Immobilier : bienvenue dans l’ère de la post-défiscalisation
Avec l’explosion de la bulle immobilière en 2008 et la fin progressive d’un système basé sur le tout-défiscalisation, le marché immobilier réunionnais retrouve dynamisme et équilibre. Si les acteurs restent prudents et constatent certaines fragilités, l’optimisme est clairement de retour. Un premier pas nécessaire.
« Le marché est dynamique car les taux d’intérêts sont très attractifs. La fourchette des prix moyens s’est également rétrécie et ouvre donc un champ des possibles plus grand pour les acquéreurs. Pour l’instant on ne ressent aucun ralentissement du marché, au contraire. » André Ladevèze est enthousiaste. En tant que président de la FNAIM OI (Fédération nationale de l’immobilier océan Indien), il a en effet toutes les raisons de se réjouir de la santé retrouvée du marché immobilier réunionnais. Une tendance confirmée par Pierre-Yves Cuinet, directeur général de Néovarim, acteur récent mais particulièrement actif sur le secteur de la commercialisation de biens neufs : « Il y a clairement une reprise du marché et on sent les Réunionnais à nouveau intéressés par l’immobilier. Les primo-accédants sont notamment très à l’écoute avec la volonté d’acheter des logements dans un esprit de tremplin. Les investisseurs reviennent également doucement, mais la tendance va s’accélérer. »
Sur le neuf, l’équilibre reste néanmoins fragile. Pour André Ladevèze, « le marché s’est resserré. Depuis quelques années, à peine un millier de logements sont construits par an avec beaucoup de petites opérations, rarement au-delà de 50 logements. Dans l’Ouest ou à Saint-Pierre, il n’y a quasiment aucun programme en cours. Le marché n’est pas à la hauteur des besoins en termes d’investissement et de demande locative ».

« Un second marché s’est organisé autour des biens en sortie de défiscalisation »
Une transition probablement nécessaire suite à la grave crise de 2008 et la fin programmée de la défiscalisation Girardin, effective en 2018 mais dont les effets ont commencé il y a plusieurs années. « Le marché du neuf est entré dans une nouvelle ère avec le fin de la défiscalisation. Les prix baissent et il se rééquilibre avec le marché de l’ancien. Il est plus sain, centré sur l’occupant, le produit, l’emplacement et destiné à une clientèle locale », détaille Pierre-Yves Cuinet.
Cette ère de la post-défiscalisation fait apparaître de nouvelles opportunités comme l’a constaté André Ladavèze : « Depuis quatre ou cinq ans se dégage une tendance remarquable, un second marché s’est organisé autour des biens en sortie de défiscalisation. Suite à l’âge d’or de 2006-2007, les propriétaires souhaitent désormais vendre leur bien. Des investisseurs attentifs et avec des liquidités peuvent faire de belles opérations en achetant à des prix bas pour une forte rentabilité locative. »
Une tendance qui participe au dynamisme actuel du marché de la transaction. Arnaud Ritter, co-directeur de l’Agorah (Agence d’urbanisme de La Réunion), confirme : « Il y a eu une très forte cassure en 2008 où l’on est passé de 10 000 transactions par an à un volume se situant entre 5 000 et 6 000, principalement suite à la fin de la défiscalisation en Vefa (vente en l’état futur d’achèvement – NDLR). Aujourd’hui, on retrouve une stabilité. Le marché de la maison domine toujours, avec 2 300 maisons vendues en 2016, mais en volume celui des appartements le rattrape avec 2 100 transactions sur la même année. La tendance va donc vers une augmentation de l’achat d’appartements et une baisse sur le marché des villas. »

Forte hausse du prix des terrains à bâtir
Une analyse régionale qui, cependant, mérite d’être affinée par territoire. « Le TCO (Territoire de la Côte Ouest, communauté d’agglomérations – NDLR) domine toujours sur la vente de villas, poursuit-il. On note un ralentissement significatif sur le territoire de la Civis (Communauté intercommunale des villes solidaires, regroupant Saint-Pierre, Saint-Louis, L’Étang-Salé, Petite-Île, Cilaos et Les Avirons NDLR) où les prix étaient bas et ont augmenté, si bien que moins de ménages peuvent devenir acquéreurs. Enfin, le Nord est marqué par une forte prépondérance de l’habitat collectif du fait de la typologie du parc de logements. » Par ailleurs, quatre communes portent le marché de la vente sur la période 2012-2016 : Saint-Denis (6 800 ventes), Saint-Paul (4 000 ventes), Saint-Pierre (3 200 ventes) et Le Tampon (2 130 ventes). À elles quatre, elles représentent 16 130 transactions sur un total de 27 500, soit 58,6 %.
Cette disparité territoriale s’accompagne de courbes diamétralement opposées au niveau des prix sur la période 2012-2016. « Les prix des terrains ont augmenté de 20 %, ceux des logements collectifs ont baissé de 30 % et les prix des maisons restent stables », assure Arnaud Ritter. Toujours entre 2012 et 2016, selon l’Observatoire des transactions immobilières et foncières (Otif), le prix médian de vente d’une maison est de 183 600 €, soit + 5,6 %, tiré par la Cinor (Communauté intercommunale du Nord de La Réunion – NDLR) avec 231 300 et surtout le TCO qui approche les 250 000 €, à + 7,5 %. Pour un appartement, le prix médian s’élève à 2 300 €/m², soit – 27,5 %, « une baisse des prix liée à la vente de biens en fin de défiscalisation avec parfois des décotes très importantes, notamment pour les logements mal situés », précise Arnaud Ritter. Enfin, sur les terrains, la médiane de prix se fixe à 202 €/m², soit + 19,6 %.

