle couvre la mise en œuvre d’une politique de développement durable, les consommations d’eau, de papier et d’énergie, la gestion des déchets…

Nous avons une politique d’approvisionnement par les filières locales ou, à défaut, régionales. Tout cela fait partie de l’économie circulaire que notre groupe met en place. Ce sont aussi des messages adressés à une clientèle de plus en plus sensible à ces questions. Mes propres enfants âgés de 22 et 25 ans, s’ils découvrent une bouteille en plastique dans un hôtel, n’y reviendront plus !

Un autre volet de votre révolution est le lancement du projet La Pirogue Residences. Pouvez-vous le présenter ?

Cette offre fait partie d’une nouvelle stratégie globale du groupe CIEL qui désire rentabiliser ses actifs immobiliers. Lancée en 2022, elle correspond elle aussi à la nouvelle façon de voyager de notre clientèle. On s’aperçoit qu’il y a une convergence de plus en plus forte entre vacances et résidences. La Pirogue Residences, qui est une association entre les promoteurs immobiliers 2Futures et Ciel Properties et Sunlife, se compose de 45 appartements dont 18 de deux chambres, 19 de trois chambres et 8 penthouses de quatre chambres. Ce programme, dont la valeur est de 45 millions de dollars, se développe dans le cadre du dispositif Property Development Scheme (PDS) qui permet aux étrangers d’accéder à la propriété. Les acquéreurs se voient offrir l’art de vivre en hôtel. Ils bénéficient, ainsi que leurs ayants droit, d’un accès privilégié aux hôtels Sugar Beach et La Pirogue avec des réductions intéressantes sur la restauration, le spa, les green fees au Golf de l’île aux Cerfs et au Tamarina Golf Club.

Sunlife propose à ces propriétaires d’optimiser leur investissement en louant leur bien sur des périodes plus ou moins longues. Nous assurons la gestion, l’entretien et certains services.

En contrepartie, ils bénéficient d’un retour sur investissement de 4 % à 5 % et de 60 nuits par an dans leur résidence. En 2023, nous allons lancer un second projet qui sera situé au Long Beach et sera bâti sur 23 arpents (9,7 hectares – NDLR) pieds dans l’eau.

« Mes propres enfants âgés de 22 et 25 ans, s’ils découvrent une bouteille en plastique dans un hôtel, n’y reviendront plus !  » ©Droits réservés

Philippe Taylor, directeur d’Hospitality Plus spécialisée dans l’analyse des données, estime que Maurice doit organiser des événements haut de gamme avec une large couverture pour mieux se faire connaître et se démarquer. Êtes-vous d’accord ?

C’est vrai. Et nous avons déjà de grands événements tels que des tournois de golf comme l’AfrAsia Bank Mauritius Open. Ce tournoi est retransmis, en direct, sur plus de 40 chaînes de télévision. Nous avons également des compétitions de kitesurf qui attire une clientèle à fort pouvoir d’achat. Dans ce domaine du sport, on peut citer le trail. Même si nos amis et voisins de La Réunion ont développé une vraie expertise et expérience avec leur Grand Raid, nous avons lancé le dodo trail.

Enfin, il y a l’intérêt des événements culturels pour mettre en avant notre patrimoine, notre histoire, nos paysages (hors plages). D’où l’importance du développement durable.

Nous avons évoqué de nombreuses pistes permettant d’atteindre l’objectif de 1,4 million de visiteurs. Mais en aval, pour les hôtels, tout cela repose sur les ressources humaines avec des recrutements à la clé. Or il semble que ces ressources humaines se fassent rares. Comment faire ?

Effectivement, la question des ressources humaines est majeure dans notre secteur. Mais c’est aussi le cas dans d’autres secteurs. On pourrait parler de ce qu’aux États-Unis on a appelé « la grande démission ». Un phénomène que nous avons constaté suite à la longue crise de la covid-19.

