La bourse doit se muscler pour jouer dans la catégorie supérieure
La bourse de Maurice a connu une année 2015 difficile, mais depuis sa création en 1989, elle affiche une belle rentabilité. Bon outil de développement, très accessible avec des cotations possibles dans plusieurs devises, elle progresse néanmoins trop lentement à l’international.
Depuis sa création en 1989 avec cinq valeurs, le Stock Exchange of Mauritius (SEM) a bien évolué. Entité totalement privée, la Bourse compte aujourd’hui 141 titres (dont 95 entreprises listées sur ses deux marchés) et sa capitalisation a atteint 254 milliards de roupies (6,35 milliards d’euros).
Quant à son actionnariat, il est composé de 25 entités 100%mauriciennes. Il s’agit de sociétés financières, de sociétés de bourse et d’entreprises importantes de l’île comme IBL et Swan. En matière de réglementation, elle dépend de la Financial Services Commission (FSC), le régulateur des services financiers non bancaires.
UNE OFFRE COMPLEXIFIÉE QUI RAPPORTE
L’offre de la bourse de Maurice s’est au fil du temps complexifiée et a gagné en profondeur. « N’offrant à ses début que du pur Equity (actions dans des compagnies), elle propose aujourd’hui des Bonds (obligations), des Properties Funds (gestion d’actifs immobiliers), des Preference Shares (actions de préférence qui permettent des avantages financiers comme des dividendes prioritaires sans droits de vote)… », explique Neeraj Umanee, Manager à la Swan Securities, le bras boursier du groupe d’assurance Swan. Elle a aussi lancé en 2015 le SEM Sustainability Index (SEMSI). Ce nouvel indice boursier englobe à la fois des facteurs économiques, environnementaux, sociaux et de bonne gouvernance. Le Stock Exchange of Mauritius (SEM) est devenu ainsi la seconde place boursière d’Afrique subsaharienne, après celle de Johannesburg, à promouvoir le développement durable à travers un indice boursier. Preuve de son dynamisme, la Bourse a reçu en 2015, et pour la troisième fois en cinq ans, le prix de la bourse africaine la plus innovante, décerné par l’Africa Investor, une société internationale de courtage et de capital-investissement.
UNE OFFRE ADAPTÉE À DIFFÉRENTES TAILLES D’ENTREPRISE
« Aujourd’hui, on atteint quotidiennement, en moyenne, deux millions de dollars de transactions », souligne Vikash Tulsidas, Manager à AXYS Stockbroking. Démonstration de la bonne santé du SEM, « en 2015, le montant global enregistré sur nos deux marchés a été de 20 milliards de roupies (500 millions d’euros), soit le niveau le plus haut enregistré sur une année depuis notre ouverture », se réjouit pour sa part Sunil Benimadhu, CEO de la bourse mauricienne. Le SEM compte en effet deux marchés : le marché officiel (SEMDEX) et le Development and Enterprise Market (DEM). Le SEMDEX est plus tourné vers les valeurs à grosse capitalisation. Il intègre les « blue chips » – surnom d’une action de société cotée que l’on pense fiable, en excellente santé financière et apparaissant comme un chef de file dans son domaine. Au sein du marché officiel a été créé le SEM 10 qui regroupe les dix plus grosses entreprises selon leur capitalisation boursière mais également selon leur fréquence d’activité.
Quant au second marché, dit hors cote, le DEM, il a commencé ses opérations en 1990. Il s’adresse plus aux PME ou même aux start-up. Son objectif est de permettre aux sociétés à faible ou moyenne capitalisation de lever des fonds et d’assurer une certaine liquidité de leurs titres. Cela n’empêche pas certaines grosses entreprises d’y être présentes. « Mais nous souhaitons qu’elles montent sur le marché officiel car, non seulement le SEMDEX enregistre beaucoup plus de transactions, mais, surtout, il assure une certaine prime aux sociétés qui y sont listées. En résumé, entre deux entreprises qui auraient la même profitabilité sur le DEM et sur le SEMDEX, celle qui est sur le marché officiel tend à avoir une valorisation plus importante », souligne le patron de la Bourse.
L’autre particularité du SEM est son ancrage local. Ses principales valeurs sont détenues à 63% par des institutionnels locaux (fonds de pension, sociétés d’assurance, SICAV), à 23% par des particuliers, principalement mauriciens et à 15% par des investisseurs étrangers (principalement américains et européens).
