La brique en terre à Mayotte : de la tradition à l’innovation
Imaginée il y a une quarantaine d’années, puis un peu délaissée, la brique en terre comprimée retrouve sa place dans le bâti mahorais. Elle fait aujourd’hui l’objet d’expérimentations innovantes pour renforcer son pouvoir isolant.
À la fin des années 1970, Mayotte tourne résolument le dos aux Comores nouvellement indépendantes et cherche à avancer sur le chemin du développement avec les maigres moyens que lui accorde alors la France. La croissance démographique s’emballe, la jeune Société immobilière de Mayotte (SIM) s’efforce de répondre à la demande d’habitat moderne, en dur, et cherche une alternative aux couteux parpaings. Au même moment, le CRAterre (Centre de recherche et d’application sur la construction en terre) se créait à Grenoble. La SIM et la DDE (Direction de l’équipement) de Mayotte invitaient ses spécialistes multidisciplinaires à se pencher sur la problématique locale. Un concept de brique en terre comprimée, mélange de terre (latérite), de sable (pouzzolane), de 5 % à 10 % de ciment et d’eau était rapidement mis au point. Les premières constructions en « BTC » sortaient de terre au début des années 1980, une filière économique se mettait en place sous l’impulsion de la SIM.
Par la suite, la brique en terre crue a été délaissée, victime de la concurrence du béton banché. Mais elle n’a jamais été abandonnée, surtout mise en œuvre en utilisation partielle dans les projets. Elle a toujours compté de fervents partisans, sur l’île et parmi les promoteurs nationaux, de l’utilisation des ressources locales dans la construction. En 2008, ils se regroupaient dans l’association Art Terre Mayotte. Constituée d’architectes, d’ingénieurs, d’entreprises, elle a été particulièrement active ces dernières années, à mesure que les exigences environnementales grandissaient dans la réglementation du bâti.
La BTC, fabriquée à partir de matériaux locaux par des petites entreprises, avec d’intéressantes caractéristiques d’isolation thermique, coche de nombreuses cases de la construction durable et bas carbone. La SIM s’est d’ailleurs engagée à utiliser au moins 20 % de briques dans les façades de ses réalisations. « La BTC est en phase de relance, commente l’architecte Dominique Tessier, un des piliers d’Art Terre Mayotte. De plus, nous cherchons à améliorer ses performances techniques pour concevoir des bâtiments plus économes en énergie, nécessitant moins de climatisation. »
Mariage avec le végétal
De 2020 à 2022, l’association s’est rapprochée de différents partenaires, dont le laboratoire strasbourgeois du Cerema (centre d’expertise public) spécialisé dans la performance environnementale et énergétique des bâtiments, pour mener une expérimentation soutenue par le programme national Ombree et consistant à ajouter de la matière végétale hachée dans la BTC. « Nous avons testé la fibre de coco, les feuilles de banane séchées et les feuilles de manguier, en remplacement du ciment et dans différentes formulations, détaille Dominique Tessier. Les essais en laboratoire ont montré que la résistance thermique – la capacité d’un matériau à empêcher la pénétration de la chaleur – de notre BTC Fibres était deux fois plus importante que notre brique témoin. Une autre étude, menée par l’agence d’architecture Terre-Neuve, a montré qu’elle permettait d’économiser 30 % de climatisation. »
« La R&D se poursuit, ajoute Melvyn Gorra, ingénieur matériaux et permanent d’Art Terre Mayotte. Il nous faut tester la BTCF en grandeur nature, plutôt pour des murs intérieurs ou en deuxième épaisseur de briques pour améliorer le confort thermique. » En attendant, la BTC mahoraise a obtenu une belle consécration en juillet 2022 : après avoir été testée par le Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB), elle est devenue le premier matériau de construction en terre à voir ses règles professionnelles promulguées par l’Agence qualité construction.