Le vélo séduit de plus en plus
L’arrivée des vélos électriques et les initiatives publiques de location longue durée ne sont pas étrangères au succès de la « petite reine ». Une échappée belle à laquelle tentent de se joindre quelques entreprises privées, avec des concepts parfois innovants.
Jusqu’alors, le vélo était plutôt délaissé par les Réunionnais. Mais les confinements liés à la crise covid et les vélos électriques sont passés par là. L’émergence de ces derniers a notamment changé la donne, en permettant d’envisager désormais des trajets à vélo sans redouter la panne de cuisses. Encore fallait-il équiper le territoire de pistes et de voies cyclables en nombre et de qualité suffisante, certaines études faisant remonter une forte demande pour un réseau cyclable continu, sans coupure, doté de bandes cyclables bien entretenues et d’itinéraires rapides. C’est ce à quoi se sont attelées les collectivités depuis plusieurs années maintenant : la Région Réunion s’est ainsi dotée d’un Plan vélo qui a permis d’engager plusieurs projets structurants, dont une Voie vélo régionale (VVR) qui a pour ambition de faire quasiment le tour de l’île en offrant à terme 220 km de réseau dédié au vélo. Actuellement, près de 125 km ont déjà été réalisés, et de nouvelles portions devraient être livrées prochainement, notamment celle du Cap La Houssaye, sur la commune de Saint-Paul. Sur les routes où elles en ont la compétence, les intercommunalités et le Département pédalent dans la même direction, pour proposer d’ici peu plus de 70 km de voies cyclables complémentaires à la VVR. Par exemple, les voies dédiées aux cyclistes sont prévues dans le projet du futur TCSP de la Cirest (communauté des communes de l’Est), à Saint-Benoît, et quatre kilomètres supplémentaires de voies cyclables seront créées d’ici fin 2024 sur le territoire de la Cinor (communauté de communes du Nord).
Le succès des locations longue durée
Au-delà des aménagements structurants, une autre avancée à mettre au crédit des collectivités locales est la démocratisation du vélo électrique par le déploiement de systèmes de location longue durée, rendant ainsi accessibles des équipements souvent très coûteux à l’achat. La première intercommunalité à avoir concrétisé cette idée est la Civis, en 2019. « Les stations-vélos constituent un des pans de notre schéma directeur vélo », explique Yoguesh Kischenin, le directeur des déplacements et des mobilités innovantes. Ce document pilote a déjà occasionné l’aménagement de bandes et pistes cyclables sécurisées, l’installation de quelque 500 accroche-vélos sur le territoire et l’équipement de plus d’une cinquantaine de bus urbains pour accueillir les usagers et leur bicyclette. Mais la grande fierté de la Civis reste le succès de son service de location longue durée, délégué à la Cineo, l’exploitant du réseau urbain Alternéo, et appelé Altervélo. « Nous avons commencé avec 40 vélos à assistance électrique, et nous en sommes aujourd’hui à 2 000 vélos !, se félicite Yoguesh Kischenin. L’engouement pour ce service inédit a été immédiat et se confirme d’année en année. À peine livrés, les vélos sont loués, au point que plus d’un millier d’habitants de la Civis figurent sur la liste d’attente. » En 2021, un service complémentaire à Altervélo a été lancé, avec le déploiement de 75 vélos en location libre-service. « Ce réseau est en cours de restructuration et de développement. Nous sommes passés de 14 à 20 stations, et de 75 à 120 vélos à assistance électrique. Nous espérons atteindre les 170 vélos en libre-service dans les mois à venir. »
La réussite de la Civis a fait des émules à La Réunion. Voilà quelques semaines seulement, la Cinor a commencé à déployer sur son territoire ses premières centaines de vélos à assistance électrique en location longue durée. « Nous anticipons un succès public identique à ceux des autres intercommunalités. C’est la raison pour laquelle nous avons d’ores et déjà commandé 2 000 vélos », annonce Maurice Gironcel, le président de la Cinor. En septembre 2021, le Territoire de l’Ouest (ex-TCO) et la Semto, gestionnaire de Karouest, avaient pour leur part déjà emboîté le pas de la Civis en lançant leur propre système de location longue durée. Là encore, la liste d’attente est longue (plus de 1 000 usagers), ce qui a amené l’intercommunalité à investir dans l’achat de 250 vélos électriques supplémentaires. En complément, 120 vélos en libre-service (façon Vélib) vont être déployés par la commune de Saint-Paul, sur 30 stations de Trou d’eau jusqu’à Cambaie, dans les mois à venir. Cette fois, la gestion de ce marché B to C a été attribué à Cirkul, filiale du groupe familial réunionnais La Perrière.
