Eco Austral – Actualités économiques et entreprises de l'Océan Indien

Réunion

HUGUETTE BELLO, PRÉSIDENTE DE LA RÉGION RÉUNION : « Trois milliards d’euros injectés dans l’économie d’ici 2030 »

Soutien aux entreprises et aux filières prioritaires, accompagnement de l’innovation, ouverture internationale : Huguette Bello dévoile les contours de la « nouvelle économie » que la Région Réunion souhaite promouvoir.

L’Éco austral  : Le budget 2022 de la Région donne la priorité au « développement humain et solidaire » et réduit les engagements dans le « développement économique ». Est-ce l’amorce d’un virage plus social de l’action de votre collectivité ?

Huguette Bello : Je ne pense pas qu’il faille opposer développement humain et développement économique. Il faut plutôt y voir une complémentarité. Nous avons effectivement une ambition sur la formation. Mais nous allons investir largement en faveur du développement économique avec près de 217 millions d’euros à l’horizon 2030. Il nous faut y ajouter les quelques 167 millions d’euros que la Région va déployer en tant que contrepartie nationale des fonds européens pour renforcer la croissance et la compétitivité des PME et le levier de la commande publique propre à la collectivité régionale concernant ses opérations de construction. Nous allons faire beaucoup pour les entreprises et le secteur économique. Le développement de l’économie réunionnaise est un élément fondamental pour réussir l’épanouissement humain de nos concitoyens.

Le poids de l’endettement de la Région, lié au chantier de la Nouvelle route du littoral (NRL), vous oblige-t-il à réviser à la baisse vos projets d’investissements. Quels sont les domaines les plus affectés ?

Depuis notre arrivée aux affaires, nous avons hérité effectivement d’une situation désastreuse et préjudiciable, avec un endettement de plus de 1,2 milliard d’euros qui pèse à l’heure actuelle sur les finances de la collectivité régionale. Cette situation nous a conduits à effectuer des arbitrages courageux sur les dépenses de fonctionnement, comme notamment sur le dispositif de continuité territoriale qui a fait l’objet d’une redéfinition, et à déterminer de nouvelles priorités. À ce titre, nous avons réalisé un important travail prospectif à l’échelle de la mandature. En effet, pour la première fois, nous avons établi un plan pluriannuel d’investissements qui détermine les priorités de la collectivité à l’horizon 2030. Ainsi, par exemple, notre programme de construction de routes, loin de se réduire à la NRL, répond à des besoins non satisfaits par la mandature précédente, à l’image de la route de Cilaos, de la traversée de Saint-Benoît et de Saint-Denis, de la « contournante » de Saint-Joseph, du prolongement de l’axe mixte à Cambaie… Au-tant de chantiers que nous allons engager et qui vont bénéficier à de multiples entreprises. Les états généraux de la mobilité organisés début décembre nous permettent d’établir une programmation des priorités de façon concertée. Par ailleurs, conformément à nos engagements en matière d’éducation, nous projetons de lancer, sur le mandat, quatre nouveaux lycées : le lycée de la mer, un lycée des métiers de tourisme et de l’hôtellerie, un lycée à Cilaos et un lycée forestier. En outre, nous procédons à la réhabilitation de 35 lycées, des centres de formation, et lançons une série d’investissements en faveur du Grand port maritime de La Réunion et d’autres équipements structurants. En tout, ce ne sont pas moins de trois milliards d’euros qui seront injectés par la Région au titre de ses différentes compétences d’ici à 2030 dans l’économie réunionnaise.

Pourquoi avez-vous tenu à lancer une large concertation sur la plan régional de développement économique que vous allez mettre en œuvre à partir de 2023 ?

