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Afrique

L’ANNÉE 2021 EN AFRIQUE : Bilan et perspectives pour 2022

L’année 2021 a vu se dérouler nombre d’élections, notamment en Guinée et Côte d’Ivoire. Toutes n’ont fait que confirmer les rapports démographiques, les peuples les plus nombreux l’emportant sur les moins nombreux, ce que j’ai défini jadis comme l’« ethno-mathématique électorale ».

Comme en 2020 et comme auparavant en 2019, durant l’année 2021, la conflictualité africaine a concerné les mêmes pays, les mêmes régions, à savoir la Libye, le Sahel, la Corne, l’Afrique centrale, la région des Grands Lacs et le Mozambique. La tension est aussi fortement remontée entre le Maroc et l’Algérie, cependant que l’Éthiopie a refait l’actualité avec la question de la sécession du Tigré. 

L’anarchie libyenne et la tension algéromarocaine 

En Libye, à la fin de l’année 2021, en dépit de tous les discours, la réalité était celle d’une partition. Replié en Cyrénaïque après avoir échoué à s’emparer de Tripoli, le général Haftar, soutenu par l’Égypte et les Émirats arabes, contrôlait les terminaux pétroliers du golfe de Syrte, cependant qu’à Tripoli, le Gouvernement d’union nationale constitué le 19 janvier 2016 sous les pressions de l’ONU et dirigé par Fayez el-Sarraj n’avait survécu que grâce à l’intervention militaire turque. À la fin du mois de décembre 2021, des élections devaient se tenir afin de mettre fin à la décennie de chaos ayant suivi le renversement du colonel Kadhafi. Elles ont été reportées à 2022. 
En Algérie, le « Système » fut sauvé par la covid-19 qui mit un terme aux immenses manifestations du Hirak, mais la crise demeurait. La situation sociale catastrophique et le chômage abyssal faisaient que la jeunesse, ancrée dans une culture de survie, n’avait pour seul horizon que l’émigration vers l’Europe. En plus de cela, durant toute l’année 2021, les clans de janissaires ne cessèrent d’intriguer et de s’entre-déchirer, une trentaine de généraux étant emprisonnés.
L’« Algérie nouvelle » annoncée par le président Tebboune est de plus en plus apparue pour ce qu’elle est, à savoir le prolongement gérontocratique de l’Algérie de Bouteflika : âgés respectivement de 76, 77, 85 et 90 ans, le président Tebboune, le général Chengriha chef d’état-major, le général Benali Benali, chef de la puissante Garde républicaine, et Salah Goujil, président du Sénat, l’homme qui devrait assumer la période transitoire en cas de disparition du président, tous quatre approchent du terme de leur horloge biologique… 
Durant l’année 2021, la crise s’est encore exacerbée chaque jour un peu plus entre l’Algérie et le Maroc. Après avoir unilatéralement rompu ses relations diplomatiques avec ce dernier, puis après avoir interdit son espace aérien à ses avions civils et mis un terme au projet de gazoduc à destination de l’Espagne transitant par le Maroc, le discours guerrier algérien est encore monté d’un niveau après la destruction de deux camions algériens par un drone marocain. Des deux côtés, des troupes ont été massées sur la frontière. 
Le coeur du problème est la question du Sahara occidental, immensité arrachée au Maroc par la colonisation espagnole. Or, pour les Marocains, il s’agit de leur « Alsace-Lorraine », alors que les Algériens voudraient la création d’un « État saharaoui » qui leur soit inféodé, ce qui interdirait au Maroc de disposer d’un littoral de plusieurs milliers kilomètres depuis Tanger au nord jusqu’à la frontière mauritanienne au sud. 