Des initiatives de niche
Il faut dire que, depuis sa création début 2022, l’entreprise portoise s’est construit une solide réputation en matière d’expertise sur les mobilités douces et la gestion de parcs-vélos d’entreprise. « Nous étions jusqu’à présent spécialisés en B-to-B, avec la location longue durée de vélos électriques de fonction (sur 36 mois) et de stations-vélos installées sur des sites d’entreprise », rappelle Thomas Willemse, chargé de projet mobilité chez Cirkul. Une soixantaine de vélos de fonction ont ainsi été placés chez une vingtaine d’employeurs, et 25 stations accueillent au total 120 vélos électriques en libre-service (compter 150 euros par mois et par vélo), du Port jusqu’à Saint-André. « Inovista a par exemple pris 40 vélos pour un projet-pilote qui concerne les immeubles que la société a en gestion. Si l’essai est concluant, l’objectif est de multiplier leur parc vélos par trois d’ici fin 2024. »
D’autres acteurs privés se positionnent sur ce marché émergent. C’est le cas notamment de Bibi and Bike et de son vélo à assistance électrique (VAE)… pliable. « J’ai découvert ce concept alors que je m’étais rendu compte qu’une forte demande existait pour de la location VAE longue durée », se souvient Samir Mamoodjee, le jeune créateur de Bibi and Bike. « J’ai trouvé l’idée formidable, notamment pour favoriser l’intermodalité, car selon sa taille (16 ou 20 pouces) le vélo entre dans un coffre de voiture ou ne prend qu’une place assise dans le bus. Et je me suis lancé ! » D’abord avec 8 vélos en 2021, loués à partir de 69 euros par mois. À peine mis sur le marché, aussitôt loués : Samir décide alors de grandir, mais sans aller trop vite, en dosant son dimensionnement aux besoins de maintenance ou de remplacement. « Aujourd’hui, j’ai une quarantaine de vélos, tous loués en moyenne pour une durée de six mois. Mes clients sont sur toute l’île, et utilisent leur vélo pliable à 90 % pour leur trajet domicile-travail. »
Dernier acteur à être apparu sur le marché de la location, Freegônes, il y a quelques mois seulement. Distribué par Clovis Location, le Freegônes est un vélo utilitaire électrique à destination des professionnels, du public comme du privé. La niche ciblée est celle de la livraison du dernier kilomètre en zone urbaine. Compact, autonome et durable, l’engin supporte jusqu’à 350 kg de charge et 2 m3 de volume utile. Le Freegônes est modulable et permet d’alterner entre cellule sèche, cellule frigorifique, food, plateau et benne à déchets. « Pour l’instant, nous ne disposons que d’un vélo-cargo équipé de la seule cellule sèche, détaille Guillaume Wallaert, responsable d’activité chez Clovis. En effet, nous avançons avec précaution pour évaluer le marché réunionnais avant de le proposer à la location longue durée. Nous mettons le véhicule à disposition des clients intéressés afin qu’ils identifient tout le potentiel de ce matériel. »
Zwav : la conquête de l’Ouest : Depuis octobre 2022, la société Zwav a établi un partenariat avec la municipalité de La Possession pour y déployer à terme entre 120 et 140 trottinettes électriques en libre-service. Après neuf mois d’exploitation de 70 trottinettes sur une petite quarantaine de stations implantées dans les bas et les premières pentes, l’application a enregistré l’inscription de 2 350 membres pour à peine un peu plus d’un millier d’utilisateurs actifs. « On ne va pas se le cacher, un tel volume ne permet pas d’atteindre la rentabilité économique », admet Patrick Fabris, le nouveau directeur de la filiale réunionnaise du groupe Citadelle, spécialisé dans les mobilités. « Si La Possession agit comme un laboratoire pour notre déploiement sur l’île, la masse critique d’utilisateurs sera atteinte quand nous serons parvenus à nous ancrer sur plusieurs communes et sur des bassins de population denses. » Les freins, au premier rang desquels la sécurité des usagers, sont multiples. Saint-Denis, notamment, se montre à cet égard plus que réticente. Pourtant, une nouvelle commune vient de céder aux sirènes de Zwav : Saint-Paul. En novembre, 44 stations seront ainsi installées sur la bande littorale, de Trou d’eau jusqu’au Centre hospitalier de l’ouest réunionnais (Chor). Soit une environ tous les 500 mètres. Elles accueilleront à la fois des trottinettes électriques (70 au total) et une trentaine de scooters électriques en libre-service. « Le scooter devrait permettre de franchir un palier de distance et de diversifier les pratiques. Car, à La Possession, 60 % des trajets durent moins de cinq minutes et sont essentiellement effectués le midi », analyse Patrick Fabris. Saint-Paul centre, Boucan, Saint-Gilles-les-Bains… Le potentiel de développement apparaît énorme pour Zwav, en particulier si le concept attire les touristes de la zone. « Pour y parvenir, nous devons être visibles au maximum. Et tenter de convaincre Le Port, voire le Territoire de l’Ouest, de s’associer au projet, en vue d’assurer une continuité géographique aux usagers, de la sortie de la route du littoral jusqu’à la Saline-Les-Bains. Nous continuons d’y travailler. »