LA RSE À MAURICE : Une bonne pratique devenue obligation légale
Un regard historique sur la responsabilité sociale (ou sociétale) des entreprises, bien avant qu’on ne parle de Corporate Social Responsability (CSR) et d’obligation légale. Mais la situation a évolué avec le temps, amenant les entreprises mauriciennes à faire davantage et, pour certaines, à faire de la RSE un axe de développement.
À Maurice, la responsabilité sociale (ou sociétale) des entreprises est très réglementée, contrairement à d’autres pays plus libéraux. Avant la loi cadre de 2009, la solidarité se faisait à la discrétion des entreprises. Les compagnies sucrières furent les premières à se préoccuper du bien-être de leurs employés en aménageant des centres communautaires à proximité des habitations. À la base, les compagnies sucrières étaient omniprésentes dans l’écosystème naturel de leurs régions respectives, ayant, de plus, un rôle social prépondérant dans la vie de la communauté. S’il est vrai que pendant les années du colonialisme, les employés étaient parqués dans les « camps sucriers » aujourd’hui démantelés, ils pouvaient malgré tout bénéficier de certains avantages qui contribuaient à améliorer des conditions de vie souvent précaires. Ainsi, le Public Relations Officer (PRO) faisait déjà, à l’époque, l’interaction entre le patronat et les travailleurs.
« L’industrie sucrière était l’actrice principale du développement social dans les villages et, durant les années qui ont suivi l’indépendance, le gouvernement la sollicitait régulièrement pour intervenir dans les régions rurales », se rappelle un ancien cadre de la défunte usine de Mon Désert Alma, dans la région de Moka. Un véritable partenariat entre l’État, les communautés locales et le secteur privé était déjà en place. Jusqu’en 2009, aucune loi n’obligeait les entreprises à assumer leur responsabilité sociale. Certaines le faisaient, d’autres, plus nombreuses, ne le faisaient pas.
En 2009, la responsabilité sociale des entreprises se formalise et une loi-cadre contraint les entreprises à contribuer à hauteur de 3 % de leur résultat net afin de partager avec l’État le poids de l’État-providence et la responsabilité de le faire perdurer. Ainsi, la Corporate Social Responsibility (CSR) a constitué un cadre légal au sein duquel les entreprises déploient leur responsabilité sociale.
La RSE se professionnalise
Dans la foulée, l’État a créé la National Empowerment Foundation (devenue aujourd’hui la National Social Inclusion Foundation, NSIF) pour orienter les fonds récoltés vers les projets sociaux ou environnementaux, voire les énergies renouvelables. De leur côté, les grandes entreprises ont créé leurs fondations qui sont devenues des véhicules du financement de la responsabilité sociétale ou CSR. Elles pouvaient ainsi diriger les financements vers les activités de la société civile dans les domaines de la santé, de l’éducation, du sport, du développement de la jeunesse, de l’allègement de la pauvreté et de la protection de l’environnement sous toutes ses formes. Exclues de ce cadre : les activités religieuses, politiques et syndicales.
La règlementation a évolué en dix ans et, aujourd’hui, la contribution des entreprises au CSR est passée à 2 %, desquels 50 % dans un premier temps, puis 75 % actuellement, sont reversés à la Mauritius Revenue Authority (MRA) qui redirige ce montant vers la NSIF. Cette partie du mécanisme est une aubaine pour les petites et moyennes entreprises (PME) qui ne sont pas dotées de fondations comme les groupes diversifiés ou de structures adéquates pour diriger leur CSR. En revanche, les fondations se sont vues, pour leur part, « amputées » d’une importante part du financement avec lequel, depuis 2009, elles avaient l’habitude de fonctionner pour leurs actions sociétales.
« Le groupe ENL a choisi de financer ses actions sociales au-dessus du montant prévu par la loi », intervient Mario Radegonde, responsable RSE chez ENL et directeur d’ENL Foundation, très active dans le développement intégré. Durant la crise covid, le groupe a créé un plan de solidarité qui a permis aux employés de financer des actions sociales à hauteur de 5 % de leur salaire mensuel, pendant trois mois. Dix millions de roupies (environ 210 000 euros) ont ainsi été récoltées, permettant d’alléger l’impact de la covid. Plus largement, ce type d’action et l’engagement des grandes entreprises sont venus donner un ballon d’oxygène à de nombreuses ONG qui, pendant des années, ont bataillé seules face à l’adversité. « Des ONG n’étaient pas sur l’échiquier, aujourd’hui elles ont une existence propre, grâce à l’impact positif du CSR », renchérit Mario Radegonde.
