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LE RÉUNIONNAIS HUGO LÉANDRI LÈVE 55 MILLIONS DE DOLLARS EN CALIFORNIE : Pour une révolution verte dans l’industrie du ciment

Fin avril, la start-up californienne Brimstone a convaincu de prestigieux investisseurs de financer son projet de fabrication de ciment décarboné. Elle a été créée par deux jeunes scientifiques de la « génération climat », dont le Réunionnais Hugo Léandri, âgé de seulement 26 ans.

Est-ce le début d’une incroyable success-story écologique ? Tout le monde a envie d’y croire, notamment à La Réunion, puisqu’un des protagonistes de ce projet consistant à fabriquer du ciment sans émettre de CO2, ou presque, a grandi sur l’île. Il s’appelle Hugo Léandri, il est âgé de 26 ans et porte un nom connu dans le monde local du BTP. Son père, Pascal Léandri, est le fondateur de Préfabéton, l’entreprise de préfabrication basée sur la zone d’activités des Sables, à Étang-Salé.

L’aventure américaine d’Hugo a commencé il y a cinq ans. Baccalauréat en poche, il avait quitté La Réunion pour intégrer l’Icam, l’Institut catholique d’arts et métiers, école d’ingénieurs généralistes de Lille. « La cinquième et dernière année d’études y est consacrée à la rédaction d’un mémoire scientifique, relate-t-il. Pour le réaliser, j’ai été accepté à Caltech (California Institute of Technology), une prestigieuse université de Los Angeles. J’ai travaillé sur un système de toilettes autonomes destiné aux pays en développement où la défécation à l’air libre pose d’énormes problèmes environnementaux, pollue les nappes phréatiques et génère un taux de mortalité élevé. Après avoir obtenu mon diplôme, j’ai été embauché par un laboratoire de Caltech pour continuer à travailler sur le projet. J’y ai rencontré Cody Finke, mon futur associé, qui préparait alors un doctorat. »

Les deux jeunes scientifiques appartiennent à cette « génération climat » pour qui il est naturel, voire indispensable, de mettre ses connaissances et son énergie à la réduction des impacts sociaux et environnementaux des activités humaines. En 2018, ils participent ensemble à un salon sur les toilettes de demain, organisé par la fondation de Bill Gates à Pékin. Le système sur lequel ils travaillent apparaît rapidement trop coûteux pour les pays auxquels il est destiné. Le tandem commence à cogiter sur d’autres sujets. Hugo et Cody Finke, chimiste de formation, s’intéressent d’abord à la fabrication « propre » d’hydrogène avant de se concentrer sur celle du ciment.

Bill Gates et Amazon y croient

La fabrication de ce matériau est responsable d’environ 8 % des émissions mondiales de dioxyde de carbone et de 5,5 % des émissions de gaz à effet de serre. Divers producteurs, à travers le monde, cherchent des solutions pour rendre leur activité moins émissive mais aucune n’apporte réellement de réponse globale. « Fabriquer du ciment consomme beaucoup d’énergie, explique Hugo Léandri, et le process lui-même est très polluant. En brûlant le calcaire à haute température, on libère du CO2. Soixante pour cent des émissions provoquées par la fabrication du ciment viennent du process. Même si l’on avait un carburant propre à 100 %, on continuerait à émettre du CO2 en grandes quantités. » Cody et Hugo créent Brimstone, leur start-up, en 2019. Après avoir été hébergés dans un laboratoire de Berkeley, ils déménagent à San Fransisco et leurs recherches débouchent sur une belle trouvaille : un processus chimique qui permet de séparer les principales composantes des silicates de calcium, roches très courantes dans la nature, et de faire chauffer dans un four celles qui permettent d’obtenir le ciment Portland, la norme la plus acceptée dans le monde.

Brimstone décroche des subventions du Département américain de l’énergie et lève des premiers fonds privés, qui lui permettent d’aménager son laboratoire dans un hangar, à Oakland. « Nous avons testé chaque étape du process, les réactions marchent, les produits obtenus sont conformes », poursuit Hugo. En 2020, Cody et Hugo commencent à pitcher en vue d’une levée de fonds plus importante, pour passer au stade des essais industriels. L’opération est bouclée en mars 2022, son succès est total. Brimstone obtient 55 millions de dollars, avec pour premier investisseur Breakthrough Energy Ventures (BEV), le fonds d’investissement de Bill Gates pour le climat, mais aussi DCVC, autre géant de la catégorie, le fonds d’investissements vert d’Amazon et encore Fifth Wall, le plus grand fonds mondial spécialisé dans la technologie immobilière. « Nos futurs clients ! », s’enthousiasme Hugo.

