Le Crédit Agricole redoute un blocage du marché
Leader du crédit à l’habitat à La Réunion, le Crédit Agricole a pris la parole début juillet pour dire son inquiétude : les prix et les taux de crédit élevés risquent de bloquer durablement le marché immobilier.
Début juillet, la direction régionale du Crédit Agricole a convié la presse pour lancer un cri d’alarme inhabituel de la part d’un établissement financier leader sur le marché local du crédit à l’habitat. « Nous n’avons jamais vu une hausse aussi rapide des taux de la Banque centrale européenne, l’accès au crédit devient plus difficile et plus onéreux pour les banques, a résumé d’entrée Didier Grand, directeur régional. La hausse des taux réduit la solvabilité des clients, l’accès à la propriété devient plus difficile pour les plus modestes, même les Réunionnais qui ont de l’épargne ne peuvent plus emprunter. Les logements sociaux ne vont plus se libérer, on est en train de bloquer la machine, je suis surpris que les politiques ne s’emparent pas du sujet. »
Les établissements prêteurs se heurtent non seulement à la hausse des taux et du prix des biens, qui poussent les emprunteurs à revoir leurs projets à la baisse – à investissement égal, on achète 25 m² en moins – mais aussi à la rigidité des critères du Haut conseil de stabilité financière. Ce dernier interdit les prêts générant une situation d’endettement supérieure à 33 % des revenus de l’emprunteur. Si cette règle prudentielle semble de bon sens pour les ménages à bas revenu, elle décourage nombre de candidats au crédit disposant de revenus intermédiaires, dont le reste à vivre serait de niveau suffisant même avec un taux d’endettement supérieur à 33 %. Elle contrarie encore plus les projets sur les territoires où les prix de l’immobilier sont élevés, comme La Réunion.
Si, depuis l’année dernière, la plupart des banques de la place ont fortement réduit leur activité de crédit à l’habitat, le Crédit Agricole maintient son effort, avec une baisse limitée à 10 %. « Depuis des mois, nous perdons de l’argent sur les crédits immobiliers, révèle Didier Estèbe, directeur général adjoint. Nous représentons 40 % du marché, nous avons fait le choix de la responsabilité et de l’optimisme, avec une vision à long terme. Si nous avions arrêté de prêter, l’impact de ce choix aurait été trop important. »
La « banque verte », également active dans les transactions immobilières depuis dix ans à travers l’agence STIB, « continue à distribuer le prêt à taux zéro de l’État, contrairement à d’autres », insiste Didier Grand. « Financer de l’habitat, c’est créer de la richesse », rappelle Lionel Barrau, directeur du développement, alors que la baisse du nombre de logements mis en chantier et de permis de construire délivrés fait craindre une grave crise à venir dans le secteur du bâtiment.
« Dans la situation actuelle, nous jouons notre rôle d’amortisseur social, conclut Didier Estèbe. Mais il faut faire vite. Chaque mois qui passe contribue à enrayer la machine. »
Hausse des taux de crédit : jusqu’à quand ? : La hausse des taux de crédit est, comme le retour de l’inflation, une expérience douloureuse pour les générations qui n’ont pas vécu les premières crises pétrolières des années 1970 et le marasme des années 1980. Est-ce un épisode passager, appelé à se terminer bientôt ? « La baisse des taux, je n’y crois pas à court terme », commente Olivier Paris, fondateur de l’Observatoire de l’immobilier. « On arrive à l’asymptote, mais les taux ne baisseront pas avant la fin 2024 », estimait pour sa part le directeur régional du Crédit Agricole, début juillet. Du côté de la Banque centrale européenne (BCE), l’heure n’est pas « à la fin du cycle de resserrement monétaire » et de nouvelles hausses des taux directeurs sont attendues pour les prochains mois. De passage à La Réunion début juillet, Jean-Luc Tavernier, directeur général de l’Insee est resté très prudent sur les évolutions à court terme du coût de l’argent. « Si la désinflation se confirmait, elle pourrait arrêter l’augmentation des taux », a-t-il seulement déclaré sur le sujet.