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Afrique du Sud

Les enseignements à tirer des dernières élections municipales

Les élections municipales qui se sont tenues le 3 août 2016 en Afrique du Sud installent un nouveau rapport de forces au sein de l’ANC en vue du congrès de 2017 qui verra la désignation du candidat de l’ANC pour les élections présidentielles de 2019.

Affaibli, Jacob Zuma réussira-t-il à imposer la candidature de son ex-épouse Nkosazana Dlamini-Zuma en 2019 ? Là est toute la question. D’autant plus que le climat politique sud-africain est détestable et que les promesses non tenues, les pénuries, les fraudes, le favoritisme et l’incompétence des services municipaux sont dénoncés par la presse et provoquent des émeutes quotidiennes. Quant aux assassinats d’une dizaine de responsables locaux de l’ANC depuis le début de l’année 2016, ils illustrent la corruption du parti dans l’at-tribution frauduleuse de marchés d’État. Tout puissant depuis 1994, le parti gouvernemental ANC tente de camoufler ses échecs en accusant le « régime d’apartheid » afin de tenter de dégager ses responsabilités dans la faillite de ce qui fut un pays prospère. Cependant, cette explication ne suffit plus et Julius Malema, le leader radical noir a parfaitement bien résumé le climat politique et social sud-africain en une phrase : « En Afrique du Sud, la situation est pire que sous l’apartheid. La seule chose qui a changé, c’est qu’un gouvernement blanc a été remplacé par un gouvernement de Noirs. »
La population sud-africaine

CINQ GRANDS ENSEIGNEMENTS PEUVENT ÊTRE TIRÉS DES ÉLECTIONS MUNICIPALES :

1) L’ANC demeure ultra-dominant
Lors du scrutin de 2011, l’ANC avait obtenu 61,95% des suffrages, ce qui lui avait permis de diriger 233 municipalités (1) sur 278, dont 198 à la majorité absolue et 35 à la majorité relative (2). Le 3 août 2016, l’ANC a obtenu 55,33% des votes. En pourcentage, le recul est donc de 6 à 7 points, ce qui n’est pas négligeable, mais qui est tout de même loin des annonces d’effondrement pronostiquées par les « experts ». En effet, le parti est encore largement dominant. Dans les provinces rurales, il réalise même des scores très élevés. Ainsi, dans le Mpumalanga (68,34% des voix), dans le Limpopo (68,73%) et dans l’Eastern Cap (65,37%). 

2) Le vainqueur de ce scrutin est l’EFF
Les points perdus par l’ANC au plan national se retrouvent dans un parti fondé en 2013, l’EFF (Economic Freedom Fighters) de Julius Malema, qui a obtenu 8,14% des voix avec des pointes à près de 17% dans le Limpopo et à 14% dans le North West. Le score du Limpopo est clairement ethnique car Julius Malema est Pedi, natif de l’ancien bantustan du Lebowa désormais inclus dans la province du Limpopo dans laquelle les Pedi constituent 53% de la population. Les Pedi forment 12% de la population noire sud-africaine. La carte du vote EFF est géographiquement nordiste, ses meilleurs scores ayant été obtenus au Limpopo et au Gauteng, la moitié sud du pays ainsi que le KwazuluNatal lui demeurant hostiles. Cette dissidence gauchiste de l’ANC a pour programme la confiscation sans indemnisation des terres appartenant aux Blancs, la nationalisation des mines et des banques. En position de force, l’EFF va exercer une pression politique sur le gouvernement dans le sens anti-blanc. Dans plusieurs provinces, l’EFF est donc le « faiseur de roi » et selon les alliances qu’il passera, il donnera la direction de nombreuses municipalités soit à l’ANC, soit au DA. 

3) La stagnation des libéraux de la Democratic Alliance (DA)
Contrairement à ce qu’affirment les médias, la stratégie de conquête de l’électorat noir par la DA n’a pas été validée, sauf à la marge. Électoralement, la baisse de l’ANC n’a en effet pas profité à la Democratic Alliance, longtemps parti des Blancs et des Coloured (métis), et qui a désormais un leader noir, Mmusi Maimane, 34 ans, originaire de Soweto. En réalité, la DA n’a connu qu’une faible progression, passant de 23,94% des voix en 2011 à 26,77%, soit un gain d’un peu plus de deux points. En dépit d’une consolidation dans sa base ethno-électorale du Western Cape, où elle a obtenu 63,55% des voix, et d’une victoire spectaculaire à Port Elizabeth (3), vieux bastion ANC, la DA ne réalise donc pas la percée annoncée. Plus encore, elle perd la majorité dans plusieurs régions et son gain en voix est faible puisqu’il n’est que de 800 000 suffrages. En mettant à sa tête un Noir originaire de Soweto, ce parti, héritier des libéraux anglophones blancs qui furent les farouches adversaires du régime nationaliste d’avant 1994, espérait mordre sur l’électorat urbain noir déçu par l’ANC. Sa progression qui est réelle chez les Noirs ne s’étant faite qu’à la marge, la DA reste donc le parti des minorités raciales.