Sur le secteur particulier des terrains, le foncier reste le nerf de la guerre : « Le marché est très tendu car il y peu de terrains déclassés et donc de foncier, ce qui fait monter les prix. Le SAR (Schéma d’aménagement régional), en haut de la chaîne, a clairement pour objectif de limiter l’étalement urbain et de densifier l’espace urbain avant de l’ouvrir à de nouvelles zones, ce qui a pour effet de limiter les PLU (plans locaux d’urbanisme). Le littoral est très saturé et l’objectif est de chercher des centralités secondaires pour limiter le développement anarchique », explique le co-directeur de l’Agorah.
Des loyers au niveau de Grenoble, Toulouse ou Lille L’autre segment particulièrement tendu sur le marché immobilier réunionnais, c’est celui de la location. Pour André Ladevèze, l’explication est simple : « il y a très peu de biens et moins de mobilité des locataires ». Selon l’Observatoire des loyers 2017 publié par l’Agorah, on dénombre sur les territoires du TCO, de la Cinor et de la Civis 53 050 logements locatifs privés, dont la moitié consiste en appartements. Les loyers moyens au mètre carré s’élèvent à 9,80 € pour la Cinor, 10,00 € pour le TCO (littoral : 10,70 € et mi-pentes et hauts : 8,70 m²) et 8,60 €/m² pour la Civis. « On observe une stabilité des loyers depuis 2013, ce qui signifie que l’offre correspond à la demande. On remarque que les agences proposent des produits plus petits, souvent en sortie de défiscalisation, avec des loyers plus chers », précise Arnaud Ritter.
Il poursuit : « Pour la première fois et grâce à la loi Duflot de 2014, nous pouvons comparer les prix avec la Métropole car 20 observatoires sur tout le territoire national utilisent la même méthode. On constate que les loyers du TCO et de la Cinor correspondent à ceux d’agglomérations moyennes comme Grenoble, Toulouse et même Lille, et ce alors que le niveau de revenu des ménages à La Réunion est moins élevé. Ça signifie que beaucoup de ménages ne peuvent pas louer de logement et doivent donc se tourner vers le logement social. » L’enjeu dans les années futures est donc « de faire baisser les prix en augmentant le nombre de logements en location. Mais l’investissement privé étant moins présent depuis 2000 et peu de programmes étant cours, ce ne devrait pas être le cas à court terme ».

Le marché de l’immobilier d’entreprise en pleine mutation
Dernier volet, l’immobilier d’entreprise. En pleine mutation (voir notre article dans ce même dossier), ce marché « répond à des règles très différentes, précise André Ladevèze. Pour des entreprises voulant devenir propriétaire les prix peuvent varier de 2 800 à 4 800 €/m² ». Seulement ce n’est, semble-t-il, pas la tendance. Pour Joël Personné, directeur général de la Semader et sa filiale dédiée à ce segment, Acti’Sem : « les entreprises ne souhaitent pas forcément s’orienter vers la propriété. Pour des raisons économiques, liées notamment à la taille des entreprises réunionnaises, mais également de mentalité. Elles sont plus dans l’idée de mutualiser les espaces et se limiter à l’essentiel, sans superflu, même dans l’industrie. »
Gérant d’Inovista, Vincent Le Baliner fait lui le constat d’un marché particulièrement tendu. Il explique : « Les valeurs sont équivalentes à ce qui se fait dans de grandes villes de Métropole avec un taux de vacances très bas ». En cause, le manque de foncier mais surtout « l’absence de déblocage de grandes zones dédiées à l’activité économique. Dans l’Ouest, le dernier chantier de ce genre était le Park Oméga », poursuit-il. Le retard qu’accuse La Réunion sur le marché très spécifique de l’immobilier d’entreprise n’est pas encore comblé. « L’enjeu est d’attirer des capitaux nouveaux. Par exemple, nous venons de conclure avec un investisseur parisien pour l’achat d’un immeuble entier à hauteur de 8 millions d’euros », conclut Vincent Le Baliner. Une bonne raison d’être optimiste.


