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Réunion

L’ANALYSE DE VINCENT LE BALINER (*) – Immobilier commercial : état des lieux et avenir 

À l’image de nombreux domaines, La Réunion a connu ces dernières années une incroyable croissance de l’offre commerciale. Tour d’horizon d’un secteur aux enjeux multiples : équilibre des territoires, emploi, vie chère et attentes des consommateurs.

D’un point de vue conjoncturel, l’année 2022 a été marquée par une baisse de 54 % de la demande placée, c’est-à-dire des mètres carrés loués ou achetés par les enseignes. L’année 2022 faisait suite à une année 2021 euphorique, portée par la sortie de la covid, les nombreuses aides à la relance et des taux de financement bas. Le nombre de recherches de locaux est lui aussi en baisse : 37,5 % de projets en moins. Le taux de vacance, c’est-à-dire le nombre de surfaces disponibles sur le nombre de surfaces existantes est en légère hausse fin 2022 et atteint 2,4 %. Il reste globalement très faible mais devrait augmenter significativement fin 2023 au vu du contexte économique : baisse du pouvoir d’achat lié à l’inflation, hausse des procédures collectives et difficultés de financement des projets.

L’impact de l’immobilier dans « la vie chère »

La vacance commerciale est aujourd’hui principalement identifiée au niveau des pieds d’immeubles d’habitation de quartiers fortement résidentiels et dans des centres-villes en perte d’attractivité. De façon plus anecdotique, mais réelle, les communes ou secteurs ruraux voient également une progression de la vacance liée à la disparation du commerce traditionnel. Le développement de surfaces commerciales en périphérie entraîne inexorablement une baisse de la fréquentation des centres-villes : le chiffre d’affaires commercial ne se multiplie pas à l’infini mais se déplace !

Les loyers des locaux commerciaux se situent globalement à La Réunion entre 12 et 50 euros HT/m²/mois. Il est extrêmement compliqué pour cette classe d’actifs d’évoquer des moyennes tant les locaux peuvent avoir des caractéristiques intrinsèques et extrinsèques différentes : zone de chalandise, environnement, accès, dynamique, configuration, prestations… De plus, ces valeurs n’intègrent pas les éventuels coûts de cession de baux, de fonds de commerce ou droits d’entrée. Globalement, les valeurs locatives des locaux offrant un potentiel commercial ont continué de progresser ces dernières années. A contrario, les surfaces peu attractives se retrouvent désormais avec des loyers inférieurs à ceux pratiqués pour les locaux de production ou de stockage.

La question des prix à la consommation, celle plus globalement de la vie chère, revient régulièrement sur le devant de la scène. Ainsi, le tout nouveau ministre délégué aux Outre-mer accompagnait début septembre la mise en place d’un groupe de travail sur la transparence des prix. Ce lancement arrive la même année que la commission d’enquête parlementaire qui a rendu ses travaux en pleine période de vacances, sans grand écho.

Le prix de vente d’un bien est constitué de l’ensemble des dépenses (achat, stockage, loyer, salaires…) permettant sa vente, augmenté de la marge du commerçant. Or le loyer commercial est l’une des principales dépenses d’un commerçant. Il varie selon les activités et se traduit par le taux d’effort : le ratio du loyer sur le chiffre d’affaires. Le taux d’effort maximal à respecter, sans quoi le commerçant aura du mal à payer ses autres charges et à dégager un bénéfice, est généralement de 8 % à 10 %. Pour certaines activités comme la restauration, il ne doit pas dépasser 6 % à 7 %, quand le prêt-à-porter ou la bijouterie peuvent se permettre de monter jusqu’à 15 % du chiffre d’affaires. Les valeurs locatives à La Réunion sont globalement identiques, voir légèrement plus élevées que dans les métropoles hexagonales, mais nous avons une particularité de taille. Alors que, dans l’Hexagone, les grands ensembles immobiliers commerciaux sont propriétés d’investisseurs institutionnels, les centres commerciaux à La Réunion étaient jusqu’en 2017 uniquement propriétés des groupes de distribution. C’est toujours le cas pour une majorité d’entre eux, qui peuvent donc fixer le loyer entre la structure immobilière et la structure d’exploitation.

Au-delà du loyer de la surface commerciale, nous avons à La Réunion les loyers d’entrepôts les plus élevés d’Europe. […]Ainsi, un mètre carré au Port a une valeur locative deux fois plus élevée qu’un mètre carré à Marseille, 300 % plus forte qu’à Orléans ! Le coût logistique est nécessairement répercuté sur le client final, le consommateur. Cette question de la part immobilière (commerce et logistique) n’a, je crois, pas été posée par la commission d’enquête. Cependant, une baisse du coût immobilier logistique (lié à un développement de l’offre mise sur le marché) entraînerait nécessairement une baisse des prix de vente.