La Réunion a subi, ces dernières années, des crises d’une ampleur exceptionnelle et des transformations économiques de premier ordre qui entraînent des conséquences lourdes pour les années à venir. Au-delà de la crise du covid qui a affecté notre économie de façon brutale et sidérante, nous avons pu constater des phénomènes de nature structurelle, engagés depuis le début de la décennie 2010, comme le ralentissement de la croissance dû à la crise financière de 2008 ou encore l’accélération de la digitalisation de l’ensemble de notre économie qui est en train de bouleverser nos modes de production. Il faudrait ajouter à cela des phénomènes que l’on pressent aujourd’hui comme durables, à l’instar de l’inflation qui impacte l’ensemble de nos chaînes de valeur et le pouvoir d’achat des Réunionnais. Ces événements, et bien d’autres, ont eu des conséquences profondes sur notre système économique. Aussi, Il était logique que nous procédions à une révision du principal outil régional en matière économique, le Schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII), pour adapter notre territoire à cette nouvelle donne. Pour ce faire, nous avons lancé la démarche de « La Nouvelle économie » afin de réfléchir collectivement aux adaptations de l’économie réunionnaise nécessaires pour affronter les transitions – démographique, énergétique – qui s’annoncent. Nous devons nous interroger sur notre modèle de développement. La croissance du PIB doit-elle être notre seul horizon si elle produit autant d’exclusion ? Pour apporter des réponses, nous avons mené ces derniers mois ce travail de concertation des acteurs à un rythme soutenu.

Quelles grandes priorités se dégagent de ce travail ?

La révision du SRDEII est l’occasion d’afficher le cap que nous voulons pour La Réunion d’ici à 2030. Plusieurs priorités se sont dégagées. Je vais vous en donner quelques exemples. D’abord, dans ce contexte de remontée des taux d’intérêt par les banques centrales, le soutien aux entreprises réunionnaises apparaît à l’évidence comme l’une de nos priorités. La question du coût des intrants est également sur la table. L’une des réponses se trouve peut-être dans la diversification de nos sources d’approvisionnement. La deuxième grande orientation est l’accompagnement de la transition écologique, énergétique et digitale de nos secteurs clefs traditionnels et l’investissement dans nos secteurs d’avenir, tels que le tourisme, les énergies nouvelles renouvelables, le bâti tropical, l’agroalimentaire ou encore l’audiovisuel.

La troisième grande orientation que nous allons prendre est celle de l’accompagnement de l’innovation en rapprochant les mondes de la recherche et ceux de l’entreprise. Depuis toujours, La Réunion a produit des savants de premier plan, nous sommes parfois trop humbles et nous l’oublions ! Au regard de notre contexte géographique, nous ne pouvons pas concurrencer nos voisins en matière de compétitivité-coût. En revanche, la qualité de nos infrastructures de recherche, de notre écosystème d’accompagnement à la création d’entreprises, le niveau de formation de nos salariés et de nos jeunes diplômés sont autant d’atouts pour renforcer la compétitivité-hors coût de nos entreprises. C’est ce pari que nous faisons en misant sur l’innovation. En rapprochant les mondes de la recherche et de l’entreprise, nous irons à l’international. Des outils vont être proposés pour financer les efforts de recherche de nos acteurs économiques et leur accompagnement à l’export.

Enfin, l’ouverture de notre économie sur son environnement immédiat et plus largement à l’échelle internationale représente également l’un des grands virages qu’il nous faudra prendre d’ici à 2030.

De plus, parce que l’économie est l’affaire de tous, nous avons voulu, à travers cet exercice, faire œuvre de pédagogie. L’économie n’est pas du seul ressort de la Région. Elle est également l’affaire de l’État et des EPCI (Établissements publics de coopération intercommunale – NDLR) qui interviennent largement sur les territoires. Et elle relève surtout de la responsabilité des acteurs économiques eux-mêmes. Dans le monde d’aujourd’hui, l’entreprise n’est plus une simple unité de production. Elle a une responsabilité sociale et environnementale. Pour affronter les défis de demain, institutions publiques, ménages et entreprises doivent apprendre à travailler ensemble, apprendre à se comprendre. Aussi, loin d’être un exercice purement réglementaire, nous voulons profiter de cette révision pour lancer un appel à la responsabilité collective, pour construire une nouvelle gouvernance publique de l’action économique au service de notre territoire. Une gouvernance agile, souple et vivante qui s’inscrira sur un temps long. Nous avons actuellement un outil, la conférence économique régionale, qui se réunit surtout pour régler les problèmes urgents. Nous voulons une approche plus pro-active, avec des rendez-vous réguliers pour faire le point sur l’avancement de nos projets.

