Le « Knowledge Hub » à la recherche d’un second souffle
Lancé il y a plus de dix ans, le centre de savoir mauricien propose des formations universitaires et professionnelles dispensées par de grosses institutions, en particulier françaises. Mais il n’a pas encore su attirer les poids lourds anglo-saxons capables de séduire les étudiants d’Afrique orientale.
« L’objectif est de générer d’ici dix à quinze ans (2030), un milliard de dollars de chiffre d’affaires (836 millions d’euros, 29,41 milliards de roupies), soit 10 % du PIB mauricien », assurait, très enthousiaste, Rajesh Jeetah en 2014. L’ancien ministre mauricien de l’Enseignement supérieur dévoilait alors son projet de faire de Maurice un Knowledge Hub (centre de connaissance) régional pour les États de l’océan Indien et de l’Afrique orientale et australe. L’ambition de l’île est d’autant plus légitime qu’entre 2000 et 2012, les effectifs de l’enseignement supérieur dans le monde ont doublé, passant de 100 à 200 millions ! Et d’ici 2025, il y aura 10 millions d’étudiants africains à former. Bref, un immense marché, car l’éducation est (aussi) une activité économique hautement lucrative. À preuve, aux États-Unis c’est même une branche économique à part entière. Chaque année, les étudiants étrangers injectent 21 milliards de dollars dans l’économie de l’oncle Sam.
Contruction de campus
La volonté de l’État mauricien d’investir dans ce secteur s’est concrétisée par la création en 2010 d’un ministère de l’Enseignement supérieur entièrement dédié à cette stratégie. Et des budgets ont été décaissés. En 2012, c’est de près de 810 millions de roupies (plus de 20 millions d’euros) qui ont été injectées dans le projet, dont une bonne partie a été investie dans la construction de campus.
Cette stratégie passe à la fois par l’accueil d’institutions d’enseignement étrangères et par l’arrivée d’étudiants venus du monde entier, mais en particulier d’Afrique.
Les principaux arguments avancés par l’île pour les séduire sont sa stabilité politique et économique (et donc la sécurité), sa proximité géographique avec le continent et son bilinguisme. L’absence de visa du fait de son appartenance au Marché commun de l’Afrique orientale et australe (COMESA), à la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) et à la Commission de l’océan Indien (COI) est aussi un argument fort – « l’humiliation ressentie par les enfants de cadres africains pour obtenir un visa étudiant pour Paris, mais surtout Londres, joue pour nous », glisse, cynique, un cadre du secteur.
Mais c’est surtout le faible coût des formations comparé aux études entamées en Europe qui séduit. La perspective d’obtenir à Maurice, à un coût estimé au final à 30 % inférieur au « prix français », un diplôme d’une institution reconnue internationalement apparaît pertinente… Maurice s’appuie sur l’Economic Development Board (EDB) – le guichet unique chargé de la promotion des investissements directs étrangers et des exportations – qui se substitue au BOI (Board of Investment), à Enterprise Mauritius, au Mauritius Africa Fund et à la Financial Services Promotion Agency (FSPA). Les institutions d’enseignement visées par l’EDB opèrent dans des secteurs qui répondent « aux besoins de Maurice mais aussi à ceux d’autres pays de la région », précise-t-on du côté de ce nouvel organisme qui cherche encore ses marques.
Pour Toriden Chellapermal, CEO de la MCCI Business School, les critères d’implantation d’université étrangères concernent autant les coût de la formation que la qualité des cours. Davidsen Arnachellum
Trois fois plus d’étudiants étrangers en dix ans
Autre institution chargée cette fois de séduire les étudiants : Study Mauritius. Créé, en février 2011, en s’inspirant de Campus France qui accompagne les étudiants étrangers souhaitant poursuivre leurs études supérieures dans l’Hexagone, ce guichet coordonne, avec les institutions locales d’enseignement tertiaire, les agents de recrutement et les ambassades (visas d’étudiant), les informations sur les programmes disponibles. Enfin, la TEC (Tertiary Education Commission, commission pour l’enseignement supérieur), travaille sur des projets d’implantation d’universités.
Cette stratégie porte ses fruits puisqu’on compte aujourd’hui dix institutions publiques chapeautées par l’État et 41 institutions d’enseignement supérieures étrangères. Et surtout, les arrivées d’étudiants étrangers ont triplé : passant de 566 en 2007 à 1 736 en 2016. Ces universités étrangères ont compris la nécessité d’internationaliser leurs formations. « C’est probablement la transformation la plus significative des systèmes d’enseignement supérieur de ces deux dernières décennies », précisait, en 2016, Bernard Ramanantsoa, le directeur général honoraire de la prestigieuse école de commerce HEC pour France Stratégie, le commissariat général à la Stratégie et à la Prospective. Quant à Didier Acouetey, le fondateur et président d’Africsearch – le principal chasseur de têtes pour l’Afrique -, il nous indiquait en 2017 qu’« avec l’arrivée d’université internationales en Afrique et surtout l’émergence d’écoles de management locales, les entreprises internationales (…) se rendent compte que de fortes compétences existent ici ».
