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Maurice

La diversification agricole pour la souveraineté alimentaire

Maurice, qui importe une bonne part de son alimentation, cherche tout à la fois à créer de nouvelles filières agricoles et à mettre en place une agriculture raisonnée, plus soucieuse de l’environnement, pour sécuriser sa souveraineté alimentaire. État des lieux.

Trente milliards de roupies (750 millions d'euros), c'est le montant de la facture que règle chaque année Maurice pour ses importations alimentaires. « Et nous ne produisons que 25 % de nos besoins », regrette Mahen Seeruttun, le ministre de l'Agro-industrie et de la Sécurité alimentaire, en inaugurant la troisième édition du Salon de l'agriculture. Face à ce constat, l'île cherche à diversifier ses productions en fruits et légumes en valorisant des terres dédiées à la canne à sucre qui sont souvent abandonnées. Et les résultats commencent à se faire sentir puisque l'île est aujourd'hui quasi-autonome (sur l'année) en oignon, poulet, carotte et pomme de terre. 

LA DIVERSIFICATION EST EN MARCHE

Certains grands groupes qui se sont lancés dans le maraîchage sont même devenus les principaux acteurs du marché. C'est le cas de Médine Agriculture, la filiale agricole du groupe éponyme. S'appuyant sur la modernisation de son outil de production (mécanisation accrue) et la conversion de terres dédiées à la canne, elle a surtout appliqué les techniques de production sucrière aux cultures vivrières. Résultat : Médine qui fait office de pionnier, car seul groupe sucrier de cette envergure ayant déployé autant de moyens pour diversifier ses produits, a récolté 4 296 tonnes de fruits et légumes en 2016. Soit 4 %de la production nationale – la récolte totale de fruits et légumes était de 107 457 tonnes contre 102 663 tonnes en 2015. 
Autre exemple, celui du poulet. Quatre producteurs se partagent un marché qui, selon certains observateurs, « est arrivé à saturation avec une production annuelle de 46 000 tonnes ». Avipro, la filiale du conglomérat Eclosia, pionnière dans la production de poulets de table, représente 39 % du marché…

PRODUIRE AUTREMENT

Maurice cherche également à produire différemment avec l’ambitieux objectif d’atteindre les 50 % de production bio d’ici cinq ans. C'est pourquoi la Chambre d'agriculture, appuyé par l'Agence française de développement (AFD) et bénéficiant de l’expertise du Cirad (Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement) de La Réunion – l'un des plus grands centres de recherche de l’hémisphère Sud –  a lancé en 2016 le programme Smart Agriculture ou agriculture raisonnée. 
«  Notre programme est parti d'un constat : sur les 110 000 tonnes de fruits et légumes produits chaque année, 20 % viennent des pôles de diversification des propriétés sucrières dont la plus importante est Médine. Dès lors, 80 % de la production est assurée par nos 8 000 agriculteurs qui bien souvent opèrent sans cadre et sans formation ! », explique Jacqueline Sauzier, la secrétaire générale de la Chambre d'agriculture.
Bénéficiant d'un budget de 18 millions de roupies (450 000 euros), l'objectif du programme Smart Agriculture est d'optimiser les résultats économiques tout en maîtrisant la qualité et la quantité des intrants utilisés (pesticides, fertilisants et eau). Étalé sur dix ans, ce plan, qui en est à sa deuxième étape (qui en comprend trois), implique la participation de 300 petits et moyens planteurs. « Le Cirad appuie la reconception des systèmes de production et de techniques agricoles innovatrices. »
 

Maurice est aujourd'hui autonome (sur l'année) en oignon, poulet, carotte et pomme de terre.
Maurice est aujourd'hui autonome (sur l'année) en oignon, poulet, carotte et pomme de terre.  Jean-Michel Durand
 

DE NOUVELLES PRODUCTIONS

Autre acteur misant sur l'agriculture raisonnée : Yan Mayer. Ce dernier, qui a reçu le IBL Tecoma Award après avoir été élu « Entrepreneur de l'année 2017 » par L’Eco austral, a fait découvrir aux Mauriciens, avec sa marque VegMe, une nouvelle façon de consommer les fruits et légumes. Pour les rassurer, Yan Mayer choisit volontairement de faire tester par le laboratoire accrédité et indépendant QuantiLAB la teneur en pesticides de ses produits avant leur distribution dans les grandes surfaces.
L'entrepreneur vient de créer, en investissant 18 millions de roupies (486 486 euros), Pure Farming qui produit des légumes en agriculture raisonnée. Yan Mayer a d'ailleurs été le premier à recevoir le Bio Farming Certificate à Maurice… 
Outre ces productions dites traditionnelles, l'État a annoncé, lors de la présentation du Budget 2017-2018, l'introduction de la culture de macadamia. Encore peu connue en France, cette noix au goût suave est en revanche très recherchée par les Allemands et les Britanniques, qui la consomment entière, nature ou grillée, salée ou sucrée… 

