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Sahel

Le chaos découle de l’ingérence franco-otanienne en Libye

Après le Mali, le Nigeria et le Niger sont à leur tour devenus la cible des islamistes. La gangrène s’étend donc à tout le Sahel. Il fallait s’y attendre…

Le 14 janvier 2013, dans un communiqué publié sur le blog de « L’Afrique Réelle », j’écrivais : « La situation malienne cache l’incendie qui est actuellement en train de se développer dans la zone péri tchadique. Le chaos en retour se fait en effet sentir dans tout le sud de la Libye, cependant que la contagion n’est plus qu’une question de temps au Tchad et au Darfour, avec le risque de voir un continuum fonda mentaliste s’éta blir avec les islamistes de Boko Haram du nord Nigeria (1). Quant au sud de la Tunisie, la contamination y a largement commencé. » Il importe de le redire à ceux dont la mémoire est courte : tout découle de cette er reur majeure que fut l’ingérence franco-otanienne dans la guerre civile libyenne. Non pas naturellement que le problème soit né de l’élimination du colonel Kadhafi par la France de Nicolas Sarkozy, mais parce que son renversement a libéré les forces nocives qu’il contrôlait ou qu’il aurait pu aider à contrôler. Le colonel avait en effet une politique saharienne, pas ses successeurs qui sont des hommes du littoral médterranéen et pour qui le désert est un monde étranger et hostile. Nicolas Sarkozy et son ami BHL peuvent donc être remerciés par ces islamistes auxquels ils ont offert une base d’action pour le moment inexpugnable. Grâce à eux, le « Sahélistan », fantasme hier, est peu à peu devenu une réalité.

Des zones soustraites à l’autorité de l’état Nigerian

Ceci étant, quelle est la situation aujourd’hui sur le terrain ? À quels développements pouvons-nous nous attendre au moment où, en plus du Mali, le Nigeria et le Niger sont désormais directement touchés ? Le front islamiste s’est donc déplacé depuis le Mali vers la région tchado-nigeriane où les jihadistes bénéficient d’un continuum ethno-religieux transfrontalier favorable. La tache fondamentaliste qui y grandit va être autrement plus difficile à effacer que celle du Mali puisque des parties importantes des régions du nord Nigeria sont ac tuellement soustraites à l’autorité de l’État.

– Dans le nord du Nigeria, la région Nigeria-Cameroun-Tchad est ainsi de venue un véritable sahélistan échappant au contrôle des autorités et où le mouvement fondamentaliste Boko Haram a quasiment pris le contrôle de plusieurs États. Dans trois d’entre eux, le Borno, le Yoba et l’Adamawa, frontaliers du Niger, du Tchad et du Cameroun, nous sommes face à une situation de guerre ; l’état d’urgence y a été proclamé et le couvre-feu décidé du crépuscule à l’aube. Le 16 mai, l’armée fédérale y a lancé une offensive contre les combattants de Boko Haram qui tiennent des zones entières. Or, la présence de l’armée, vue comme une force d’occupation, entraîne représailles et radicalisation. Boko Haram (littéralement : l’éducation occidentale est un péché) se fond, se dilue dans les populations et, quand cela est nécessaire, ses combattants se réfugient au Niger, au Cameroun et au Tchad où ils disposent de soutiens ethniques. Boko Haram est en effet à recrutement indigène, pas les forces fédérales qui sont le plus souvent étrangères à la région et c’est pourquoi les populations ne collaborent pas avec elles.

– Le Niger vient d’être durement frappé par deux attentats qui ont fait plusieurs dizaines de victimes. Le terrorisme n’y est pas une nouveauté : le 17 janvier 2011, deux jeunes Français y avaient ainsi été enlevés et, au mois de septembre 2012, 7 employés d’Areva le furent à Arlit. Le Niger est un pays aussi vaste que pauvre. Il partage près de 3 000 km de frontière poreuse avec le Mali à l’Ouest, le Nigeria au Sud et la Libye au Nord. Pour garder ces immensités, le pays dispose d’une petite armée de 12 000 hommes aux capacités « inégales ».

La situation régionale est claire : l’intervention militaire au Mali, qui était une nécessité et qui fut une réussite, a repoussé le problème dans les pays voisins sans régler les deux grandes questions qui se posent.
L’une est militaire, l’autre politique :

1) Militairement, sans prise de contrôle du sanctuaire islamiste qu’est devenu le désert libyen, rien ne pourra être réglé. Or, comme la Libye n’existe plus comme État et comme les factions qui s’y disputent le pouvoir n’ont ni la volonté ni les moyens de bouter les islamistes hors du pays, à moins d’une recolonisation par les Européens, les terroristes ne sont pas à la veille d’y perdre leurs bases. D’autant plus que la nouvelle Libye, plus « arabe » que saharienne, se désintéresse de son sud où, dans les régions de Sebha et de Koufra, les combats meurtriers entre Toubou et Arabes sont permanents. Comme la moitié de l’ethnie Toubou vit au Tchad, où elle est connue sous le nom de Goranes, les actuels évènements risquent d’y rallumer par contagion une autre guerre, interne celle là, entre les Toubou-Goranes et les Zaghawa qui sont au pouvoir à N’Djamena. Pour le moment, le pouvoir du président Idriss est solide, mais la question de sa succession se posera nécessairement un jour avec toutes les conséquences régionales qui en découleront.

2) Politiquement, sans règlement global de la question Nord-Sud dans tout le Sahel, les guerres ne cesseront pas car, comme je l’ai déjà dit, le fondamentalisme islamique n’est pas la cause de la septicémie sahélienne, mais la surinfection d’une plaie ne pouvant être refermée que par le retour au réel. Or, ce réel qui est ethnique ne peut être pris en compte sans une profonde remise en question des dogmes auxquels nous sommes attachés. À l’universalisme nive – leur et abstrait doit ainsi succéder l’ethno-différentialisme qui permet de comprendre que vouloir faire vivre dans les mêmes États les agriculteurs noirs sédentaires du Sud et les nomades berbères ou arabes du Nord est une utopie crisogène. D’autant plus que la démocratie africaine étant d’abord une ethno-mathématique, elle donne automa quement le pouvoir aux plus nombreux, en l’occurrence les Noirs sudistes, ce que les nordistes ne peuvent accepter. Or, pour ne prendre que le cas du Mali, rien n’y a été décidé au sujet de la nécessaire réorganisation administra tive du pays, les responsables français ayant été incapables d’imposer à Bamako un véritable fédéralisme ou, mieux, un confédéralisme.