Outre l’objectif économique, il s’agit aussi au final de promouvoir un « brain gain » (retour des cerveaux), voire une création de savoir local, plutôt qu’un « brain drain » (fuite des cerveaux). Cette question est stratégique pour Maurice car selon l’Organisation de coopération et développement économiques (OCDE), l’île serait au cinquième rang mondial (premier en Afrique) des pays les plus affectés par la fuite des cerveaux. Ce qui impacte durement la volonté de l’île de passer dans la catégorie des pays à hauts revenus à moyen terme…
Dans l’enthousiasme, on s’est malheureusement aperçu que malgré les contrôles, certaines universités étaient loin d’être des instituts reconnus. Pire, certaines n’avaient même pas toutes les accréditations nécessaires dans leur propre pays d’origine ! « On avait misé plus sur la quantité que sur la qualité », regrette un acteur connu du secteur. En réaction, les autorités ont alors retiré des permis d’opération. Et en 2014, avec le changement de régime politique, le ministère de l’Enseignement supérieur a été supprimé. Ce dossier est repassé sous le maroquin de l’Éducation et des Ressources humaines, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique. Autre preuve de la reprise en main de l’État, des rumeurs de remplacement de la Tertiary Education Commission (TEC) par une autre instance…
L’université de Middlesex accueille 1 000 étudiants, dont 60 % de Mauriciens, et des étudiants étrangers venus de 25 pays différents. DR
Les étudiants indiens en tête
Si l’offre s’est assainie, on s’aperçoit des conséquences de ces choix « hasardeux ». Ainsi, 29 % des étrangers inscrits dans les universités à Maurice, pour 2016-2017, sont… Indiens, suivis par les Sud-Africains (13,3 %) : deux États plutôt connus pour la qualité de leur enseignement. Le Nigeria est à la troisième place avec 8,4 % des effectifs. Madagascar avec 122 élèves ne pèse que 7 % du total, la France (il s’agit sans doute d’étudiants réunionnais et/ou mahorais, la TEC ne précise pas) 6,3 % (110), la Tanzanie 4,7 % (82 étudiants) et le Kenya 4,6 % (79). Et surtout, on note un net ralentissement des arrivées depuis 2014.
Pour relancer l’idée de centre régional de savoir, l’État s’appuie sur l’université de Maurice (UoM). Créée en 1965, c’est l’une des plus anciennes institutions de formation supérieure de l’île. Sur les 30 000 Mauriciens étudiant dans les institutions publiques, l’UoM en accueille 12 000. Ils ont le choix de 226 programmes dont 180 en 1er cycle (niveau licence) et 46 au niveau master (Bac+5). Ces enseignements se font essentiellement en anglais. Et l’UoM a accueilli 89 étudiants étrangers durant l’année universitaire 2016-2017.
La MCCI Business School compte 300 étudiants dont 30 % proviennent de l’étranger. Davidsen Arnachellum
Formations initiales et professionnelles
Autre institution publique : l’université des Mascareignes (UdM). Fondée en 2012, elle propose des diplômes bâtis sur les normes européennes LMD (licence-master-doctorat), reconnus à l’international. Elle propose, entre autres, des cours en banque et services financiers, en comptabilité et finance, en informatique industrielle et en génie civil.
Ces cours, bilingues (français/anglais), sont conçus en tenant compte des besoins économiques locaux et régionaux. Les frais de scolarité s’élèvent à 45 000 roupies (1 105 euros) par an pour les étudiants venant de la SADC et à 80 000 roupies (1 966 euros) pour les autres.
L’UdM accueille 94 étudiants internationaux venant des Comores, du Cameroun, de Madagascar, du Congo (Kinshasa), de Côte d’Ivoire, du Burundi et du Rwanda. Ils sont principalement attirés par le programme de gestion des ressources humaines et de banque et services financiers.
Outre la formation initiale, le centre de savoir vise aussi la formation professionnelle. Depuis 1985, la Business School de la Chambre de commerce et d’industrie de Maurice (MCCI) propose diverses filières allant du BTS (brevet de technicien supérieur, diplôme de niveau Bac+2), des licences et masters dans l’informatique, la gestion, le marketing, l’administration des entreprises, le tourisme ou le management international. L’école propose 15 formations. « Conçues avec le milieu professionnel, elles peuvent être suivies à plein temps ou à temps partiel. Il y a même possibilité de formations en alternance combinant insertion en entreprise et formation académique. Le financement de la formation est alors pris en charge par l’entreprise », précise Toriden Chellapermal, le Chief Executive Officer (CEO) de l’école. Celle-ci vient de lancer, en partenariat avec Factory – une école de cinéma et d’audiovisuel basée en France – un cours en audiovisuel.