La responsabilité sociétale s’est étendue à tous les types d’entreprises et des équipes se sont mises en place. Entre 2009 et 2022, beaucoup d’entreprises (surtout les groupes et les grandes entreprises) ont embauché des professionnels, formés à l’Université, dans des métiers précis et de plus en plus pertinents comme celui de travailleur social, de psychologue ou d’environnementaliste… Les actions se sont à la fois multipliées et diversifiées, même si les principes de base restent les mêmes, fidèles à la ligne directrice imposée par la règlementation. Ce sont ainsi les groupes vulnérables qui en profitent et les régions restées en marge du développement qui sortent de l’ombre.
Des retards à combler
Les ONG, pour leur part, se professionnalisent elles aussi… à leur rythme. Là où il y avait encore de l’amateurisme et du bénévolat, il y a aujourd’hui une véritable expertise. Au sein de Business Mauritius, la fédération des entreprises mauriciennes, une commission impliquant les ONG a été mise en place. Certaines entreprises offrent ainsi leurs compétences dans des domaines variés tels que l’informatique et la communication. Le transfert de compétences, dans certains cas, fonctionne à plein régime.
Le système a ses limites. À commencer par les failles qui existent au niveau de l’État. « Il n’y a pas suffisamment d’interaction », déplore cet expert de l’action sociale. Pour lui, la connexion de la NSIF avec la réalité du terrain n’est pas optimale. « Il y a des réalités qui leur (les équipes de la NSIF – NDLR) échappent, des stratégies qui ne sont pas adaptées au terrain. »
D’autres sujets sur lesquels Maurice est en retard sont ceux de l’égalité des genres ou encore de l’éco-responsabilité. Dans ces domaines, les voisins réunionnais sont en avance. D’où l’importance d’un transfert de connaissances et d’un partage des expériences. Les Objectifs de développement durable (ODD) au nombre de 17, dont certains au niveau social, d’autres sur le plan environnemental, sont encore loin d’être atteints. Et 2030, année butoir pour les ODD, approche à grands pas…
« Il faudrait réduire les émissions de 100 % si l’on veut atteindre les objectifs de l’Accord de Paris », insiste Nicolas Meisel, conseiller économique à l’Agence française de développement (AFD) à Maurice, très active dans le financement de projets de développement durable. Pour l’instant, l’effort global est insuffisant. Too little too late ? Mais mieux vaut tard que jamais. Que fait-on entre 2022/23 et 2030 ? L’une des urgences est de « décarboner » les activités et, afin d’y arriver dans les meilleures conditions, il y a toute une planification qui doit être mise en place. « Il faudrait effectuer chaque année 5 % de réduction, un peu comme ce qui s’est passé dans le monde pendant la crise covid », schématise Nicolas Meisel. L’arrêt d’un grand nombre d’activités au plus fort de la pandémie a eu des effets bénéfiques pour la planète. Comme il n’est pas encore question aujourd’hui de stopper la machinerie du développement, comment les entreprises vont-elles faire pour produire mieux tout en restant durables, en continuant à payer leurs salariés et en contribuant à remplir les caisses de l’État ? Dans le cas de Maurice, ce sont les importations qui ont la plus forte empreinte carbone, dans la chaîne de production, avec les transports maritimes, terrestres et aériens, dans lesquels les arrivées touristiques ont une part importante, on ne le répète pas assez.
Il faut donc se retrousser les manches… Et dans l’effort global, les entreprises ont un rôle clé, dans un monde industrialisé qu’elles ont contribué à créer… et à détruire. « Les entreprises doivent s’informer, agir et surtout ne pas attendre que l’État intervienne ou que de jeunes militants montent au créneau », insiste encore Nicolas Meisel.
People, planet, profit
La capacité des entreprises à adhérer aux principes de l’économie circulaire, mais aussi l’engagement des États à les appliquer, seront cruciaux pour l’avenir de la civilisation industrielle. Tout le monde devrait y trouver son compte, d’abord avec des États moins dépendants les uns des autres, donc plus souverains, mais aussi avec un tissu entrepreneurial plus durable, plus sobre et qui procède à une ré-industrialisation de ses activités vers plus de recyclage, de « ré-emploi ».
Ces choix devraient plaire aux entreprises puisque la décarbonation implique une plus grande efficacité énergétique, des économies d’échelle et une plus grande efficacité. À Maurice, le programme Smart City, qui envahit désormais le paysage un peu partout à travers l’île, va dans le bon sens, mais ne va pas assez loin ni assez vite, aux goûts de certains experts du développement durable. « Too little too late », répètent-ils à l’unisson. Le problème est d’ordre structurel, lié aux conditions politiques, économiques, sociales et environnementales au niveau national, régional et international.