Une première unité de fabrication

La nouvelle est considérée comme suffisamment importante par CNBC, une des principales chaînes de télévision américaine d’information économique et financière, pour justifier un long article sur sa version en ligne, publié fin avril. On y découvre l’histoire de « deux scientifiques qui ont grandi à l’autre bout du monde l’un de l’autre », Cody l’Américain de Seattle et Hugo, de l’île de La Réunion, « territoire français près de Madagascar ».

Avec les fonds collectés, Brimstone va construire une unité de fabrication d’une capacité de quelques tonnes par jour, pour vérifier la faisabilité industrielle et économique du process. La petite usine devrait entrer en service d’ici 2023 à Reno, dans le Nevada, où il est moins cher de s’implanter qu’en Californie.

« C’est seulement après cette étape qu’on saura de quelle façon il faudra dimensionner les usines de production et quels seront les coûts de production de notre ciment décarboné, commente Hugo Léandri. Si nous ne sommes pas moins chers que le ciment Portland de fabrication classique, le marché aura du mal à l’adopter. »

Le Réunionnais ne peut s’empêcher de penser à son île, où le ciment vient de l’extérieur alors que le basalte pourrait servir de matière première au process de Brimstone. Il s’interdit toutefois de rêver. « Le marché réunionnais est de 350 000 tonnes alors qu’il me semble difficile de rentabiliser une centrale à ciment de moins d’un million de tonnes par an. À moins d’exporter vers tous les pays de la zone…

Pascal Léandri avec son fils Hugo, à Paris. ©Droits réservés

Pascal Léandri (Préfabéton) – « Une révolution technologique » : Pascal Léandri, le père d’Hugo, suit évidemment le projet Brimstone avec beaucoup d’intérêt. Nous avons échangé avec lui mi-mai, alors qu’il venait d’arriver à San Fransisco pour des retrouvailles familiales après deux ans de crise sanitaire. Le fondateur et propriétaire – avec ses cadres – de Préfabéton éprouve « une fierté légitime » en voyant son fils se lancer dans une passionnante aventure industrielle. C’est avant tout en chef d’entreprise qu’il en juge les premières avancées. « Avec Hugo, nous nous parlons en permanence, dit-il, mais je n’ai pas les compétences pour contribuer à son projet ! Je m’y intéresse parce que le ciment est la base du béton que nous utilisons dans nos fabrications. »
Pascal Léandri se montre prudent quant aux succès futurs de la start-up d’Oakland. « Dans le domaine scientifique, il faut toujours être sceptique. On peut penser avoir découvert quelque chose d’incroyable qui s’avère ensuite décevant », poursuit-il. Le patron de Préfabéton ne minore pas pour autant l’intérêt du process imaginé par Hugo et Cody, consistant à utiliser une voie chimique pour obtenir les composants du ciment, à partir de roches à bas coût. « Actuellement, tout le monde essaie de faire du ciment bas carbone, constate-t-il. En Métropole, Hoffmann Green Cement utilise pour cela du laitier de haut fourneau, un résidu de l’industrie métallurgique. L’impact carbone du ciment fabriqué ainsi est effectivement réduit, mais les quantités de matière première disponibles sont limitées et ne pourront pas satisfaire plus de 10 % du marché. Ce n’est pas une révolution en soi, alors que le procédé mis au point par Brimstone constitue une révolution technologique. »

  • Bernard Grollier

    Bon connaisseur des îles de l’océan Indien, en activité à La Réunion depuis 1987. Je suis journaliste indépendant et auteur des textes de nombreux livres consacrés à La Réunion. L’expérience acquise m’amène aujourd’hui à approfondir mes recherches sur l’histoire contemporaine de l’île et de ses relations avec ses voisines, pour divers projets éditoriaux. Mon objectif est de partager une vision authentique et documentée de cette partie du monde, J’ai toujours tenu, dans mon activité journalistique, à cultiver la polyvalence. Naturellement porté vers le journalisme économique, pour mieux comprendre les rouages de la société, j’ai toujours accordé un grand intérêt aux sujets environnementaux. Dans ce domaine, j’ai trouvé sous le tropique du Capricorne une matière exceptionnelle.

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