En visite en entreprise. « Dans le cadre actuel de prise de contrôle par des acteurs étrangers de nos actifs stratégiques, il nous faut nous doter d’un fonds d’investissement pour aider nos acteurs locaux à garder le contrôle de nos entreprises locales. » ©Région Réunion

La simplification des procédures d’instruction des dossiers d’aides européennes reste une attente forte du monde économique. Comment pouvez-vous y répondre ?

Les procédures sont également complexes pour nous ! Nous sommes pleinement conscients des attentes des acteurs économiques en la matière. L’inflation normative en matière de réglementation et de contrôle, qui vient de la Commission européenne, de plus en plus forte ces dernières années, n’a pas aidé les acteurs économiques locaux. Nous travaillons à une administration plus efficace, tournée vers le territoire et plus agile, dès les prochains mois. Concrètement, nous allons améliorer nos process digitaux avec notamment Synergie, le logiciel de gestion des dossiers de demande de subvention européenne. Il y a un enjeu en termes de transparence et de lisibilité pour les porteurs de projet afin de leur permettre de savoir où sont leurs demandes dans les circuits administratifs, ce qui leur permettra de sécuriser les autres sources de finance-ment de leurs projets.

D’autre part, je pense qu’il nous faut sans doute élargir les procédures relatives aux coûts simplifiés, basées sur la confiance et qui consistent à alléger la charge de contrôle qui pèse sur les porteurs de projet. L’amélioration de ce genre de petites procédures peut avoir de grands effets.

Nous avons eu confirmation mi-novembre à Bruxelles de l’adoption par la Commission européenne du programme européen FEDER FSE+ pour la période 2021-2027. C’est d’ailleurs le premier programme des DOM à être adopté. Après sa validation par un comité national de suivi mi-décembre, les fiches-actions seront publiées au premier trimestre 2023. Nous allons procéder à des réorganisations au sein de nos services instructeurs, et surtout faire de la pédagogie, en mobilisant les réseaux au contact des entreprises, comme les chambres consulaires, pour mieux accompagner celles qui ont du mal à monter des dossiers, qui considèrent que les aides européennes sont réservées aux initiés. Il nous faudra employer une langue plus simple, qui décomplexifie les dispositifs et donne moins de complexes aux entrepreneurs.

Le soutien à l’économie sociale et solidaire (ESS) fait partie des grandes orientations de votre projet de mandature : comment va se concrétiser ce soutien ?

Notre île va connaître dans les prochaines années des défis majeurs en matière de transition démographique avec le vieillissement de la population, en matière de santé ou encore de réduction des inégalités et de transition écologique. L’économie marchande n’y répondra que partiellement car elle n’est pas adaptée à des domaines d’activité basés sur l’utilité sociale. Aussi, il nous faudra mobiliser l’ensemble du secteur associatif et non marchand pour recréer du lien social et de la cohésion territoriale. Nous devrons repenser nos réseaux de solidarité et la prise en charge de services considérés comme non rentables par l’économie classique. Notre île peut être un formidable territoire d’expérimentation pour affronter ces défis. L’ESS est un mode d’entreprendre alternatif tout à fait adapté à ces enjeux qui poursuivent un autre but que le but lucratif. Encore faut-il les penser et les comprendre. Pour la première fois, une majorité régionale, la nôtre, va engager des travaux d’élaboration d’une stratégie régionale de l’ESS via la Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire. Nous allons notamment déployer un instrument de financement des projets du secteur de l’ESS et nous réfléchissons au développement à l’échelle des territoires d’une monnaie locale pour favoriser le recours aux circuits courts et augmenter le pouvoir d’achat des plus démunis.

Votre projet « Nouvelle économie » prévoit des contrats de filières. Quels seront les secteurs concernés et quelle sera la teneur de ces contrats ?

Parce que nous considérons que la constitution de filières d’excellence est un travail au long cours, qui exige du temps, de la patience, de l’investissement, nous n’avons pas souhaité défaire le travail déjà engagé sur les filières prioritaires définies au début des années 2000 et repris dans le premier SRDEII en 2016. Cela aurait été un mauvais signal adressé aux acteurs économiques du territoire. Nous y avons donc ajouté de nouvelles filières que nous estimons prometteuses dans le cadre de la nouvelle économie.

