HUGO RAMIANDRISOA, CONSULTANT AUPRÈS DU CABINET FTHM : « Neuf emplois sur dix échappent aux radars de l’État »
Comment intégrer les entreprises informelles dans le circuit formel et comment éviter que celles qui sont déjà formelles ne se déformalisent ? C’est à ce véritable trou noir de l’économie parallèle malgache qu’une récente étude du cabinet FTHM Consulting tente d’apporter des éléments d’éclaircissement.
L’Éco austral : Qu’entend-on par secteur informel et que représente-t-il aujourd’hui à Madagascar ?
Hugo Ramiandrisoa : Plusieurs définitions peuvent être données, mais la plus communément admise est celle du Bureau international du Travail qui désigne comme unité de production informelle (UPI) toute activité non enregistrée et/ou dépourvue de comptabilité écrite, exercée à son propre compte à titre d’emploi principal ou secondaire. Une étude récente menée par le cabinet FTHM Consulting sur le secteur informel permet d’évaluer le nombre d’UPI à Madagascar à environ trois millions. Néanmoins, il faut garder à l’esprit qu’il y a « informel » et « informel », dans la mesure où il existe, outre ces UPI qui sont en dehors de la régulation de l’État, des entreprises formelles mais qui pourraient exercer des activités informelles qui échappent à l’État.
Le fait de travailler dans l’informel signifie-t-il que c’est de l’argent perdu pour l’État ?
Être dans l’informel ne signifie pas stricto sensu ne pas contribuer à la richesse du pays, car les activités d’une UPI contribuent d’une manière ou d’une autre à créer de la valeur ajoutée, qui est capturée quelque part dans le circuit économique. En revanche, une activité dans le secteur informel crée un manque à gagner fiscal pour l’État. Les statistiques disponibles sur les contributions du secteur informel sur l’économie nationale sont disparates. D’après les dernières données fournies par l’Institut national de la statistique (Instat) portant sur 2017, ce secteur représenterait entre 26 % et 29 % du PIB malgache. Ce qui conforterait les résultats de l’étude de la Banque mondiale en 2021 qui estime à environ 36 % le poids du secteur dans le PIB des pays d’Afrique subsaharienne.
Qu’est-ce qui pousse un entrepreneur à se formaliser ou pas ?
Un acteur économique se formalise autant par obligation légale que par civisme fiscal, afin de prendre part au développement socioéconomique du pays. Les facteurs dissuasifs sont eux nettement plus nombreux. Certains sont d’ordre sociodémographique, liés à la forte croissance démographique et à l’exode rural incontrôlé entraînant pauvreté et chômage. La faible capacité des entreprises à créer des emplois formels et le dynamisme de l’économie appuyée par le secteur informel peuvent aussi être cités. Enfin, on peut évoquer le contexte pandémique de ces dernières années qui a entraîné une grande perte d’emplois formels.
L’étude de FTHM Consulting met également en évidence que des entreprises peuvent rester dans l’informel par choix, pour pouvoir faire de l’évasion fiscale, pour ne pas suivre le code du travail ou en raison de difficultés rencontrées dans les démarches administratives pour se formaliser.
La politique fiscale mise en place à partir de 2008 prétendait régler le problème de l’informel. Qu’en est-il quinze ans après ?
La réforme de 2008 pour la modernisation et la simplification du système fiscal malgache a été accompagnée de divers instruments d’incitation à la formalisation. Malgré les points forts enregistrés depuis cette réforme, des points d’amélioration sont à noter, au nombre desquels les limites du système déclaratif, l’insuffisance d’incitation fiscale lors de la création d’entreprise, l’absence de fiscalité adaptée aux microentreprises, l’ambiguïté de l’obligation comptable de la tenue d’un journal de recettes et de dépenses, et enfin les changements fréquents en matière de seuil d’assujettissement relatif à l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés et la taxe sur la valeur ajoutée. Par ailleurs, l’enquête menée auprès des micro, petites et moyennes entreprises (MPME) dans le cadre de l’étude du cabinet FTHM a révélé que 43,5 % des dirigeants de MPME ont une perception défavorable de la gouvernance fiscale.
Quelles mesures seraient à mettre en place pour venir à bout de ce phénomène ?
Si les facteurs explicatifs sont multiples, il n’y a pas de solution unique. La récente étude de la Banque mondiale conforte l’idée d’une approche globale dans la mesure où l’informel reflète un sous-développement généralisé. Pour Madagascar, plusieurs propositions à portée transversale ont été avancées, dont l’accompagnement des MPME et UPI dans leur démarche de formalisation, en mettant en avant précisément les avantages de la formalisation. Il s’agirait également d’améliorer l’accès aux financements des MPME par le renforcement de leur capacité technique et de gestion de leur comptabilité. Une autre approche complémentaire serait de renforcer l’accès aux marchés locaux, régionaux voire internationaux, avec un effort particulier sur l’accès aux marchés publics. La mise en place d’une politique fiscale spécifique aux MPME, dans le cadre de leur formalisation, est également recommandée afin que ne se crée pas un effet de massue, mais au contraire un effet de levier sou-tenant le développement du secteur privé, moteur de la croissance économique.
Comment faire face au phénomène de « déformalisation » des entreprises, qui sont formelles mais qui commencent à verser dans l’informel ?
Grâce à la digitalisation, l’État dispose maintenant d’un formidable outil de suivi des contribuables. Mais au-delà des campagnes classiques d’information et d’éducation pour un meilleur civisme fiscal, rien ne sera possible si l’on n’améliore pas de façon notable la qualité des services publics, justement pour dissuader de se réfugier dans l’informel vécu comme une réponse aux carences de l’administration. Prenons l’exemple des coupures d’électricité, en quoi peuvent-elles inciter à sortir de l’informel, sachant qu’une entreprise formelle est tout autant touchée en ce domaine qu’une informelle ?
Un levier de développement à activer : Les chiffres parlent d’eux-mêmes. En 2017, le secteur informel occupait 93 % des activités économiques de Madagascar, soit entre 26 % et 29 % du PIB du pays. L’Organisation internationale du travail (OIT) rapporte, pour sa part, que neuf emplois sur dix étaient dans le secteur informel en 2020. Dans son étude présentée en septembre dernier, le cabinet FTHM Consulting, souligne que l’informel touche surtout le monde rural, avec une montée en puissance dans les secteurs du commerce et du transport. L’étude souligne également que le secteur informel touche à forte proportion les jeunes. Peu étonnant dans un pays où 500 000 jeunes arrivent annuellement sur le marché du travail avec peu de chance de trouver un emploi. Poussés par la nécessité, 83 % d’entre eux se réfugient dans l’informel.
L’étude de FTHM Consulting estime le potentiel fiscal du secteur informel à 147,9 milliards d’arirary (32,5 millions d’euros).. En l’état, et bien qu’échappant officiellement aux radars, les trois millions d’unités de production informelle (UPI) s’acquittent en moyenne chacune de 49 527 ariary (10,95 euros) par an. Une contribution largement inférieure à celle de l’ensemble des 262 100 entreprises formelles qui est de 542 milliards d’ariary (120 millions euros).