 

Entre jihadisme « universaliste » et jihadisme « ethnique »

Le « Système » algérien qui sait que ses jours sont comptés, a besoin d’un dérivatif nationaliste. Comme en 1963 quand la « guerre des Sables » lui avait  permis d’éviter la sécession de la Kabylie par la désignation d’un ennemi commode, le Maroc. En 2022, le risque est que, à force de durcir le ton et de tenir des discours guerriers, un point de non-retour finisse par être atteint.
Dans la bande sahélo-saharienne (BSS), durant l’année 2021, des conflits récurrents et résurgents, surinfectés par le jihadisme et le narcotrafic, ont continué à ravager une région sinistrée par sa démographie. Durant l’année 2021, la nouveauté fut l’exacerbation du conflit entre l’EIGS (État islamique dans le Grand Sahara), rattaché à Daech, et les groupes se réclamant de la mouvance Al-Qaïda, dont celui d’Iyad ag Ghali associé aux services algériens. La cause de la rupture entre l’EIGS et Al-Qaïda, est que le second privilégie l’ethnie (Touareg et Peul) aux dépens du califat régional.
Au nord Mali, durant l’année 2021, les rapports de force locaux ont changé en profondeur car ses « émirs » algériens ayant été tués par Barkhane, Al-Qaïda-Aqmi n’est maintenant plus localement dirigée par des étrangers, mais par le Touareg ifora Iyad Ag Ghali dont les motivations sont d’abord ethno-nationales et qui est soutenu par Alger. 
Au Macina, dans la région dite des « Trois frontières », au Liptako et dans le Soum, le conflit est ancré sur une fraction de l’ethnie des Peuls. Or les jihadistes cherchent à utiliser l’implantation transnationale de ces derniers pour étendre leurs actions terroristes à tout le Sahel et à la région
soudanienne.
Quant au Burkina Faso, dernier verrou avant le couloir d’accès menant aux pays côtiers, dont la Côte d’Ivoire, il s’est trouvé être de plus en plus le coeur de l’action des groupes armés terroristes (GAT) qui se sont implantés, d’abord dans la Région du Nord et dans la Province du Soum, limitrophe du Mali. Puis, peu à peu, la contagion s’est étendue aux Régions du Sahel à forte population peul. 

Le baril de poudre péri-tchadique et des Grands Lacs 

Dans la région péri-tchadique, l’année 2021 a vu le retour en force des deux branches de Boko Haram. Au Cameroun, la partie anglophone située dans le sud-ouest du pays a vécu une situation d’insurrection sécessionniste. Dans L’extrême-nord du Cameroun, à proximité des zones d’implantation de Boko Haram, l’opposition de fond entre l’islam peul dominant et l’islam Kirdi, nom générique donné aux populations noires islamisées par les Peuls au XIXe siècle, n’a cessé de s’accentuer.
En Centrafrique, rien ne semble pouvoir mettre un terme à une guerre ethnique et crapuleuse menée là encore sous couvert religieux. L’année 2021 a vu le pays connaître une évolution de type « libyen » avec une guerre de tous contre tous, les milices ethno-tribales vivant de la mise en coupe réglée des richesses du sous-sol.
En RDC, en Ituri, région du lac Albert, l’année 2021 a vu se dérouler une féroce guerre ethnique déclenchée par les Lendu. Ainsi, deux décennies après l’opération française Artémis, en dépit de la présence de 16 000 casques bleus et après les procès de chefs miliciens impliqués dans les massacres des années 2000 devant la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye, tout a donc recommencé au coeur d’une région hautement crisogène en contact avec les foyers embrasés du Soudan du Sud et de la RCA.
 

L’Éthiopie a renoué avec la guerre civile à la suite de la quasisécession du Tigré.
L’Éthiopie a renoué avec la guerre civile à la suite de la quasisécession du Tigré.  ©Droits réservés
 