POTENTIEL DE CROISSANCE

Élément économique important : la demande mondiale est supérieure à l’offre ! Ainsi, comme le rappelle, l'ONG suisse, le Centre international pour le commerce et le développement durable, en 2002, le kilo de noix non décortiquées (non transformées) est passé au Kenya, de 0,07 à 0,23 dollar (triplement des prix en moins d'un an !) Et l'an dernier, les prix ont atteint 1,5 dollar américain le kilo (1,22 euro) ! 
Aussi, l'Institut gouvernemental de recherche et de vulgarisation alimentaires et agricoles (FAREI), dont l'objectif est de mener des recherches sur les cultures non sucrières, travaille sur un projet de 40 hectares de macadamier (arbre qui produit ces noix). L'objectif est de créer une pépinière, de former les agriculteurs et enfin de produire et distribuer essentiellement à l'exportation ces graines. Des études ont été menées, en 2017, pour évaluer le potentiel de croissance du macadamia sur l'île et le soutien nécessaire à apporter à la mise en œuvre du projet…
 

Encore peu connue en France, la noix de macadamia est en revanche très recherchée par les Allemands et les Britanniques qui la consomment entière, nature ou grillée, salée ou sucrée…
Encore peu connue en France, la noix de macadamia est en revanche très recherchée par les Allemands et les Britanniques qui la consomment entière, nature ou grillée, salée ou sucrée…  Stocklib@Olga Popova
 

INVESTISSEMENTS MASSIFS

Symbole du désintérêt des autorités pour l'agriculture (acté par la suppression en 2012 du Tea Board qui se chargeait de l’octroi des permis pour la culture du thé), le secteur bénéficie désormais de l'attention de l'État. Le gouvernement a annoncé lors du Budget 2016- 2017 la reprise et la réouverture de l’usine de thé de Dubreuil, fermée en 1999, par l'entreprise chinoise Kuanfu-Tea. Avant cette arrivée, le marché était divisé en trois acteurs : Corson, Bois Chéri et La Chartreuse. 
« Ils sont à la fois producteurs et transformateurs mais on était aussi contraints d'importer car la demande était supérieure à l'offre », explique Jacqueline Sauzier. L'entreprise chinoise, qui a injecté 10 millions de dollars principalement dans la pépinière, « a bouleversé le jeu puisque les territoires dédiés à cette culture n'ont pas augmenté », regrette-t-elle. Le principal problème étant que la production, presque exclusivement dédiée à l'exportation, créait une pénurie sur le marché local…

UN LABEL « MADE IN MORIS »

Si les qualités gustatives et médicales du thé mauricien ont été démontrées, il reste qu'il fait face à une concurrence féroce sur le marché mondial. L'une des solutions est créer un thé avec une identité mauricienne, avec une identité géographique spécifique, comme il existe un thé de Ceylan, « bref un label. L'exemple à suivre est de celui de l'AMM (Association of Mauritian Manufacturers, l'association des industriels de Maurice) qui a lancé le label Made in Moris. Bien sûr, cela demanderait un gros effort de labellisation mais cela permettrait de donner de la valeur ajoutée à nos produits », souligne la secrétaire générale de la Chambre d'agriculture. 
Il s'agira alors de suivre l'exemple des limons de Rodrigues qui ont  su démontrer des qualités intéressantes pour le secteur des bio-technologies.

DRYLAND RICE : UNE EXPÉRIENCE QUI TOURNE COURT
Depuis 2009, l'entreprise singapourienne Vita Rice produit du riz à Maurice. Exportée à 90 % vers la France et les États-Unis, cette variété – le dryland rice – a un indice glycémique relativement bas comparé au basmati et est surtout sans arsenic. Cultivé sur 350 hectares de terre, ce riz a donc une forte valeur ajoutée. Malheureusement, un conflit avec la propriété foncière qui abritait l'usine a contraint Vita Rice à se désengager de la culture de riz. Dorénavant, l'entreprise fournit uniquement des équipements et des graines à trois usines sucrières.