Le Japon ne veut pas laisser le terrain de la coopération à la Chine
La troisième puissance économique mondiale a fait de son Agence de coopération internationale (JICA) un instrument stratégique de rayonnement et a relancé ses actions à Madagascar. Elle organise pour la première fois, les 27 et 28 août, son sommet Japon-Afrique sur le sol africain, au Kenya.
Créée en 2003, l’Agence de coopération internationale du Japon (en anglais : Japan International Cooperation Agency – JICA) est chargée de coordonner l’aide publique au développement (APD) nippone. Cette institution administrative indépendante est basée à Tokyo. Moins connue que ses homologues comme l’Agence française de développement (AFD) ou l’United States Agency for International Development (USAID), elle disposait en 2015 d’un budget de 1 114 milliards de yens (9,94 milliards d’euros), à comparer aux 8,3 milliards d’euros du groupe AFP (dons, prêts, Proparco). La coopération japonaise compte une centaine de bureaux répartis dans le monde dont 26 antennes basées en Afrique. Les programmes de la JICA y étaient évalués, en 2014, à 116 milliards de yens (1,03 milliards d’euros). Le Kenya avec 15,6% des programmes, la Tanzanie (13,2%) et le Mozambique (8,7%) formaient le trio de tête des États africains soutenus par la troisième puissance économique mondiale.
La stratégie de la JICA s’articule autour de trois axes : une aide bilatérale sous forme de coopération technique, des prêts (en particulier dans les infrastructures) et des dons. Ses objectifs sont d’assurer des perspectives économiques robustes et durables, de créer une société inclusive et résiliente et de permettre la stabilité et la paix.
Le bureau basé à Madagascar chapeaute également celui de Maurice et des Comores. Il avait en charge un total de financements évalué à 15,72 millions de dollars en 2014.
SOUTIEN À LA RIZICULTURE À MADAGASCAR
« La JICA est présente dans la Grande île depuis 1969. Elle appuie financièrement et techniquement le développement de l’île, explique Akira Nishimoto, représentant résident et chef de la mission de l’aide publique au développement japonaise basée à Madagascar. Mais notre aide a été suspendue suite à la crise politique de 2009 et elle n’a repris que depuis l’an dernier. » Les secteurs prioritaires de la JICA portent sur les questions de développement rural (75% des 22 millions de Malgaches vivent dans les zones rurales), social (amélioration des systèmes d’alimentation en eau potable) et économique. Ainsi, en coordination avec son programme « Coalition pour le développement rizicole en Afrique (CARD), qui a pour but de doubler la production rizicole en Afrique en dix ans (de 14 millions en 2008 à 28 millions de tonnes à l’horizon 2018), la JICA soutient la « révolution verte » prônée par le gouvernement malgache. On estime que 650 000 Malgaches vivent en insécurité alimentaire. Aussi, la coopération japonaise a mis en œuvre de 2009 à 2014 un projet d’amélioration de la productivité rizicole sur les Hautes terres centrales, le PAPRIZ. Il s’agissait d’un échange de technologies et de savoir-faire. Les résultats ont été spectaculaires puisque, dans la plupart des régions pilotes, le rendement a doublé. Le coût de ce programme s’élevait à 7 millions de dollars et il entame aujourd’hui sa deuxième phase.
ACCÈS À L’EAU POTABLE, ROUTES, PORT ET AÉROPORT
Le Japon a décaissé, de 2008 à 2013, 3,4 millions de dollars dans la prévention du VIH-SIDA. La JICA a aussi, sur la même période, déboursé 5 millions de dollars dans le projet RANOFIDIO pour améliorer la gestion des systèmes d’approvisionnement en eau potable et les comportements en matière d’hygiène dans la région Atsimo Andrefana (sud-ouest de Madagascar). Grâce à ce programme, la population a abandonné l’eau des rivières et des puits insalubres pour des pompes et des robinets. En 14 mois, la consommation d’eau est passée de 11 mètre cubes à 35 mètres cubes par jour.
La JICA a financé, en 2007, la construction d’un « by pass » entre les routes nationales 7 et 2. Ce programme a coûté 32 millions de dollars. Autre projet financé par le coopération japonaise : une étude de faisabilité, pour un coût de 3 millions de dollars, pour le développement du port de Toamasina. Projet d’autant plus stratégique qu’il accueille 80% des marchandises rentrant à Madagascar. « Il est également envisagé la reprise du financement des travaux d’extension de l’aéroport international d’Ivato », indique Akira Nishimoto.