ME BERTRAND MACÉ : « 2017 A ÉTÉ LA VRAIE ANNÉE DE REPRISE »
Les chiffres à peine reçus, Me Bertrand Macé, délégué à la communication pour la Chambre des notaires de La Réunion, a commenté les données de la conjoncture immobilière du département pour l’année 2017 (Base de données Perval). Des données plus affinées et pertinentes que pour 2016 « car les volumes sont plus importants et les statistiques remontent mieux », précise-t-il.
Le principal constat fait par Me Macé, c’est « la très forte hétérogénéité du marché immobilier à La Réunion, que ce soit selon le type de bien ou la zone géographique. Cette hétérogénéité rend difficile les comparaisons et complexifie l’analyse ».
Au niveau des chiffres, pour l’année 2017, le prix des appartements anciens baisse de 5,9 % pour se fixer au prix médian de 2 050 €/m². Le tout marqué par une forte disparité en fonction du secteur géographique (2 820 €/m² dans l’Ouest contre 1 300€/m² dans l’Est). Dans le neuf, en revanche, le prix des appartements augmente légèrement de 1,9 % avec un prix médian au mètre carré de 4 150 €. « Cet écart important entre le neuf et l’ancien n’est pas nouveau, assure Me Macé, et peut s’expliquer par différents facteurs comme la spéculation foncière dont sont victimes les promoteurs, les coûts de construction élevés à La Réunion et les biens en sortie de défiscalisation qui subissent des décotes importantes ».
Les maisons anciennes voient elles leurs prix augmenter de 5,7 %, « une tendance à mettre en corrélation avec la baisse du prix des appartements anciens », précise le représentant de la Chambre des notaires. Elle s’explique notamment, selon lui, « par la différence de qualité entre les maisons et les appartements ».
En termes de volume, Me Macé estime « une augmentation d’environ 10 % sur l’ensemble des actes ». Une évolution significative « d’une vraie reprise de l’activité économique. Il a fallu huit ans pour revenir au niveau d’avant la crise de 2008. On est restés très attentifs et on peut désormais dire que 2017 a été la vraie année de reprise », conclut-il.
« Il n’y a jamais eu d’aussi belle année que 2018 pour acheter. Les produits sont cohérents, de plus en plus qualitatifs et les taux historiquement bas, tous les voyants sont au vert fluo. » À écouter Pierre-Yves Cuinet, il ne faut donc pas hésiter à se lancer. Il ajoute : « Les promoteurs sont obligés de s’adapter aux produits du marché, donc cette tendance et ce niveau de qualité vont perdurer. Les taux sont tellement bas qu’ils vont forcément remonter, mais même avec +1 point, ce sera toujours très intéressant. »
Côté investisseur, l’arrêt définitif de la défiscalisation en Girardin cette année ne devrait pas avoir de grosses conséquences. « La Girardin est en réalité finie depuis déjà trois ou quatre ans, assure André Ladevèze. Hormis quelques logements sur certains programmes, les opérations étaient terminées. Mais la Pinel DOM est tout aussi attractive avec un taux de défiscalisation de 29 % sur 12 ans largement suffisant. De plus, les prix sont revenus à leurs niveaux d’avant-crise et la rentabilité s’est stabilisée autour de 4 % ce qui est comparable à la Métropole. Ce qui est important pour un investissement, c’est l’emplacement et la qualité du logement. »
Le 18 janvier dernier, les députés ont adopté à l’unanimité une proposition de loi du député de Martinique Serge Letchimy qui s’attaque à la problématique de l’indivision successorale dans les Outre-mer. L’objectif du texte, qui doit maintenant être voté au Sénat, est de lever les freins à la mobilisation du foncier en facilitant la sortie de l’indivision successorale. Comment ? Par le remplacement de la règle de l’unanimité par une majorité à 50 % plus une voix pour tout acte de vente ou de partage pour les successions ouvertes depuis plus de cinq ans.
À La Réunion, la surface cadastrale est détenue à 62 % par des personnes physiques et 38 % par des personnes morales. Sur ces 62 %, 5 105 hectares, soit 3,3 %, relèvent de successions et sont susceptibles d’être bloqués. Actuellement, ce sont 11,5 hectares de terrain qui sont effectivement bloqués pour des litiges liés à la succession, tout particulièrement dans l’habitat indigne (pour le Territoire de la Côte Ouest (TCO), 70 % des habitats indignes repérés sont en indivision).
À la lumière de ces chiffres, on comprend aisément pourquoi cette question de l’indivision est un des points qui peut servir de levier afin de disposer de foncier constructible. Pour Arnaud Ritter, co-directeur de l’Agorah (agence d’urbanisme de La Réunion) qui a publié une note contextuelle sur ce sujet en janvier, « cette loi va dans le bon sens car c’est un vrai problème, mais elle risque de ne régler que quelques cas et pas la majorité ».