Nous allons déployer des contrats autour des filières à forte valeur ajoutée comme les énergies nouvelles renouvelables, l’économie bleue, l’agro-alimentaire, le bâti tropical ou encore l’audiovisuel. Ces contrats définiront les objectifs communs à la collectivité régionale et aux acteurs privés sur l’ensemble de la mandature. Ils définiront également les moyens financiers et les outils mobilisables par les acteurs pour parvenir à remplir ces objectifs.

Le bâtiment bioclimatique de l’école d’ingénieurs Esiroi, en pointe dans le bâti tropical. L’une des filières à forte valeur ajoutée identifiés par la Région Réunion avec les énergies nouvelles renouvelables, l’économie bleue, l’agroalimentaire et l’audiovisuel. ©Droits réservés

L’offre d’immobilier d’entreprise est rare et chère : de quelles marges de manœuvre disposez-vous pour améliorer la situation ?

La raréfaction du foncier économique est effectivement un enjeu fondamental. Elle le sera encore davantage demain car notre territoire va faire l’objet de conflits d’usage de plus en plus nombreux. C’est pourquoi nous devons utiliser le foncier encore disponible avec intelligence et précaution. C’est la stratégie que nous avons adoptée concernant l’aménagement de la zone arrière portuaire au profit du grand port maritime et des acteurs économiques qui pourront y déployer des infrastructures logistiques et industrielles. Plus largement, à l’échelle de La Réunion, nous allons déployer un schéma régional du foncier économique pour faire évoluer nos zones d’activités, en lien avec les EPCI.

Concernant la zone aéroportuaire Pierre-Lagourgue, lors de notre arrivée aux affaires, nous avons découvert des projets en inadéquation avec l’orientation de la zone, nous avons souhaité faire une mise à plat pour des raisons d’équité et de respect des règles juridiques. Un nouvel Appel à manifestation d’intérêt va être lancé en janvier. Les acteurs économiques pourront y candidater à nouveau.

À la fin de la mandature précédente, la Région s’est dotée d’un outil de financement des entreprises, la Financière Région Réunion. Quel bilan dressez-vous de son action, al-lez-vous conserver cet outil ?

L’outil de financement La financière Région Réunion est venu répondre à un besoin de diversification des instruments de financement des TPE-PME. Il a eu pour principal mérite d’inciter le secteur bancaire privé au financement des entreprises locales. La très grande majorité des prêts consentis, soit presque 80 %, par l’instrument de prêts « i-run » concerne des TPE de 1 an pour des prêts de moins de 50 000 euros. Il y a donc un effort qui a été réalisé au bénéfice du tissu économique dont l’immense majorité des entreprises, nous le savons, emploie moins de 10 salariés.

La situation est différente pour l’instrument de « haut de bilan » géré par le gestionnaire Apicap. En effet, investir au sein d’entreprises innovantes est un pari risqué même si ces entreprises sont à très fort potentiel. J’ai mandaté le 1er vice-président délégué aux Affaires économiques, Patrick Lebreton, pour discuter avec les représentants du Fonds européen d’investissement à Paris. Nous allons bien sûr continuer à travailler avec eux sur le développement de ces instruments financiers car dans le contexte de remontée des taux d’intérêt des banques centrales, il est impératif de se doter d’outils financiers pour faciliter l’accès de nos TPE-PME à l’emprunt. C’est là une condition du maintien de l’investissement en leur faveur et de l’engagement du secteur bancaire dans le financement de nos entreprises. Nous souhaitons, néanmoins, les faire évoluer en cohérence avec nos priorités stratégiques notamment en termes de secteurs d’activité et de zonage géographique pour un plus grand rééquilibrage des territoires. Par ailleurs, dans le cadre actuel de prise de contrôle par des acteurs étrangers de nos actifs stratégiques, il nous faut également nous doter d’un fonds d’investissement pour aider nos acteurs locaux à garder le contrôle de nos entreprises locales.

Dans le domaine de la formation, la Région pourrait-elle s’engager demain dans le financement de la formation des salariés ?