UNE PLATEFORME MULTIDEVISES
Un gros avantage de la place boursière mauricienne est d’accepter des cotations en euros, en dollars, en rands et en livres sterling. En plus d’éviter l’impact du change, cela permet à une entreprise de choisir une devise par rapport à l’environnement dans lequel elle opère mais aussi en fonction des investisseurs qu’elle vise. « Par exemple, deux entreprises ont préféré être cotées en livres sterling puisqu’elles effectuent des transactions essentiellement en Grande-Bretagne et essaient de lever des fonds auprès d’investisseurs de ce pays. Avoir cette flexibilité et cette compétitivité nous permet de mieux assurer notre processus d’internationalisation », assure Sunil Benima-dhu.
En plus d’être multidevises, le SEM propose depuis 2008 le « turnaround trade » qui permet à un investisseur d’acheter et de vendre un titre au cours de la même séance. Mais ce dispositif demeure peu utilisé car la plupart des actions affichent une faible liquidité. La bourse de Maurice n’est pas une bourse de « traders », mais plutôt de bons pères de famille qui pensent à leur retraite ou à celles de leurs clients dans le cas des compagnies d’assurance et des fonds de pension.
UNE BOURSE QUI A PU SÉDUIRE DES POIDS LOURDS INTERNATIONAUX
La bourse de Maurice n’est encore qu’un petit poucet, avec ses 6,35 milliards d’euros de capitalisation, en comparaison avec certaines bourses d’Afrique comme celles de Johannesburg, qui affiche 950 milliards de dollars de capitalisation, celle du Nigeria, à 50 milliards de dollars, en passe de devenir le pôle régional de l’Afrique de l’Ouest, ou encore celle du Maroc, à 45 milliards de dollars. L’idée d’une ouverture internationale s’est pourtant imposée depuis 1994 avec l’accès sans aucune restriction aux investisseurs étrangers. Mais le coche d’une véritable internationalisation a peut-être été raté avec l’abandon du projet de partenariat avec la bourse de Johannesburg. Ce projet, initié en 2007, prévoyait l’entrée de la bourse sud-africaine à hauteur de 49% dans le capital du SEM. Mais il n’a pas été validé par la Financial Services Commission (FSC). Pour les connaisseurs du dossier, les autorités mauriciennes craignaient une mainmise des Sud-africains. Certains y croient encore même si le sujet n’est plus d’actualité. En attendant, Maurice met en avant des atouts non négligeables pour séduire les investisseurs étrangers : le bilinguisme de sa population, des accords de non double imposition signés (ou en cours de ratification) avec de nombreux États dont 27 en Afrique, la stabilité de sa monnaie, l’absence de contrôle de change et « surtout un cadre légal qui fonctionne », précise Vikash Tulsidas. « Ce qui attire surtout les investisseurs étrangers, c’est la stabilité. Par rapport à d’autres places africaines (hors Afrique du Sud), la situation politique et/ou économique instable constitue des freins pour lever des fonds. Nous avons une carte à jouer », ajoute Neeraj Umanee. Et l’on commence à enregistrer certains résultats. « Ces cinq dernières années, la grande majorité des nouvelles cotations sont générées par des sociétés étrangères qui se sont implantées à Maurice comme GBL 1 (sociétés avec une résidence fiscale et bénéficiant des accords de non double imposition). Mais on constate de plus en plus d’introductionsdirectes de sociétés étrangères sur le SEM », indique Sunil Benimadhu.
Si la plus importante entreprise cotée est la Mauritius Commercial Bank (MCB), qui enregistre aussi le volume de transactions le plus important, en terme de capitalisation pure – c’est-à-dire le nombre de titre émis multiplié par le cours du titre -, la plus forte capitalisation est celle de Rockcastle Global Real Estate Co Ltd avec 70 milliards de roupies (1,75 milliard d’euros). Cette multinationale d’origine américaine, spécialisée dans l’investissement immobilier, est entrée à la bourse de Maurice en 2012 avec une capitalisation de cinq millions d’euros et affiche donc une impressionnante montée en puissance. Elle est cotée également à la bourse de Johannesburg mais a fait de Maurice son marché primaire. « Pour de nombreux investisseurs, la MCB reste LA « blue chip » du marché », tempère Kamlesh Ramjee, Manager à Capital Markets Brokers.