Des évolutions importantes chez les consommateurs

J’étais surpris, lors d’une récente visite des installations fret de l’aéroport, du nombre de colis qui arrivent quotidiennement à La Réunion : une moyenne d’environ 4 500 colis et 12 000 plis de petits objets en provenance principalement d’Asie. Ces biens de consommation courante (chaussures, vêtements, équipement de la maison, jouets, bijoux fantaisie, pièces automobiles, informatiques…) sont pourtant distribués localement par les enseignes. En achetant en direct, les ménages (peut-être aussi parfois les entreprises) font l’impasse du plaisir de l’achat immédiat qui est remplacé par le souhait d’économie. La notion de plaisir étant intiment liée aux achats, le frisson du coup de cœur vitrine a été remplacé par celui de l’unboxing, phénomène sur les réseaux sociaux qu’on peut traduire en français par la satisfaction de l’expérience du déballage, de la découverte d’un produit commandé sans avoir été vu. À l’image du changement initié dans l’Hexagone il y une dizaine d’années, la distribution commerciale de demain à La Réunion ne sera donc plus uniquement en boutique, mais à travers toute une chaîne logistique, aéroportuaire et urbaine. Le phénomène des « dark store », du « clic & collect », les enjeux de logistique urbaine commencent à être abordés localement et seront certainement au cœur de nos pratiques immobilières de demain.

Je me souviendrai toujours de mon premier plein de courses il y a 15 ans à Jumbo Sacré Cœur. Je fus frappé de découvrir que ce passage obligé au centre commercial n’était pas toujours, pour ceux autour de moi, une corvée, mais un lieu de balade, de rencontres, un passe-temps. Les loisirs indoor ou les offres culturelles étaient nettement moins nombreux à l’époque et ce centre commercial, comme d’autres, servait de lieu de sortie. Avant de vivre définitivement ici, je venais régulièrement en vacances et la première balade qui m’était proposée était l’Hyper Crack de Canabady ! Mais les modes de consommation et les attentes des Réunionnais évoluent. Les dépenses liées à la culture et aux loisirs ne cessent de croître depuis la fin des années 2000. Combien d’ouvertures depuis 15 ans de loisirs indoor et outdoor : salles de sport, escape games, laser games, jeux d’enfants, accrobranche, réalité virtuelle, paddle tennis, tyrolienne… la liste est infiniment longue. De surcroît, à La Réunion peut-être plus qu’ailleurs, pratiquer une activité sportive ou de loisirs est vu comme une opportunité de passer du temps avec des proches, de tisser ou renforcer des liens d’amitié ou des liens familiaux. Ce temps passé et cet argent dépensé, deux éléments non extensibles ou multipliables, ne le sont donc pas (ou moins) dans le commerce.

Une modification importante de la règlementation

Le développement du parc immobilier commercial de La Réunion connaît un coup d’arrêt important. Tout d’abord parce que nous sommes déjà extrêmement bien dotés et que les habitudes de consommation évoluent. Au-delà des aspects marchés, le coup de frein vient également des aspects règlementaires. Récemment, deux évolutions majeures, et passées un peu inaperçues, ont pourtant été mises en application. Tout d’abord, la « loi ZAN » (Zéro artificialisation nette des sols) a été mise en place. Elle vise à atteindre une réduction de moitié du rythme de l’artificialisation des sols d’ici 2031, afin d’atteindre l’objectif de ZAN en 2050. Cette loi doit être prise en compte dans l’ensemble des documents d’urbanisme de La Réunion : SAR à l’échelle régionale (actuellement en révision), SCOT des intercommunalités et PLU des communes. Des choix d’urbanisation, sur un territoire où le foncier est rare et cher, convoité par tous (industrie, agriculture, habitat…), vont donc être faits pour être en conformité avec la loi. La deuxième évolution majeure vient de la loi Climat et Résilience qui interdit de principe les nouvelles surfaces commerciales. Quelques dérogations ont été prévues en lien avec la politique urbaine et environnementale, comme la conversion des friches ou la revalorisation des centres-urbains. De fait, il est très fortement probable que les dernières créations d’importantes surfaces commerciales à La Réunion (E.Leclerc La Réserve ou retail park du Sacré-Cœur) ne seraient plus possibles aujourd’hui.

Un peu de prospective

Une partie des locaux commerciaux construits dans les années 1970-1980 vont atteindre leur niveau d’obsolescence. Sans investissements lourds, ils viendront, avec certaines boutiques de quartiers résidentiels ou ruraux, augmenter le taux de vacance commerciale. Une reconversion des usages doit dès à présent être envisagée pour répondre aux besoins et enjeux actuels : loisirs, activités artisanales, logistique du dernier kilomètre…

Malgré le développement du commerce électronique et l’évolution des attentes des consommateurs et des modes de consommation, le territoire aura toujours besoin de commerces. Ils animent les quartiers, offrant aux consommateurs plus qu’un lieu d’achat : une expérience sensorielle, une respiration autour d’un sourire ou bien encore d’une impulsion plaisir. Mais pour rester attractif, le commerce physique devra proposer une expérience d’achat renouvelée, mêlant prix, produit et plaisir.

Le parc d’immobilier commercial ne devrait donc plus progresser de façon significative, mais se transformer et se renouveler. Des défis passionnants pour l’ensemble des acteurs de l’immobilier et de l’aménagement du territoire !

(*) Vincent Le Baliner : Vincent Le Baliner est le gérant d’Inovista, société de conseil en immobilier d’entreprise à La Réunion et Mayotte. Via ses différentes branches d’activité (commercialisation, gestion d’immeubles et études), il délivre régulièrement une vision fine et projective des enjeux économiques et immobiliers des territoires.