Maurice compte dix institutions publiques chapeautées par l’État et 41 institutions d’enseignement supérieures étrangères. DR
Un secteur assaini et des offres diverses
La MCCI Business School compte 300 étudiants dont 30 % proviennent de l’étranger. Quant à l’entreprise mauricienne Analysis Institute of Management, elle représente le MBA délivré par l’université Paris-Dauphine et l’Institut d’administration des entreprises (IAE) de Paris. Destiné aux cadres de la région possédant un diplôme Bac+4 et justifiant d’au moins trois ans d’expérience professionnelle à un poste managérial ou une solide expérience professionnelle de dix ans, cette formation de haut niveau est axée sur les dernières techniques de gestion et fait la part belle au côté pratique.
C’est également un exemple concret de coopération régionale, puisque 35 % des participants proviennent de la région et le reste de Maurice.
En suivant les cours à Maurice, les étudiants déboursent moitié moins que s’ils devaient s’envoler pour Paris car ce sont les professeurs de Paris-Dauphine et de l’IAE (École universitaire de management) de Paris qui font le déplacement et assurent les seize mois de formation. L’école Vatel, qui possède le premier réseau mondial d’écoles spécialisées en management hôtelier, est présente à Maurice depuis 2009. Elle est aussi à Madagascar depuis 2014, à La Réunion depuis 2017 et au Rwanda depuis 2018…
L’école propose une formation initiale : Bachelor (Bac+3) et un master (Bac+5) pour devenir des cadres dirigeants de l’hôtellerie internationale, mais également un dispositif de « validation des acquis de l’expérience » (VAE). Ce mode d’acquisition d’un diplôme s’adresse aux personnes occupant (ou ayant occupé) des postes à responsabilités. Les managers non diplômés peuvent faire valoir leur expérience et présenter leur dossier à un jury. L’école délivre, non pas des diplômes, mais des titres établis par le ministère français du Travail, de l’Emploi et de la Formation professionnelle et enregistrés au Répertoire national des certifications professionnelles…
Les Indiens représentent le plus gros quota d’étudiants étrangers inscrits dans les universités à Maurice, soit 29 %. DR
Le privé se lance
Dans le sillage de la stratégie de Knowledge Hub, le groupe Médine, décide, en 2011, de s’orienter vers la création d’un pôle éducatif proposant des formations à haute valeur ajoutée. Il passe alors des accords avec des établissements majoritairement français, et surtout de très haut niveau, comme l’École centrale de Nantes (Top 10 des écoles françaises d’ingénieur), l’École supérieure des sciences économiques et commerciales (Essec, cinquième école de commerce au monde en 2017 selon le Financial Times), l’École nationale supérieure d’architecture (Ensa), Sup Info (dans l’informatique) et les universités Paris-Descartes et Panthéon-Assas. Regroupées sous l’ICSIA (International Campus for Sustainable and Innovative Africa), elles visent les étudiants africains et asiatiques mais également mauriciens. Les cours de ces écoles ont été adaptés et sont souvent bilingues. Depuis 2017, le groupe Medine a baptisé sa smart city Uniciti, rappelant la vocation fondamentale de ce projet immobilier : l’enseignement supérieur, d’où « Uni » pour université. La réalisation d’Uniciti a été planifiée sur vingt-cinq ans, avec un investissement total de 35 milliards de roupies (875 millions d’euros) et la création, à terme, d’au moins 6 000 emplois directs. Uniciti comprendra outre des salles de classes, dont des amphithéâtres, des logements pour étudiants, des équipements sportifs et des commerces. Tout un écosystème ! Uniciti va également intégrer une école d’animation.
Pour diversifier son offre, Medine a accueilli, en 2017, l’université britannique Middlesex, sa première institution d’enseignement supérieur anglophone. Présente à Maurice depuis 2010, l’université a quitté Vacoas pour Medine. Elle propose des cours allant de l’informatique à la psychologie, en passant par la comptabilité, la finance, les affaires, la publicité, les relations publiques, les médias et le droit.
Avec cette arrivée, la population estudiantine sur les deux campus de Flic-en-Flac et de Pierrefonds a atteint 1 700 étudiants (venus de 25 pays différents). « Nous ne comptabilisons qu’environ 25 % d’étudiants non mauriciens. Ce taux est passé à 35 % avec l’implantation de l’uni-versité du Middlesex », précise-t-on du côté de Medine Education. « Notre business model à moyen terme va porter sur une délocalisation progressive des formations vers Flic-en-Flac. Le site de Pierrefonds devenant, d’ici quatre à cinq ans, un incubateur. »
L’offre anglophone, la clé ?