À MAURICE : SOUTIEN À L’ENVIRONNEMENT ET À LA PRÉVENTION DU CHANGEMENT CLIMATIQUE
Dans le cadre de sa coopération technique, la JICA soutient à Maurice un total de 970 millions de yens (8,67 millions d’euros) de programmes portant sur la gestion des glissements de terrain, la protection et la réhabilitation des zones côtières, ainsi que des campagnes de sensibilisation dans ces domaines (projet qui se termine en juillet 2016). Autre programme en cours depuis 2010, le projet d’assainissement de Grand Baie. Évalué à 7 milliards de yens (62 millions d’euros), il est financé par un prêt. Mais le point d’orgue de la coopération japonaise à Maurice est la construction d’un nouveau radar météorologique, de type S-Band Doppler, à Trou aux Cerfs (au centre de l’île). L’ancien radar, qui date de 1979, n’est plus fonctionnel depuis 2002. Financés par une subvention de 1,15 millard de yens (10,28 millions d’euros), les travaux débuteront en août 2016 et devraient être terminés en mars 2018. « La maintenance, la formation technique et le transfert de technologies seront assurés dans le cadre de notre programme de coopération technique qui s’étend de 2015 à 2017. » Le montant évalué de ce soutien est de 100 millions de yens (894 678 euros).
AUX COMORES : FORMATION DE 600 PÊCHEURS
Aux Comores, la coopération de la JICA a débuté dans les années 80. Elle se concentre principalement dans les services médicaux (prévention des maladies infectieuses, santé maternelle et infantile…), le développement de la communauté agricole et de la pêche, l’éducation et le programme de formation professionnelle. Dans le cadre de sa coopération technique, le Japon a renforcé les capacités de l’École nationale de pêche. Ce programme s’est étalé de 2011 à 2014. Il a permis de former 600 pêcheurs aux enjeux de l’utilisation sécurisée des ressources halieutiques du pays.
LE SOMMET JAPON-AFRIQUE VA MISER SUR LE SECTEUR PRIVÉ
Plus de vingt ans après l’organisation, en 1993, de la première TICAD (le sommet Japon-Afrique), l’Afrique a bien changé. Du continent sans espoir, tant décrié par le magazine « The Economist », sa croissance annuelle moyenne de 5% aiguise aujourd’hui toutes les convoitises tant des pays développés que des puissances émergentes. Et cela même si la chute des cours du pétrole et des matières premières a impacté durement certaines économies africaines, comme celle de l’Angola… Organisée par le Bureau du conseiller spécial des Nations unies pour l’Afrique, le gouvernement du Japon, l’Union africaine et la Banque mondiale, la 6ème TICAD se tiendra pour la première fois en Afrique, les 27 et 28 août, à Nairobi, au Kenya. Cette rencontre intervient au cours du déploiement du plan d’action de Yokohama (2013-2017) dans lequel le gouvernement japonais s’engage à appuyer la croissance africaine avec 32 milliards de dollars sur cinq ans. Surtout, la TICAD VI mise sur la participation du secteur privé pour investir dans des projets en Afrique. Plus de 100 entreprises japonaises, dont beaucoup de PME, qui constituent 99,7% du tissu économique nippon, sont attendues à ce forum. Elles pourront explorer des oppor-tunités car le pays du soleil levant reste vulnérable à la situation éco-nomique mondiale. La TICAD représente pour lui une excellente opportunité. Mais le secteur privé japonais présent en Afrique est majoritairement impliqué dans l’extraction, la construction d’infrastructures et l’exportation de voitures ou de technologies. Il a du mal à rivaliser avec la Chine devenue le partenaire privilégié de l’Afrique.
JAPON CONTRE CHINE : LA COURSE À L’INFLUENCE
La rivalité historique entre les deux grandes puissances asiatiques se retrouve jusque sur le continent africain. Elle tient d’abord à la véritable boulimie de ces deux pays pour les matières premières. L’appétit des Chinois pour le pétrole, le cuivre, le zinc et le platine africains est sans limite. Mais le Japon n’est pas en reste puisqu’il importe 100% du pétrole qu’il consomme, plus de 90% du gaz naturel et plus de 80%du charbon dont il a besoin. Alors que les échanges entre l’Afrique et la Chine se révélaient très marginaux en 2000, avec seulement 10 milliards de dollars d’échanges, ils se sont fortement accrus. Les échanges ont atteint aujourd’hui 200 milliards de dollars. Mais alors que Pékin investit massivement dans les infrastructures, Tokyo mise sur l’aide publique au développement. Et aujourd’hui, le Japon contribue le plus au financement de projets en Afrique. « Sur les 4,2 milliards de dollars que les pays asiatiques ont investi l’an dernier dans la réhabilitation des routes, l’adduction d’eau, le déploiement de réseaux d’assainissement et la construction d’oléoducs et de gazoducs, les Japonais ont apporté 3,5 milliards de dollars », précise un récent rapport de Linklaters, un cabinet d’avocats d’affaires qui fait référence en matière de conseil aux entreprises.