Jeux vidéo et « esport » : une filière émergente
La Réunion n’est pas seulement consommatrice de jeux vidéo. Une filière de production commence à émerger et un nombre grandissant d’équipes s’affrontent dans les compétions de ce qu’on appelle désormais « esport », contraction de l’anglais « electronic sport ».
Le monde économique français traditionnel, dirigé par des têtes grises et des diplômés des grandes écoles, découvre avec étonnement un secteur qui brasse déjà beaucoup d’argent : celui des jeux vidéo et de l’esport (electronic sport). Le chiffre d’affaires de l’industrie du jeu vidéo en France a allègrement dépassé les 5 milliards d’euros, davantage que ceux du cinéma et de la musique réunis. Quant au esport, vocable qui regroupe les pratiques de compétitions sur la base d’un jeu vidéo, il compte un nombre grandissant d’adeptes et se professionnalise à grande vitesse. Sans atteindre les sommets états-uniens, où il remplit des stades et où les primes des vainqueurs se chiffrent en millions de dollars, l’esport compte plus de deux millions de pratiquants dans l’Hexagone, autant que de licenciés à la Fédération française de football !
À La Réunion, le succès de la convention Geekali, dont la cinquième édition s’est tenue en août dernier au Parc des expositions de la Nordev à Saint- Denis, témoigne d’une tendance similaire. Certes, les équipes qui se sont distinguées lors de la compétition L’Esport Réunion ont reçu des primes plus modestes qu’aux États-Unis (10 000 euros au total, 1 000 euros pour la plus importante). Mais l’affluence dans les halls de la Nordev ne trompe pas : la jeunesse réunionnaise s’est largement appropriée le jeu vidéo et les cultures « pop » associées (cosplay, manga). L’événement est organisé par Place2Geek, entreprise de 10 salariés créée en 2019 par Kévin Alamélou et Nicolas Hoarau. Il bénéficie à la fois de financements privés et de subventions publiques : les collectivités commencent à soutenir un secteur prometteur en termes d’emplois, où les talents locaux ne manquent pas à la sortie de la section spécialisée de l’Institut de l’image de l’océan Indien (Iloi). L’esport, dont chaque match organisé par Place2Geek est regardé en direct par des milliers de Réunionnais sur la plateforme Twitch et par des dizaines de milliers lors de leur rediffusion sur YouTube, génère son lot de nouveaux métiers.
De même, la création de jeux vidéo occupe des développeurs passionnés, dont une trentaine sont regroupés dans le collectif Bouftang. Celui-ci a fait réaliser, avec l’appui du Territoire de l’Ouest, une première étude dressant un état des lieux du secteur. Sept studios et 66 indépendants – essentiellement des micro-entrepreneurs – ont été recensés, générant un chiffre d’affaires annuel global estimé entre 1,5 et 2 millions d’euros. Dans la majorité des cas, les indépendants exercent une deuxième activité en parallèle, 7 % seulement des entreprises réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 120 000 euros par an. Elles peuvent compter sur la Région, qui a mis en place un fonds d’aide annuel de 350 000 euros en soutien au prototypage, à la conception et à la production de jeux vidéo. « Cette enveloppe n’est pas entièrement consommée aujourd’hui, souligne Loïc Manglou, président de Bouftang, les projets n’étant subventionnés qu’à 50 %. Il reste à trouver l’autre moitié, nous sommes en quête permanente d’investisseurs privés assez malins pour comprendre ce que peut rapporter le jeu vidéo. »
Loïc Manglou est lui-même le cofondateur du Studio Pitaya, qui développe actuellement un jeu pour smartphone dans lequel a investi le footballeur Guillaume Hoarau. Le Studio Pitaya est également associé à Gao Shan Pictures dans le projet de campus Rubika, qui doit se concrétiser en 2024 et offrir des formations à la fois en cinéma d’animation et en jeux vidéo. Sans doute une partie des futurs diplômés, comme ceux de l’Iloi, devront-ils prendre le chemin de la Métropole pour trouver un emploi. L’ambition des professionnels de Bouftang comme des collectivités est de leur offrir des débouchés locaux plus nombreux.