L’ambition du groupe est d’atteindre, d’ici 2025, 5 000 étudiants avec 75 % d’étrangers et 25 % de Mauriciens. Selon un récent sondage auprès des étudiants, 94 % d’entre eux ont obtenu un emploi ou poursuivaient des études supérieures dans les six mois suivant l’obtention de leurs diplômes.
Autre institution de formation : l’African Leadership University (ALU). Le campus mauricien, qui a ouvert en 2015, est hébergé par le groupe Terra. C’est le premier des 25 campus prévus à travers toute l’Afrique ; celui du Rwanda a ouvert en 2017.
L’approche éducative d’ALU est très originale, elle se base sur la question du leadership et s’appuie sur un cursus avant-gardiste (cours de leadership en soi et des autres, en communication effective…) mais surtout par le réseau d’entreprises mécènes. Ces entreprises partenaires, qui opèrent en Afrique, prennent en charge, en partie, les frais de scolarité qui s’élèvent à 7 000 dollars par an (auxquels il faut ajouter 3 000 dollars pour le logement au sein du campus et encore 2 500 dollars – optionnels – pour les repas à la cafétéria), avec en échange la perspective d’embaucher ces étudiants à la fin de leur cursus.
Le campus mauricien accueille déjà 333 étudiants de 35 nationalités (dont deux Marocains). Douze étudiants mauriciens sont à cette école dont deux boursiers.
Des bourses, réservées aux étudiants mauriciens, sont proposées par CIM Finance à hauteur de 10 000 dollars. En contrepartie, ils s’engagent à travailler trois ans chez CIM Finance après leurs études. Quant aux étudiants étrangers, ils peuvent bénéficier de bourse de 2 000 dollars sur la base de leur dossier. Elles démarrent cette année et les résultats seront dévoilés en septembre 2018.
Malgré l’arrivée de Middlesex et de l’ALU, Maurice a besoin d’un vrai poids lourd du monde anglo-saxon capable de dynamiser les arrivées d’étudiants d’Afrique de l’Est.
L’université britannique de Surrey (classée 35e au Royaume-Uni et 247e mondiale selon le très réputé classement QS World University Rankings) envisage une implantation sur l’île. « Mais nous avons besoin d’une Essec (récemment classée troisième au classement mondial des masters en management par le Financial Times) anglo-saxonne, capable de concurrencer et surtout de compléter l’offre de cette prestigieuse école française », clame un haut cadre d’un groupe très impliqué dans le centre de savoir.
Dans le système universitaire français, il est possible d’obtenir des diplômes nationaux et des diplômes d’université. Il ne s’agit pas uniquement d’une différence de sémantique mais bien d’une différence fondamentale. Seuls les diplômes nationaux sont reconnus par toutes les universités, tandis que les diplômes d’université n’ont de valeur juridique que pour l’établissement qui les délivre. De fait, aucun diplôme d’université ne doit comporter l’appellation licence, master ou doctorat : « Seuls les diplômes nationaux peuvent porter le nom de baccalauréat, de licence, de master ou de doctorat », stipule l’article. 3 du décret du 8 avril 2002 relatif aux grades et titres universitaires et aux diplômes nationaux.
« Il s’agit de la création tout d’abord d’un pôle d’enseignement et à moyen terme d’un centre de recherche », explique le vice-chancelier de l’université de Maurice (UoM), Dhanjay Jhurry, en officialisant l’établissement d’un campus de l’université publique d’Arizona (UA) sur le site de Réduit. Il s’agit de la première collaboration entre une université mauricienne et américaine. L’UA proposera des cours de 1er et 2ème cycles (Bac+3, Bac+5) avec une possibilité de poursuivre des troisièmes cycles (doctorat).
Les programmes de l’UA vont de la cyber-sécurité à l’ingénierie électrique et informatique (qui complète le cours de l’UoM en ingénierie électrique et électronique), en passant par l’ingénierie en science et management, « bref des domaines porteurs pour notre économie », précise le patron de l’université mauricienne. « Toutes les formations déboucheront sur un double diplôme de l’UoM et de l’UA ».
Avec ces cours, l’UA et l’UoM visent le marché africain « mais également asiatique ». Outre la qualité des enseignements qui vont être dispensés, c’est surtout leurs coûts qui sont attractifs. Alors qu’ils s’élèvent à environ 35 000 dollars aux États-Unis, les étudiants payeront à Maurice un tiers de ce montant. « Pour assurer la pérennité de cette offre universitaire, il nous faut au minimum 25 étudiants ». Les cours devraient démarrer en août 2018.