Les élections municipales du 3 août 2016
Bernard Lugan

4) La disparition politique du nationalisme afrikaner
Le Freedom Front (0,77% des voix) n’a rassemblé que 110 000 électeurs (4) alors que les Blancs représentent 9% de la population, soit 4 554 800 millions d’individus (en 2014), dont plus de 50% d’Afrikaners, soit presque 3 millions de personnes. Nécessité faisant loi, les Blancs se sont électoralement reportés sur la DA. Plus généralement, en Afrique du Sud, c’est le poids politique des Blancs qui a disparu. Comme ils représentent moins de 10% de l’électorat, pourcentage voisin de celui des Touareg au Mali, l’ethno mathématique électorale les condamne donc à ne faire que de la figuration. 

5) La racialisation de la société sud-africaine
L’étude, circonscription par circonscription, montre que les Noirs ont voté pour des partis noirs alors que les Blancs, les Métis du Cap (Coloured) et les Asiatiques ont donné leurs suffrages à la DA. Les Noirs totalisent environ 80% de la population sud-africaine ; or, si nous additionnons les voix de l’ANC (53,91%), de l’EFF (8,18%), de l’Inkhata (4,26%) et celles obtenues par une multitude de petits partis noirs locaux (6,75%), nous obtenons 73% des voix.

(1) Les partis politiques étant engagés dans des tractations, il est imnicipaux leur revenant. 
(2) Lors des élections législatives de 2014, l’ANC avait obtenu 62% des voix.
(3) Port-Elizabeth : DA 46,7% et ANC 40%. À Port Elizabeth, la victoire de la DA est à relativiser car elle s’explique d’abord par le facteur ethnique, les Xhosa ne se retrouvant pas dans l’ANC du Zulu Zuma qui a évincé le Xhosa Mbeki. Le Cope y avait déjà fait un bon score en 2011. La DA n’y étant cependant pas majoritaire, elle devra former une coalition si elle veut diriger la municipalité. (4) 60 000 voix en 2011 et 0,5% des suffrages. La progression de 2016 s’explique parce que quelques milliers d’électeurs blancs n’ont pas voulu voter pour une DA désormais dirigée par un Noir.

 

Nkosazana Dlamini-Zuma, ex-épouse de Jacob Zuma. La question est de savoir si ce dernier pourra imposer sa candidature à l’élection présidentielle de 2019
Nkosazana Dlamini-Zuma, ex-épouse de Jacob Zuma. La question est de savoir si ce dernier pourra imposer sa candidature à l’élection présidentielle de 2019.  APO
 
LES ÉLECTIONS EN CHIFFRES
Population en âge de voter : 35 millions Inscrits : 26 333 353
Votants : 15 793 242, soit 57,72% des inscrits ANC : 7 978 983 voix, soit 55,33%
DA : 4 004 865 voix, soit 26,77%
EFF : 1 217 805 voix, soit 8,14%
FP : 632 102 voix, soit 4,23%

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Les mines sud-africaines
Les mines représentent 10% du PIB sud africain, emploient 8% de la population active et sont le premier employeur du pays avec 500 000 emplois directs. Mais elles ont perdu prés de 300 0000 emplois au cours des dix dernières années.  Shutterstock
L’ÉMIETTEMENT POLITIQUE
Une donnée essentielle qui n’a pas été vue par les « spécialistes » médiatiques français est le caricatural émiettement politique sud-africain qui s’est manifesté à l’occasion des élections municipales du 3 août. S’il explique largement le recul de l’ANC, il ne permet cependant pas d’annoncer son effondrement et cela pour une raison simple qui est que, lors des futures présidentielles, cet émiettement aura disparu. Le candidat ANC refera alors le plein des voix. Au niveau national, 310 partis ont ainsi participé aux élections municipales et 413 furent présents dans une seule province. Au total, 732 partis ont donc brigué les suffrages des électeurs, mordant ainsi sur l’ANC. Dans le Western Cape, 139 partis se présentèrent, dans le Limpopo 80, dans l’Eastern Cape 39, dans le Mpumalanga 34, etc.. Ces chiffres traduisent une tendance lourde qui est la permanence des structures claniques locales. Lors des élections générales et présidentielles, ces partis seront à 90% absents et le tripartisme sud-africain (ANC-DA-EFF) pourra alors s’affirmer.

 

LES ÉLECTIONS DE TSHWAN OU L’ARITHMÉTIQUE RACIALE
La population de Tshwane, métropole englobant Pretoria, est de 3,5 millions habitants. Sa population non noire est composée d’environ 780 000 Blancs et d’environ 170 000 Coloured (Métis) et Indiens, soit un total d’environ 950 000 personnes. Résultats des élections : ANC : 728 652, EFF : 206 884, IFF plus petits partis noirs : 120 000, soit un total du vote noir de 1 million. La DA obtient pour sa part 762 190 voix. Commentaire : Forte mobilisation de l’électorat DA. Forte abstention de l’électorat ANC désorienté par de sanglantes luttes de clans. La désignation de Thoka Didiza, ancienne ministre de l’Agriculture, pour le Tshwane est très mal passée auprès des électeurs ANC et a même provoqué des émeutes qui ont fait cinq morts. En plus de l’abstention, ce climat politique a profité à l’EFF.

Bernard Lugan