Il faut un nouveau rapport de force en faveur de la décarbonation, imposé par des acteurs ayant un poids politique et un pouvoir de persuasion. Malgré les remous politiques de ces dernières années, Maurice est l’un des pays africains les plus performants en termes d’indicateurs de gouvernance, selon la Banque africaine de développement (BAD).
Pour arriver à une nouvelle modélisation, les entreprises doivent avoir une meilleure organisation et l’État adopter un plan stratégique à la fois ambitieux et efficace.
People, planet, profit… Comment concilier aujourd’hui ces trois impératifs si tant est que l’on veuille garder le même modèle, sauvegarder la planète et assurer la survie de l’humanité ? « Les trois doivent marcher de pair », assure une environnementaliste affectée à un grand groupe diversifié. La stratégie RSE, à l’orée de la décennie 2030, c’est une vision holistique et intégrée du développement.
« La notion de profit devient réductrice. Il faudrait plutôt parler de prospérité, avec un impact positif sur l’environnement et une réduction de l’empreinte carbone », poursuit notre interlocutrice. Le business se transforme déjà avec, notamment, des entreprises qui font des audits approfondis de leur production de déchets, de leur utilisation de l’énergie. L’équilibrage est permanent et les entreprises ne se demandent plus s’il faut réduire leur empreinte carbone, mais se posent plutôt la question suivante : jusqu’où peut-on aller sans menacer le business ?
L’entreprise du XXIe siècle voit désormais l’intérêt d’intervenir dans le recyclage ou de faire appel à des entreprises spécialisées. En attendant, dans le cas mauricien, de pouvoir mutualiser ce type d’opération afin d’optimiser les coûts. Mais, dans ce dernier cas, il manque toujours la loi cadre qui pourrait le permettre. Quoiqu’il en soit, s’il y a un cadre dans lequel la responsabilité sociétale des entreprises est au plus haut niveau, c’est celui qui régit les Smart City. La loi oblige les entreprises ou particuliers qui s’y installent à remplir un certain nombre de critères conformes aux principes de développement durable. Tri des déchets, utilisation de sources d’énergies renouvelables ou encore pistes cyclables : l’île Maurice du XXIe siècle est en marche. Et si tout n’est pas encore pour le mieux dans le meilleur des mondes, on s’en rapproche sensiblement…
Transition énergétique : le pari de l’État : L’État mauricien a clairement défini sa politique pour la transition énergétique dans le Budget 2022-23. La consommation d’énergie devrait atteindre 1 196 MW en 2030. Maurice produit actuellement 165 MW à partir de sources renouvelables. Pour atteindre l’objectif de 60 % d’énergies renouvelables d’ici 2030, Maurice a besoin de 435 MW supplémentaires provenant de sources renouvelables.
Pour y arriver, l’État propose des installations hybrides d’énergie renouvelable qui seront mises en place en partenariat avec des promoteurs privés pour une capacité totale de 140 MW. De son côté, le Central Electricity Board (CEB) investira dans une ferme solaire photovoltaïque de 8 MW à Henrietta d’ici février 2023 pour augmenter sa capacité de 2 MW à 10 MW. Pour permettre au CEB d’accueillir davantage d’énergies renouvelables sur son réseau, un système de stockage d’énergie par batterie de 20 MW sera installé à Amaury. Une ferme solaire de 1 MW sera mise en service à Grenade, à Rodrigues.
La DBM Energy Ltd mettra en œuvre des projets solaires PV sur ses bâtiments industriels et autres bâtiments publics pour une capacité totale de 6,2 MW. Airports of Mauritus Ltd investira dans un système solaire photovoltaïque de 14 MW dans le cadre du verdissement de l’aéroport international SSR et de la zone aéroportuaire environnante. L’État veut aussi encourager la production et la fourniture d’énergie renouvelable par les ménages et les entités non commerciales à travers des financements proposés par la DBM à un taux préférentiel de 2 % par an.
Avec ENL, la RSE près de chez soi : « Avant de songer à régler les problèmes nationaux, il faut s’assurer que ceux de notre entourage immédiat ont été pris en considération », assure-t-on chez ENL, l’un des plus importants groupes diversifiés de Maurice. Sa responsabilité sociétale, ENL l’exerce dans les quartiers où ses entreprises sont implantées. Moka, Pailles, Savannah… « Pour avoir un vrai impact, il faut cibler », affirme-t-on encore dans ce groupe.
Son action, ENL l’exerce directement à travers sa fondation, ENL Foundation, sur trois champs de bataille : pauvreté, jeunesse et environnement social. Sa philosophie, c’est l’autonomisation des communautés, à travers des plateformes communautaires, animées par les citoyens eux-mêmes.
