La ventilation naturelle, ça marche ?
Sans aucun doute, répond l’architecte Olivier Brabant, qui met tout en œuvre pour ne pas recourir à la climatisation dans ses projets. « Mais ça ne peut pas marcher partout », précise-t-il.
L’Éco austral : Depuis l’amphithéâtre bioclimatique du campus du Moufia, vous êtes connu pour vos projets qui bannissent la climatisation. Peut-on s’en passer partout ?
Olivier Brabant : Non. Je ne suis pas un intégriste de la non-climatisation. En centre-ville de Saint-Denis par exemple, où le bâti masque souvent le vent aux immeubles voisins, il faut une solution mixte. Pendant six à huit mois dans l’année, la ventilation naturelle suffit à assurer le confort thermique, le reste du temps il faut climatiser. De plus, l’aéraulique – la science de l’écoulement de l’air – est très liée à l’acoustique. Les sources de bruit extérieures au bâtiment pénalisent les conditions de confort intérieur. Dans une de mes réalisations, au Port, la ventilation naturelle est mal supportée par les utilisateurs à cause du bruit de la circulation des camions, qui devait être déviée mais ne l’a pas été.
La ventilation naturelle des bâtiments en milieu tropical est-elle encore au stade des expérimentations ?
Aujourd’hui, nous disposons de nombreuses références, mais les maîtres d’ouvrage sont frileux. Les réticences sont surtout liées à la crainte d’une mauvaise acceptation de la ventilation naturelle par les salariés. Avec Jacques Gandemer, notre ingénieur aéraulique favori, nous passons notre temps à faire de la pédagogie. Nous devons affronter un discours fallacieux : « Preuve que la ventilation naturelle ne marche pas : quand la climatisation est en panne et qu’on ouvre les fenêtres, on a quand même trop chaud. » C’est vrai, mais uniquement si le bâtiment n’a pas été conçu pour exploiter la ventilation naturelle du site.
Si l’on réfléchit dès le départ à la bonne implantation et à la bonne orientation du bâtiment, on a résolu les trois quarts du problème. Ce sont des choses que les architectes ont apprises à l’école, mais qu’ils ont oubliées ou qu’ils ne défendent pas. Il est trop facile de confier le sujet à un bureau d’études techniques qui conclura évidemment qu’il faut la climatisation. Bien sûr, il ne suffit pas d’ouvrir les fenêtres pour ventiler un bâtiment de plusieurs dizaines de mètres d’épaisseur. L’aéraulique est une science complexe, la mécanique des fluides est très compliquée à modéliser, il faut recourir à des spécialistes.
La nouvelle aérogare en construction à l’aéroport Roland-Garros relève le défi de la ventilation naturelle : comment va-t-elle fonctionner ?
Le cœur de ce projet bioclimatique, c’est ce canyon central, qui permet d’aspirer l’air venu de l’extérieur et lui donne une certaine vitesse pour créer la sensation de confort à l’intérieur. La forme de la nouvelle aérogare a été dessinée après des essais en soufflerie, afin de tenir compte du masque que représente l’aérogare actuelle pour les vents venant de l’Est. Les essais sur une première maquette ont montré que certaines choses marchaient moins bien. On avait imaginé une écope supplémentaire d’extraction de l’air, sur la toiture, qui s’est révélée improductive. La conception bioclimatique façonne des formes particulières. La courbe de la toiture de la nouvelle aérogare, ce n’est pas qu’un choix esthétique !
Qu’attendez-vous de cette réalisation phare ?
La nouvelle aérogare sera un super démonstrateur de la construction bioclimatique à La Réunion. Elle passera le message dès les premiers instants des voyageurs sur le sol de l’île : on peut se passer de climatisation sous les tropiques. Comme pour l’amphithéâtre bioclimatique, où le maître d’ouvrage a pris le risque de la ventilation naturelle alors que nous avions peu de références à l’époque, l’aéroport est resté fidèle à son projet, malgré de nombreux avis contraires. Au Moufia, l’Université ne l’a pas regretté : après une année d’utilisation de l’amphithéâtre bioclimatique, elle a préféré investir le budget réservé pour la climatisation – au cas où la ventilation naturelle n’aurait pas marché – dans une centrale photovoltaïque qui alimente maintenant le campus.