La formation des salariés relève aujourd’hui des opérateurs de compétences (Opco), qui ont remplacé les anciens organismes paritaires collecteurs agréées (OPCA). La Région met pour sa part en place les formations des demandeurs d’emploi, quels que soient leur âge et leur parcours. À ce titre, d’ailleurs, de nombreux anciens salariés en reconversion bénéficient des politiques que nous mettons en place en matière de formation professionnelle. Comme vous le savez, l’ancienne majorité a souhaité en 2019 se retirer du plan d’investissement dans les compétences, communément appelé Pacte, qui cible en priorité les jeunes au chômage. La Région y a perdu plus de 100 millions d’euros de crédits compensables par l’État en achat de formation. Nous avons souhaité de nouveau nous engager au sein d’une démarche contractuelle et pluriannuelle avec l’État qui puisse mettre un terme aux erreurs commises et afficher une nouvelle ambition (voir L’Éco austral n°370 – NDLR). Cela dit, nous ne fermons pas la porte à une contribution de notre collectivité au financement de la formation des salariés, comme certaines régions de l’Hexagone le font déjà.

« Nous réfléchissons au développement à l’échelle des territoires d’une monnaie locale pour favoriser le recours aux circuits courts et augmenter le pouvoir d’achat des plus démunis. » ©Région Réunion

Allez-vous conserver l’agence de développement Nexa dans sa configuration actuelle, la faire évoluer ?

Dès notre arrivée à la tête de la collectivité, nous avons pris des engagements en matière de rationalisation de l’activité de nos satellites. En ce qui concerne Nexa, il nous fallait y voir clair tant l’agence avait multiplié des activités dans des domaines d’intervention très éloignés de son objet d’origine et réalisé des investissements hasardeux au capital d’entreprises qui ont suscité des interrogations légitimes de notre part. À cet égard, nous avons demandé à Michael Sihou, l’actuel président de l’agence, d’engager différents audits en matière de ressources humaines et de finances pour éclairer nos décisions. Pour des raisons juridiques et financières, il est évident aujourd’hui qu’une société d’économie mixte telle que Nexa ne peut continuer, comme elle l’a fait sous la mandature précédente, à bénéficier de fonds européens de la sorte. Il nous faut faire évoluer son statut juridique et revoir ses missions à l’aune des préconisations des audits commandés.

En outre, il y a, sans aucun doute, un enjeu de clarification à effectuer avec les missions de l’Agence Film Réunion et la future Agence régionale d’innovation que nous allons développer. Nous souhaitons positionner Nexa sur des missions relatives à l’attractivité du territoire et l’accompagnement des entreprises. Cela nous semble plus cohérent avec les besoins exprimés par les acteurs économiques eux-mêmes.

Allez-vous maintenir l’aide régionale au cinéma ?

Compte tenu de son fort potentiel pour le territoire, le soutien aux industries de l’image est pour nous une priorité car c’est une filière d’avenir. Le monde du cinéma et du jeu vidéo a connu un fort développement depuis le début des années 2000. Aujourd’hui, avec l’arrivée des plateformes, des bouleversements technologiques, il fait face à des changements profonds. Il est certain qu’il y a, à La Réunion, une jeune génération de producteurs et de réalisateurs avec un véritable talent. Il nous faut encourager ces talents réunionnais à travers des dispositifs de soutien adaptés. Le territoire a, par ailleurs, besoin d’investissements conséquents en matière de studio de production de haut niveau international. Plusieurs projets ont été présentés au Centre national de la cinématographie dans le cadre d’un appel à projets national. De tels projets sont bons pour l’attractivité du territoire et la visibilité ainsi que la montée en gamme des professionnels locaux. C’est pourquoi, nous les avons soutenus.

À travers les états généraux de l’audiovisuel, en octobre, nous avons mené un travail de concertation avec les acteurs locaux de la filière qui nous ont fait part de leurs propositions en matière de soutien et d’aide au secteur et en matière d’évolution de l’Agence Film Réunion. Ces propositions sont en cours d’analyse. Nous les présenterons au secteur d’ici au premier semestre 2023.

En ce qui concerne l’Agence Film Réunion, nous souhaitons créer une régie publique qui reprendra une partie de ses missions, y compris l’organisation des éductours actuellement assurée par Nexa. Il lui reviendra d’animer la filière à travers un programme d’actions dédié.

Quelles orientations souhaitez-vous donner à l’accompagnement des entreprises réunionnaises qui s’ouvrent à l’international ? Allez-vous maintenir votre soutien au Club Export ?