Des salariés, qui avaient continué à être rémunérés durant l’arrêt des activités grâce notamment au soutien de l’État, n’ont pas souhaité pour autant revenir. Notre secteur, qui était déjà sous pression avec la concurrence des bateaux de croisière, est frappé par ces départs. L’Ahrim estime le déficit de main d’œuvre dans l’hôtellerie à 3 000 personnes. Dans notre groupe, nous l’estimons à 200 salariés, sachant que notre effectif des hôtels Sunlife s’élève à 2 500 salariés. Cela a un impact sur la bonne marche de nos établissements et sur nos ambitions. De plus, Maurice doit faire face au vieillissement accéléré de sa population en raison d’une faible natalité. Bref, le challenge est majeur !

La rénovation du Sugar Beach a couté 700 millions d’euros (environ 15 millions d’euros). ©Prisca Nairn

Quelles solutions mettez-vous en place ?

L’une des solutions est d’apporter plus de flexibilité à notre organisation, notamment sur les jours et horaires de travail, et de mieux accompagner les jeunes recrues. Avant de mettre en place cet accompagnement, on constatait 70 % de départs la première année. Nous sommes maintenant tombés à 20 %.

Le recours ponctuel, et à des postes de back-office, à la main d’œuvre étrangère est aussi une solution. Beaucoup la craignent car ils ont peur pour l’image de notre destination. Mais je dois souligner que dans notre hôtel des Maldives que nous avons vendu, le Kanuhura Resort & Spa, on comptait 20 nationalités et seulement 30 % de Maldiviens. Cela ne posait pas de problème.

Nous avons digitalisé de nombreuses fonctions comme le check-in, le check-out et le service de réservation dans nos restaurants qui se font avec des tablettes.

L’un des solutions pour retenir nos salariés est, bien-sûr, de revoir les rémunérations. En plus du salaire, nous versons des primes incitatives. Nos employés sont intéressés par rapport aux résultats de leur hôtel, et cela peut représenter jusqu’à trois mois de salaire, en plus du 13e mois obligatoire.

Une récente étude, effectuée par Caroline Piat, la Regional Manager (Mauritius) de Korn Ferry Hay Group (un cabinet international de conseil en organisation), sur tous les salaires de l’hôtellerie à Maurice nous a permis de savoir comment se situaient les rémunérations proposées par Sunlife et d’ajuster notre offre. Cette étude évalue également l’offre de l’hôtellerie par rapport à d’autres secteurs, à niveaux de compétence et d’expérience égales. Il en ressort que l’hôtellerie n’est pas mal placée.

La compagnie nationale saoudienne, Saudi Arabian Airlines (Saudia), dessert 87 destinations dans le monde. À Maurice, elle se pose trois fois par semaine. ©Droits réservés

Il y a des Mauriciens qui ont réussi dans le secteur et occupent des postes parfois très intéressants à l’étranger. Avez-vous une politique pour les faire revenir au pays ?

Nous gardons effectivement un œil sur certains de nos compatriotes qui sont partis à l’étranger étudier ou travailler dans l’hôtellerie. Nous suivons, à travers les réseaux sociaux, ces talents qui, vers 28-30 ans, rentrent au pays pour y fonder une famille. C’est le cas, par exemple, de Sandy Scioli, la cheffe pâtissière du groupe. Elle vient de participer à la Coupe du monde de pâtisserie qui a eu lieu, en marge du Salon international de la restauration, de l’hôtellerie et de l’alimentation (Sirha), à Lyon. Avant de rentrer à Maurice en 2000, elle a enchaîné les expériences professionnelles en France dans plusieurs restaurants Relais et Châteaux et elle a travaillé avec de grands chefs comme Guy Martin et Bernard Loiseau.

(*) Si une bonne part de la progression des recettes en roupies peut être imputée à sa dépréciation, il s’avère que les dépenses des touristes en euros ont augmenté. Malgré des prix à la hausse, plus ou moins forte selon les hôtels, les séjours sont plus longs.

En 2023, un projet immobilier sera lancé sur le site de l’hôtel Long Beach. Pas moins de 23 arpents (9,7 hectares) lui seront consacrés en vue de vendre des résidences à des étrangers pouvant profiter d’une gestion locative. ©Droits réservés

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