Cette action est couronnée de succès puisqu’elle produit des structures comme Baz’art Kreasion et Mo Karay, re-groupant des femmes au foyer qui, au départ, n’étaient pas autonomes et n’avaient aucune compétence en gestion financière. Aujourd’hui, ces femmes ont développé une fibre entrepreneuriale et sont devenues complète-ment autonomes. Une quinzaine d’entre elles produisent à un rythme régulier des objets décoratifs ou utilitaires en papier recyclé tandis que cinq autres se sont lancées dans la restauration et animent un restaurant solidaire proposant une cuisine locale à des prix très abordables.
NSIF, celle par qui transite la RSE : La National Social Inclusion Foundation (NSIF) s’appelait au départ National Empowerment Foundation, puis National CSR Foundation. L’idée de départ reste la même : l’Empowerment (autonomisation). Surtout dans le cas du combat contre la pauvreté et pour l’inclusion des groupes vulnérables.
La NSIF reçoit, gère et redistribue les fonds CSR (RSE) versés par les entreprises. Son objectif prioritaire est de générer de meilleurs revenus pour les groupes vulnérables tout en s’assurant que les fonds publics sont utilisés dans la plus grande transparence. Ses interlocuteurs privilégiés sont les ONG. La NSIF a la responsabilité de scruter les demandes de financement de projets et d’évaluer leur impact. L’organisme croule souvent sous les demandes de financement additionnelles… « Nous demandons aux ONG de rester dans le cadre du budget, mais s’il y a des besoins additionnels, alors il y a une évaluation au cas par cas », explique Ajay Sowdagur, secrétaire-général de la NSIF. Quatre-cent-trente ONG sont enregistrées à Maurice, parmi lesquelles 250 sont actives et obtiennent du financement à travers le CSR. Plus précisément, il y a 150 ONG qui sont de véritables prestataires de services sociaux ou environnementaux et collaborent régulièrement avec la NSIF ou les fondations des entreprises privées. La NSIF pousse vers une professionnalisation des ONG afin qu’elles soient plus adaptées aux réalités du terrain, mais aussi pour une conformité aux principes de bonne gouvernance. « Il y a des ONG qui ont des capacités réduites et qui doivent améliorer leurs compétences », insiste Ajay Sowdagur.
Durant les périodes de confinement liées à la crise covid, il a été difficile de travailler sur le terrain. La NSIF est intervenue pour verser des fonds additionnels aux ONG qui n’arrivaient plus à honorer les salaires du personnel. La NSIF et Business Mauritius ont prévu un accord afin que les cadres d’entreprise soient libérés par leur direction et se consacrent à des actions communautaires.
Autobus électrique : la CNT se lance dans la course : Sous l’impulsion de Rao Ramah, son directeur général, la CNT, première compagnie de transport public, appartenant à l’État, joue son rôle sociétal à fond. La compagnie se tourne vers l’utilisation de véhicules électriques. Et pas seulement pour des raisons écologiques. À une époque où les provoquent l’asphyxie de la planète, l’humanité tout entière est appelée à réagir. L’un des défis est de diminuer de façon drastique l’utilisation de carburants fossiles qui contribuent largement au réchauffement climatique. Les compagnies de transport, grosses consommatrices de ces carburants, ont pris conscience de l’enjeu et tentent de limiter les dégâts.
Le premier autobus électrique de la CNT est entré en service le 19 novembre 2021. Pour le secteur, c’est une avancée historique et pour la protection de l’environnement un grand pas dans la bonne direction. Car l’acquisition de ce premier véhicule devrait ouvrir la voie à une refonte totale de la flotte à court terme.
Ce choix ne répond pas seulement à des exigences écologiques, mais aussi à des considérations économiques. Car le diesel utilisé par les autobus coûte très cher. L’État veut soutenir la compagnie de transport public dans ses efforts. Le Budget 2022 a ainsi prévu que 200 autobus électriques seraient acquis pour renouveler la moitié de la flotte de la CNT. Le coût d’opération d’un autobus électrique est 50 % moins élevé que celui d’un autobus qui fonctionne au diesel, sur une période moyenne de dix ans. L’autobus électrique de la CNT dispose de 20 places assises et 11 places debout. Son autonomie est de 175 km. Cela prend deux heures pour recharger ses batteries sur deux bornes et cinq heures pour recharger sur une borne. Il dispose aussi d’équipements électroniques tels qu’un GPS, des chargeurs pour téléphones portables à chaque place assise ainsi qu’une caméra intérieure pour la sécurité des passagers. Enfin, et surtout, le bus électrique n’émet aucun gaz à effets de serre. Zéro pollution !
Ces choix devraient plaire aux entreprises puisque la décarbonation implique une plus grande efficacité énergé-tique, des économies d’échelle et une plus grande efficacité. À Maurice, le programme […]