En matière d’export, nous faisons le constat que notre île souffre indéniablement d’un déficit de notoriété à l’international. Il nous faut gagner davantage en visibilité et en lisibilité. Pour ce faire, nous avons engagé un travail de création d’une marque de territoire avec les acteurs économiques bien sûr, mais surtout avec l’ensemble des Réunionnais. Je souhaite ainsi que chaque Réunionnais, que chaque acteur économique qui se déplace à l’étranger puisse se retrouver derrière la marque « Réunion ». Je veux également qu’à n’importe quel point du globe, La Réunion puisse être connue et reconnue. La création de cette marque est un travail difficile, c’est un travail d’adhésion qui doit se faire avec l’ensemble des Réunionnais et qui renforcera l’attractivité de notre territoire et facilitera nos échanges avec le reste du monde. Il s’agit là d’un véritable défi. C’est, avec la création du Conseil stratégique de l’internationalisation des entreprises (CoSIE) que nous avons installé au début du mois de septembre, et l’identification d’une offre exportable, l’un des éléments principaux de notre stratégie de développement de l’export.

Concernant le Club Export, il y a un travail de coordination à faire avec l’agence régionale Nexa et avec l’ensemble des opérateurs de la Team France Export. Le Club Export doit trouver sa place au sein de cette nouvelle stratégie régionale qui se dessine. Nous le verrons dès 2023 avec l’exercice de clarification que nous allons entamer concernant les programmes d’actions respectifs de chacune de ces structures. Nos entreprises ont besoin de lisibilité.

La desserte maritime de la Réunion est gravement perturbée, l’offre de dessertes régionales notoirement insuffisante. Que peut faire la Région pour améliorer cette situation ?

La perturbation de la desserte maritime de La Réunion s’explique par des événements de nature conjoncturelle, mais aussi par des évolutions structurelles du secteur, marquées par la concentration des compagnies maritimes internationales depuis presqu’une vingtaine d’années. Pour des logiques de marché, certaines d’entre elles ont préféré d’autres destinations que La Réunion. Cela s’est fait aux dépens de nos concitoyens et de nos entreprises qui ont subi en retour la hausse du coût du fret. Des signaux économiques indiquent toutefois que les coûts du fret à l’international sont susceptibles de baisser à l’avenir, à cause notamment du ralentissement de la croissance mondiale et des instabilités chinoises.

Au sujet des insuffisances des dessertes régionales, nous avons plaidé pour la mise en place d’une compagnie maritime régionale portée par les acteurs privés pour améliorer la situation. Nous observons depuis un certain temps des discussions entre acteurs. Nous sommes évidemment nous-mêmes en dialogue avec ces acteurs privés. Une étude récente de la COI préconise une coopération entre les îles. Nous sommes prêts à appuyer ces démarches pour peu qu’elles se structurent.

L’autre voie d’amélioration consiste à accepter d’affronter la compétition internationale que se mènent les acteurs portuaires pour attirer les compagnies maritimes à travers une offre de services logistiques, l’investissement dans la modernisation des infrastructures portuaires.

En accompagnant les investissements du Grand port maritime de La Réunion dans le cadre du Programme opérationnel européen, c’est le choix pragmatique que nous faisons.

« Nous avons lancé la démarche de « La Nouvelle économie » afin de réfléchir collectivement aux adaptations de l’économie réunionnaise nécessaires pour affronter les transitions – démographique, énergétique – qui s’annoncent. » Photo : Guillaume Foulon

La Réunion n’est pas directement associée à la négociation, en cours, de l’Accord de partenariat économique (APE) entre l’Europe et les pays de la zone. Acceptez-vous cet état de fait ?

Je l’ai redit récemment au ministre des Outre-mer : l’APE ne peut être discuté sans nous, c’est nous qui sommes concernés. Nous avons réactivé un comité stratégique mis en place dans les années 2000. On a confié au président du Ceser (Conseil économique, social et environnemental régional – NDLR) l’animation de ce comité. Il faut défendre nos intérêts propres dans un environnement ou tous les pays passent des accords avec l’Union européenne. Il faut privilégier l’activation des clauses de sauvegarde dans des domaines stratégiques, notamment l’agriculture. Nous sommes convaincus qu’il existe des opportunités à saisir sur les marchés émergents. Actuellement, la France règle d’autres problèmes par-dessus notre tête. Elle ne voit pas suffisamment l’intérêt qu’elle a de disposer d’un vaisseau amiral dans l’océan Indien, qui contribue à faire d’elle la deuxième puissance maritime mondiale, à l’heure où l’économie bleue ne peut que se développer.