La Corne ou l’emboîtement des crises

Le Soudan du Sud n’est pas parvenu à dépasser l’opposition entre Dinka et Nuer. Cette guerre civile incessante ne doit pas faire oublier que le contentieux territorial et pétrolier entre les deux Soudan n’a pas été réglé et que la guerre peut donc reprendre à tout moment. Le Soudan du Nord a connu des événements qui sont l’exacte répétition de ce qui s’était passé en Égypte entre 2011 et 2013. Ici, en 2019, face à une énorme contestation populaire, l’armée laissa cette dernière chasser du pouvoir le général Omar el-Béchir. Tout en demeurant maîtresse du jeu à travers la création d’un conseil de souveraineté présidé par le général al-Burhane et d’un gouvernement de transition composé pour moitié de militaires et de civils présidé par Abdallah Hamdok. L’armée laissa ensuite pourrir la situation, puis dans la nuit du 24 au 25 octobre, le général al-Burhane prit un pouvoir qu’il exerçait déjà largement. L’année 2022 nous dira si la solidité de l’armée soudanaise est à l’image de l’armée égyptienne. 
L’Éthiopie a quant à elle renoué avec la guerre civile à la suite de la quasi-sécession du Tigré. Cette guerre est une menace gravissime pour la stabilité de toute la Corne en raison des apparentements ethniques transfrontaliers. De plus, l’Éthiopie est sous la menace d’une intervention aérienne égyptienne en raison de la poursuite des travaux hydroélectriques qui vont faire baisser le débit du Nil, ce que l’Égypte ne pourra pas accepter. Le nord du Mozambique est quant à lui toujours secoué par une guérilla islamiste dont les ramifications s’étendent jusqu’en Somalie.

Bernard Lugan


L’auteur

Historien français spécialiste de l’Afrique où il a enseigné durant de nombreuses années, Bernard Lugan est l’auteur d’une multitude d’ouvrages dont une monumentale Histoire de l’Afrique. Parmi les plus récents, on peut citer Mythes et manipulations de l’histoire africaine, L’Atlas historique de l’Afrique des origines à nos jours et Les guerres du Sahel des origines à nos jours. Il a été professeur à l’École de guerre, à Paris, et a enseigné aux écoles de Saint-Cyr-Coëtquidan. Il a été conférencier à l’Institut des hautes études de défense national (IHEDN) et expert auprès du Tribunal pénal international pour le Rwanda ONU (TPIR). Il édite par Internet la publication mensuelle L’Afrique Réelle.

Prévoir les conflits africains de demain ?

Aucun des conflits en Afrique ne semble en voie de résolution à courte échéance. Aux conflits inscrits dans la durée peuvent à tout moment s’ajouter des affrontements ethniques dont l’éclatement se fera à l’occasion de crises politiques étatiques ou économico- sociales. Il est ainsi possible de mettre en évidence les tensions liées à l’ethnocratie guinéenne, à la rupture de la tectonique ethnique ouest-africaine, aux menaces d’éclatement de la RDC, etc. De nombreux autres foyers potentiels de conflictualité existent. Dans les années à venir, la question de l’enclavement de l’Éthiopie sera au centre de la géopolitique de la Corne avec en corollaire une question essentielle : entre l’Éthiopie et l’Érythrée, la guerre est-elle inévitable ? Le cas de l’Afrique du Sud devra être suivi avec attention car la nation « arc-en ciel » risque de plus en plus d’apparaître comme une « nation-grenade », s’il n’est pas mis un terme au naufrage économique qui pourrait déboucher sur un chaos social, donc racial. Au nord du continent, la contagion déstabilisatrice libyenne s’exercera encore durant plusieurs années. Quant à l’Algérie, la crise latente qui la mine risque de se transformer en révolution avec toutes les conséquences régionales qu’aurait un tel événement. 

De nouveaux facteurs crisogènes

De nouvelles conflictualités vont apparaître. Certaines sont déjà identifiées. Elles sont liées à la compétition pour les ressources alimentaires et en eau et elles découlent d’une démographie démentielle conduisant directement à la fois au suicide continental et à des guerres. D’ores et déjà, la question se pose de savoir si une guerre pour le Nil est susceptible d’éclater dans la mesure où l’Égypte va se trouver étranglée par les barrages éthiopiens, ougandais et soudanais du Sud en cours de construction ou en projet. Les conflits futurs éclateront également à propos des ressources pétrolières. Le pétrole du lac Albert, et plus généralement celui du bassin pétrolier du rift, va donner naissance à des tensions interétatiques comme c’est le cas entre l’Ouganda et la RDC. Pour ce qui est de l’offshore, un contentieux oppose le Ghana à la Côte d’Ivoire et le Gabon à la Guinée équatoriale. Quant au triangle du Canal de Mozambique, il va devenir une zone hautement convoitée en raison de ses immenses réserves en hydrocarbures. La nouveauté est que, alors que les conflits passés n’avaient pas de causes économiques, ceux de demain en auront.