La chine croit-elle vraiment à l’avenir de l’Afrique ?
Jusqu’à ces derniers mois, les journalistes parlaient de l’accroissement spectaculaire des échanges entre l’Afrique et la Chine illustrés par le fait qu’en 2009, la Chine était devenue le premier partenaire commercial du continent. Mais cela demande quelques éclaircissements.
Dans ce qui se dit et s’écrit sur la Chine et l’Afrique, il y a d’une part les apparences, les discours et les fantasmes. D’autre part, il y a la réalité des chiffres, ce qui a fait qualifier la Chinafrique de « baudruche chimérique » (Emmanuel Dubois de Prisque, septembre 2018) (1).
Un chiffre ne trompe pas, c’est celui des IDE (Investissements directs étrangers) chinois en Afrique. C’est en effet lui qui indique le degré de confiance de la Chine dans l’avenir de l’Afrique. Si, en dehors du pillage de ses matières premières, il est raisonnable d’y investir sur le moyen et le long terme. Or l’examen des IDE chinois en Afrique laisse perplexe.
En effet, en 2013, les IDE chinois en Afrique qui étaient de 3 371 millions de dollars n’ont représenté que 3 % des investissements chinois dans le monde, chiffre qui permet donc de relativiser la « prise de contrôle » de Pékin sur le continent africain.
En 2021, les IDE chinois en Afrique ont atteint la somme de 4 987 millions de dollars, mais seulement 2,71 % de tous les IDE chinois de par le monde. De plus, ces IDE se font aux deux tiers avec sept pays, les 45 restants se partageant 1 691 millions de dollars, une somme dérisoire à l’échelle des besoins du continent.
Traduction, la Chine n’a pas confiance dans l’avenir du continent africain, même si elle pille consciencieusement ses ressources.
Selon le sinologue Thierry Pairault (Le Point, 20 février 2018), l’Afrique n’est pas la destination de ce qu’il est convenu de désigner sous le nom de « nouvelles routes de la soie », mais l’Europe. Là est le marché futur des productions chinoises et « si l’on regarde les tracés de la route terrestre et de la route maritime, toutes ces routes sont faites pour desservir l’Europe. Les ports situés sur les côtes africaines sont avant tout des ports qui ouvrent sur l’Europe, et non vers l’Afrique, y compris le port de Tanger ».
La Chine, qui a essuyé plusieurs déconvenues en Afrique, a décidé de cesser l’essaimage au profit de l’écrémage en centrant sa présence sur quelques pays dont trois sont privilégiés, l’Égypte (gaz), le Soudan (pétrole) et l’Algérie (gaz et pétrole). L’égoïsme de Pékin et de ses représentants, qui est de plus en plus dénoncé, est illustré par une présence uniquement commerciale et non par des investissements, les IDE.
Comme les États-Unis, mais sur une échelle plus importante, la Chine pratique donc une économie de comptoir, c’est à dire de pillage des matières premières africaines tout en endettant le continent, loin de toute idée de développement (2).
(1) https://institut-thomas-more. org/2018/09/03/chine-afrique-au-de-la-des-interets-economiques-lindiffe-rence-reciproque/
(2) Voir à ce sujet Thierry Pairault : « Dette africaine : la part chinoise à 40 %, mythe ou réalité ? » Le Point 29 novembre 2021.
Bernard Lugan : Historien français spécialiste de l’Afrique où il a enseigné durant de nombreuses années, Bernard Lugan est l’auteur d’une multitude d’ouvrages dont une monumentale Histoire de l’Afrique. Et il vient de rééditer son Histoire de l’Afrique du Sud. Il a été professeur à l’École de guerre, à Paris, et a enseigné aux écoles de Saint-Cyr-Coëtquidan.
Il a été conférencier à l’Institut des hautes études de défense national (IHEDN) et expert auprès du Tribunal pénal international pour le Rwanda-ONU (TPIR). Il édite par Internet la publication mensuelle L’Afrique Réelle.