Considérez-vous que les prises de participation mauriciennes dans les entreprises réunionnaises représentent plus de risques que d’opportunités ?

L’attractivité du territoire est pour notre majorité régionale une priorité absolue. Notre île s’est construite sur des apports extérieurs successifs tout au long de son histoire. C’est ce qui fait d’ailleurs sa force. Néanmoins, nous devons sur ce sujet faire preuve d’une grande vigilance. En effet, par exemple, lorsqu’une société étrangère prend le contrôle d’actifs locaux dans le secteur de la grande distribution ou encore dans la cimenterie, cela peut conduire à la perturbation de nos chaînes de valeur locales, mais également à la prise de contrôle de matériaux stratégiques pour le BTP et le secteur de la construction dont dépendent des milliers de TPE locales avec un risque d’aggravation des phénomènes inflationnistes en matière de prix. Je suis, bien entendu, favorable aux investissements directs étrangers dans une perspective de développement économique. Mais nous devons nous garder de toute naïveté en la matière. Certains secteurs sont éminemment stratégiques pour la stabilité de nos chaînes de valeur. Nous prenons le risque de perdre la maîtrise d’intérêts stratégiques indirects. Ces effets de perturbation économique sont décalés dans le temps et ne s’observent généralement pas immédiatement. Ce n’est souvent que bien plus tard que nous nous en apercevons. Et quand cela arrive, il est trop tard pour revenir en arrière. En tant que présidente de Région, je suis attachée à la préservation de nos intérêts locaux. C’est pourquoi, je considère comme important de privilégier d’abord les solutions réunionnaises avant de se tourner vers l’extérieur. Je crois profondément au patriotisme réunionnais. Concernant le secteur de la grande distribution, il y a d’ailleurs un intérêt économique à privilégier les solutions locales. Renforcer les acteurs locaux dynamiques, c’est également introduire davantage de concurrence au sein d’un marché dominé par quelques acteurs qui se sont imposés avec force depuis les années 1990 et qui aujourd’hui imposent une position de force à l’ensemble de la chaîne. Privilégier les solutions locales, c’est une façon directe d’agir en faveur du pouvoir d’achat des Réunionnais.

Les trois nouveaux Airbus A220 d’Air Austral augmentent ses capacités régionales. ©Air Austral

« Air Austral, plus qu’une compagnie aérienne » : Au moment de cette interview, fin novembre, la Commission européenne n’avait pas encore fait connaître son avis au sujet de la reprise d’Air Austral par le groupe d’actionnaires privés conduit par Michel Deleflie, avec le soutien de la Sematra (Région, Département et CCI). Si cette solution de « patriotisme économique réunionnais » souhaitée depuis le début par Huguette Bello se met effectivement en place, « nous aurons besoin de renforcer la direction d’Air Austral », estime-t-elle.
Les actionnaires publics et privés devront surtout s’accorder sur les moyens à mettre en œuvre pour redresser la compagnie. Faudra-t-il un plan social, des fermetures de lignes ?
« Dans le cadre du futur conseil de surveillance, nous aurons un débat intelligent et constructif avec les investisseurs, qui doivent porter une vision d’avenir pour la compagnie, répond la présidente de la Région. Pour notre part, nous ne voyons pas seulement Air Austral comme une compagnie aérienne, mais surtout comme un outil de désenclavement de La Réunion, qui permet notamment aux acteurs économiques de circuler entre tous les pays de la région. Fermer des lignes irait à l’encontre de cette vision. Je veux croire que les gens qui investissent dans Air Austral le font en pensant à l’avenir du territoire. »

  • Bernard Grollier

    Diplômé en sciences politiques et en journalisme, en activité à La Réunion depuis 1987. Journaliste indépendant et polyvalent, auteur des textes de livres consacrés à La Réunion et aux îles de l’océan Indien. Bon connaisseur du tissu économique réunionnais, centres d’intérêt variés.

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