OFFRIR DE LA LISIBILITÉ EN AFRIQUE ET EN ASIE
Autre exemple intéressant, « l’un des plus importants assureurs et groupes de services financiers sud-africain, Sanlam, qui est coté à la fois aux bourses de Johannesburg et de Port-Louis, a fait lui aussi le choix de faire de Port-Louis sa place primaire », explique Neeraj Umanee. D’autres entreprises étrangères, plus modestes, comme Shumba Energy et Cargohub ont également choisi Maurice. Déjà présente à la bourse du Botswana (où elle compte 230 actionnaires, dont 8 caisses de retraite, avec une capitalisation boursière proche de 17 millions d’euros), Shumba Energy a été la première compagnie minière africaine à être cotée sur le DEM, le second marché de la bourse mauricienne. Son objectif était d’avoir plus de visibilité auprès des investisseurs asiatiques. Trois ans après, le bilan demeure mitigé selon un représentant de Shumba Energy qui évoque un « manque de compréhension de son activité, un déficit de compétences et surtout un manque d’intérêt pour le modèle de l’entreprise (…) Nous avons parfois l’impression d’avoir affaire à des fonctionnaires ». En revanche, le groupe français Cargohub, première valeur à être cotée en euros, listée également au second marché, se montre plus enjoué. Spécialisé dans les secteurs de l’immobilier, de la logistique et du camionnage, ce groupe est présent en France et au Luxembourg avec des activités à Dubaï et en Biélorussie. « Nous cherchions à internationaliser nos activités, explique son président, Philippe Laronze. Nous hésitions entre Singapour, Dubaï et Port-Louis. Chacune de ses places a ses avantages. Mais comme nous sommes intéressés par le marché de l’Afrique, Maurice était le choix idéal. En plus de ses magnifiques plages, le pays bénéfice d’une bonne stabilité politique et d’une place financière en devenir. »
DES PROCÉDURES SIMPLES ET PEU COÛTEUSES
Une introduction à la bourse de Maurice a aussi l’avantage d’être relativement simple et peu coûteuse. Pour le marché officiel (SEMDEX), l’entreprise doit présenter un dossier présentant des comptes publiés ou déposés trois ans avant la demande de l’inscription. La valeur marchande globale attendue des titres de participation doit être d’au moins 200 millions de roupies (5 millions d’euros), son flottant doit être d’au moins 25% des actions au public, avec un minimum de 200 actionnaires au moment de sa cotation.
Pour le DEM, l’entreprise doit avoir une capitalisation boursière minimale de 20 millions de roupies (500 000 euros), avoir au moins 100 actionnaires, un minimum de 10% de son capital dans les mains du public et publier des rapports financiers depuis au moins un an. La Bourse peut accorder l’admission à une entreprise ayant moins de 10% de son capital dans le public ou ayant moins de 100 actionnaires à condition qu’elle s’engage à augmenter la part destinée au public à 10% et le nombre de ses actionnaires à 100 au plus tard à la fin de la première année d’admission. Faute de quoi, la société peut être radiée du DEM. L’entreprise peut instruire elle-même le dossier à présenter au board du SEM pour son introduction, mais, dans la plupart des cas, ce sont des prestataires qui s’en chargent. L’adhésion prend entre un et trois mois, jusqu’à cinq mois pour une entreprise étrangère. Pour un dépôt de dossier sur le marché officiel, les frais s’élèvent à 100 000 roupies (2 500 euros) et à 75 000 roupies (1 875 euros) pour le marché hors cote. À ces montants initiaux s’ajoutent des frais annuels qui dépendent de la capitalisation boursière de l’entreprise.
Au final, l’addition est beaucoup plus légère que celle de grandes bourses comme Paris.
DE SÉRIEUX CONCURRENTS EN AFRIQUE
L’attrait des étrangers pour le SEM se confirme même s’il se concentre sur certaines actions et leur présence dynamise la Bourse. En 2015, quelque 38% des transactions leurs sont imputées, contre 36% en 2014. Mais la concurrence se développe également non loin de Maurice avec pas moins de 23 bourses africaines alors qu’elles n’étaient qu’une dizaine dans les années 90. Si la plupart des marchés boursiers africains se situent encore à un stade embryonnaire, la bourse sud-africaine fait figure d’exception. Elle enregistre un bon niveau de transactions qui la place à mi-chemin entre marché mature et marché émergent et elle représente à elle seule 65% de la capitalisation boursière africaine. Mais la dégradation de l’économie sud-africaine – qui a conduit la Barclays à annoncer son retrait du continent africain – et les incertitudes qui pèsent sur l’avenir du pays pourraient représenter des freins au développement des activités boursières. Maurice pourrait représenter une alternative et certains veulent y croire. Mais le petit poucet mauricien a besoin de se muscler sérieusement pour passer dans la catégorie supérieure et être plus lisible sur la carte mondiale des bourses. Sans compter que certains « ratés » comme celui de Lottotech (voir notre encadré) ne font pas une très bonne publicité au secteur financier ni aux dirigeants politiques du pays.